De quoi l’association de malfaiteurs est-elle la clef ?



(Ce texte est paru initialement sur iaata.info et concerne des faits n’ayant pas eu lieu en Lorraine, mais dont l’analyse paraît importante à partager.)

R., incarcéré pour association de malfaiteurs en février 2019, est sorti de prison au début de l’été. Nous revenons ici sur son instruction et sur l’utilisation du délit dont il est accusé.

An 01 après GJ

Les rues se remplissent, les ronds-points fleurissent de cabanes. Nous sommes sur la fin de l’année 2018. Les relents nauséabonds de la victoire des bleus se transforment en colère diffuse portant un gilet jaune. Les gens ont envie de se rapporter à la politique. Ça discute, ça s’organise. Pour toute révoltée qui se bat pour un monde juste, pour la fin des oppressions, qui se bat contre cette vie de merde, l’impression de vivre quelque chose de spécial. Quoi exactement ? Nous ne savions pas trop. Alors à ne plus tenir derrière nos écrans, on y est allé. Pour voir au début, gaiement. Et très vite, c’est le couteau entre les dents que l’on partait le samedi matin et c’est le baume au cœur et fatiguée que l’on rentrait à la maison le soir, toujours une pensée pour les arrêtées du jour. La semaine passait à s’organiser sur les ronds-points, dans les commissions, chez soi au fond de la cave ou derrière l’imprimante. Le mouvement social lui, se renforce chaque week-end, s’affine. Les leaders autoproclamés se font écarter et c’est sur une base horizontale que les gilets jaunes veulent se retrouver, évitant ainsi l’écueil de la représentation et de la récupération. Le pouvoir, le capitalisme est attaqué sans ménagement, loin de toutes formulations théorico-politiques. La préfecture du Puy en Velay part en fumée le 1 décembre, 4 mois plus tard c’est au tour du Fouquet’s. Entre les deux, des tas de rues dépavées.

Ce qui effraie tant la macronie en marche et sa bourgeoisie c’est la vitesse avec laquelle les pratiques insurrectionnelles se diffusent dans le tissu social. De plus en plus de monde ne considère plus la violence des forces de L’État comme légitime. Alors ils contestent son monopole et se la réapproprient en gueulant haut et fort à Manu « on vient te chercher chez toi ».

Pour ce dernier, il s’agit de contre attaquer.

Tout d’abord matraquer les corps. Faire mal. L’omniprésence policière dans nos manifs se fait milice. Ça tape, ça gaze, ça matraque. On marque les corps au tonfa noir du BACeux. On fait pleurer les yeux à grands coups de lacrymos qui viennent vomir leur composition chimique irritante dans toutes les rues du centre-ville. Et à cette violence physique vient s’en ajouter une autre plus insidieuse. Il s’agit de marquer les esprits cette fois. Faire peur. Les comparutions dans les tribunaux s’enchaînent. Les peines s’alourdissent et les prisons se remplissent. L’arsenal judiciaire se complexifie pour faire face à cette nouvelle contestation et ses formes comme en témoigne la loi anti-casseurs édictée sur le tard.

Les conflits politiques et sociaux ont toujours ce mérite : dévoiler la tendance agressive, écrasante des institutions. Briser l’illusion de leur impartialité. De fait, la police, les tribunaux, la prison, sont des armes de guerre. Assumer le monopole de la violence légitime, c’est toujours assurer la domination d’un camp sur un autre : l’économie et l’État contre ceux qui les remettent en cause. En temps de crise de légitimité du pouvoir, la police et la justice sont les derniers remparts qui l’empêchent de tomber.

Dans ce texte c’est de répression dont on va parler. L’instruction de R., mis en examen et incarcéré pour association de malfaiteurs le 4 février vient éclairer l’acharnement dont font preuve les forces oppressives pour faire taire la révolte. Prêts à tout, ils enferment préventivement, ne s’embêtant pas d’une éventuelle condamnation au moment du procès. L’enjeu étant pour eux ailleurs. Devant l’intensité de la révolte, ils n’hésitent pas à mettre en examen une seule personne pour association de malfaiteurs sans associées et sans faits reprochés. La possession de clefs PTT et la prétendue expertise policière disant que celles-ci seraient « caractéristiques du fonctionnement des activistes d’ultra gauche pilotant le mouvement des Gilets Jaunes et leurs manifestations » étant suffisante pour entamer une procédure judiciaire. Pour la police et la justice il faut trouver des coupables. Et peu importe qu’il faille construire la culpabilité a posteriori. Il s’agit pour eux d’attribuer à des individus les gestes de révolte exprimés pendant le mouvement. D’individualiser les peines. Pour nous révoltées, il s’agit de faire le parcours inverse. Il nous semble important pour ne pas laisser les accusées dans l’isolement où le système judiciaire les place, de populariser leurs actes en les revendiquant comme une pratique du mouvement. Par exemple nous n’associerons pas la main qui incendiera le Capitole à un nom, un sigle, une association. Cette main-là, elle sera celle de l’ensemble du corps fluo, se solidarisant de chaque attaque contre la domination. Si posséder des clefs fait de nous des malfaitrices et bien nous en sommes. Mais toutes les affaires visant à criminaliser les luttes ne sont pas aussi ubuesques. Il est donc nécessaire de ne pas tomber dans le piège qui amènerait à considérer cette instruction comme ridicule par rapport à d’autres enquêtes qui ne le seraient pas. En effet, pour nous, toute procédure judiciaire est absurde et il s’agit d’insérer l’affaire qui nous concerne dans une stratégie contre-insurrectionnelle dont il faut prendre la mesure.

Lire la suite sur iaata.info.