Un mur qui tombe ça fait tellement de bien !

Bure (55) |

« Été d’urgence », c’est ainsi que les résistants de Bure ont qualifié le moment de lutte antinucléaire que nous sommes en train de vivre. Retour sur la chute du Bure de Merlin.

En effet, l’État, via l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), a décidé de passer la vitesse supérieure dans l’accomplissement de son sombre dessein : enfouir les déchets nucléaires plutôt que d’arrêter d’en produire et de s’occuper sérieusement de ceux déjà produits.

« On ne léguera pas ce problème aux générations futures, ce serait immoral. Il faut donc mettre en œuvre le stockage géologique. » C’est ce sophisme éhonté que martèlent inlassablement les pouvoirs publics depuis plusieurs décennies.

Comme s’il n’était pas préférable de léguer un problème aux générations futures, mais un problème qu’elles puissent prendre à bras-le-corps, plutôt que de leur léguer un risque incontrôlable.

Comme s’il n’était pas préférable, si l’on voulait vraiment minimiser la charge laissée à celles et ceux qui vont nous suivre, de couper le plus vite possible le robinet qui remplit les piscines radioactives et rend plus difficile chaque jour la tâche à laquelle la communauté humaine aura à s’atteler pour éradiquer ce sinistre poison.

Mais quelques promoteurs de l’atome, soutenus par les pantins de l’État bourgeois qui n’y connaissent rien, s’accrochent encore à leur pitoyable chimère, cherchant à crédibiliser la filière électronucléaire moribonde en creusant un trou qui, selon eux, fera disparaître la terrible menace à laquelle ils nous ont exposés.

C’est ainsi qu’en plein été 2016, 20 députés tout aussi indignes que leurs collègues absents ont choisi pour un peuple entier d’accélérer le processus de l’enfouissement en votant une « loi sur la réversibilité du stockage géologique » qui n’est rien d’autre qu’une pantalonnade obscène sur laquelle il serait fastidieux de revenir en détail.

C’est ainsi que l’ANDRA, avant d’avoir obtenu la moindre autorisation, au mépris des lois de ses propres mentors, a commencé à défricher la forêt de Bure pour y mener ce qu’elle nomme pudiquement des « investigations sismiques », alors qu’il s’agit à l’évidence du début des travaux.

L’ANDRA, agence de l’État capitaliste, a arrosé les collectivités locales, les associations, les entreprises et même les particuliers, à coups de dizaines de millions d’euros pendant vingt ans, a obligé les locaux à vendre plus de 3 000 ha de terres et de forêts à coups de menaces à peine voilées, a triché sur les résultats de ses investigations et s’est fait prendre la main dans le sac à plusieurs reprises, a colonisé le territoire et les esprits à coups de publicités mensongères, de propagande massive jusque dans les écoles, et, finalement, a acquis une forêt de 200 ha au cours d’un échange rocambolesque avec une commune limitrophe de Bure (Mandres-en-Barrois). Pour avaliser l’échange, le conseil municipal de Mandres, contre l’avis d’une large majorité des habitants, s’était réuni à 6 heures du matin, afin d’éviter l’ire de la population… Plusieurs de ses membres étaient directement sous l’influence de l’ANDRA, via divers conflits d’intérêts.

Il serait trop long d’énumérer ici les méfaits de l’État voyou et de l’ANDRA depuis le début de cette affaire.

C’est pourquoi les résistants à ce projet capitaliste ignoble sont fondés à avoir entrepris cet « Été d’urgence ».

Après avoir occupé la forêt pendant plusieurs semaines, après s’en être fait expulser par des cohortes de gardes mobiles, après avoir repris victorieusement la forêt au prix d’une lutte acharnée au cours de laquelle les vigiles de l’ANDRA, armés de gourdins et de battes, se sont illustrés par leur brutalité, les résistants de Bure ont fait une pause toute relative en se retirant du bois mais en érigeant plusieurs vigies en lisière de forêt.

En effet, afin de « protéger ses travaux et son personnel », l’ANDRA avait décidé d’ériger un ahurissant mur de 2 m de haut et de presque 4 km de long autour de la forêt, fait inédit dans les annales forestières.

Aussitôt assignée en justice par les opposants pour non-respect du Code forestier (défrichage sauvage) et du Code de l’urbanisme (construction sans permis), l’ANDRA a continué d’afficher sa suffisance en poursuivant inexorablement ses travaux, malgré les tentatives de blocage des sous-traitants par les résistants.

Plus d’un kilomètre de mur avait déjà été construit lorsque, incroyable surprise, la justice a donné raison aux opposants pour la première fois en vingt années, au cours desquelles une vingtaine de procédures avaient été entreprises, sans le moindre succès.

Condamnée symboliquement à 1 500 € d’amende et à la remise en état du terrain dans les six mois, si aucune autorisation ne lui était accordée, l’ANDRA a perdu de sa superbe et surtout de sa crédibilité auprès de ceux qu’elle réussissait encore à abuser.

Mais elle n’était pas forcée par le tribunal à détruire son mur de la honte, toujours gardé jour et nuit par les forces de l’ordre omniprésentes et se livrant à un harcèlement systématique des résistants locaux (contrôles journaliers répétés, fouilles des véhicules, PV, etc.).

Une nouvelle manifestation joyeuse et déterminée a donc été décrétée pour achever le travail juridique et « aider » l’ANDRA à respecter ses obligations légales.

Et le dimanche 14 août, en plein milieu d’un camp de 15 jours rassemblant des militants de toute la France, quelque 500 personnes se sont retrouvées afin de « remettre la forêt en état ».

Et là, ce fut la surprise : la préfecture, prenant peur devant notre nombre et notre détermination, craignant des incidents violents comme ceux qui avaient émaillé nos précédentes actions, a finalement décidé de nous laisser le champ libre.

Nous avons donc pénétré dans la forêt libérée et gagné par forfait face aux forces du pseudo-ordre.

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Les jeunes manifestants qui ont pris en main cette lutte, prolongeant celle des opposants historiques, résument parfaitement l’ambiance qui régnait ce jour-là au travers du paragraphe suivant :

« À chaque pan de mur qui mord la poussière, le sol et l’air grondent de nos hurlements enlacés. Les sueurs et les mains s’arc-boutent aux sangles solidement arrimées, et, aux cris des “1, 2, 3 !” et “Allez !”, nous abattons, pan par pan, l’infâme mur de la honte d’un kilomètre construit par les nucléocrates. En une journée, un “mouvement de masse(s)” de 400 personnes a conséquemment attenté à cet embêtant béton entêté. Et poursuivi, dans un effort serein, l’entreprise historique de démolition de l’ANDRA (et son monde [de merde]). »

Seul ombre à la fête, un hélicoptère de la gendarmerie qui survolait en permanence le chantier de remise en état et qui s’est vu saluer, sous les hourras, de quelques salves de feux d’artifice. Ce qui permettra aux médias bourgeois de titrer sans vergogne : « Attaque d’un hélicoptère de la gendarmerie par des fusées. »

Mais, comme on peut le constater sur les illustrations ci-dessous, c’est bel et bien d’une superbe victoire dont il s’agit et d’une humiliation totale et inédite pour les pouvoirs publics.

Certes la guerre est loin d’être gagnée, mais, bon sang, qu’est-ce que ça fait du bien, un mur qui tombe !

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Article paru dans RésisteR ! #44 le 17 septembre 2016