Le monde universitaire a presque unanimement réagi à cette saillie provocatrice, depuis les organisations syndicales jusqu’à la Conférence des présidents d’universités [2] et la direction du CNRS [3], en passant par l’alliance Athena [4], chargée par la ministre d’enquêter sur « l’islamo-gauchisme » dans la recherche et qui y a opposé une fin de non-recevoir. Des milliers d’enseignant·es-chercheur·es ont également demandé la démission de la ministre [5], tant l’intrusion du pouvoir politique dans l’activité de recherche est considérée comme allant à l’encontre de l’indépendance de la recherche et des libertés académiques nécessaires à la production scientifique. La sociologue et militante féministe turque réfugiée en France Pinar Selek a ainsi écrit dans une lettre ouverte à la ministre : « Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en Turquie sont en train de vivre, sous l’islamo-fascisme. » [6] De quoi renvoyer Vidal dans les cordes.
Face aux offensives fascisantes il faut faire bloc, et il est heureux et rassurant d’observer la réaction massive et quasi-unanime de la communauté universitaire. Mais ces réponses à la ministre ne doivent pas masquer la diversité des positions (institutionnelles, syndicales, individuelles) comme des conceptions relativement à la cible des attaques de Blanquer puis de Vidal. Car derrière la dénonciation de « l’islamo-gauchisme », Vidal et l’extrême droite visent pêle-mêle des études académiques et des cercles militants : les travaux en sciences sociales reprenant les catégories de l’intersectionnalité, du genre, de la race et de la classe, les études post-coloniales et autres travaux issus des subaltern studies, mais aussi la plupart des groupes féministes, antiracistes, d’extrême gauche ou libertaires, ou des groupes éloignés comme le PIR, dont les positions peuvent s’appuyer peu ou prou sur certains de ces travaux [7].
S’il y a un point sur lequel il faut insister relativement à l’épisode en cours, c’est que quoi qu’en prétende Vidal l’écart est réel entre travaux de recherche et engagement militant, et que les distinctions offertes par les approches intersectionnelles n’ont pas de traduction univoque en stratégies politiques. Pour ce qui nous intéresse ici, il importe de ne pas glisser de la défense inconditionnelle des travaux de recherche et des courants politiques visés par Vidal et l’extrême droite à la reprise acritique de leurs conceptions et positions pour nos propres stratégies. Dans notre camp politique, certain·es restent rivé·es à l’universalisme des « pères fondateurs » tandis que d’autres voudraient tout jeter par-dessus bord. Il reste une voie médiane à construire, qui prenne appui sur les combats féministes et antiracistes des dernières décennies comme sur les travaux en sciences sociales qui les ont irrigués, pour renouveler l’ambition émancipatrice de l’universalisme [8].
Léo Picard
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