Nazis dans le rétro #7 : les premiers conseillers municipaux FN en Meurthe-et-Moselle

Nancy (54) |

Mars 1989, retour sur l’arrivée des premiers conseillers municipaux Front national en Meurthe-et-Moselle, avec, par exemple, Jean-Claude Bardet à la tête de la liste nancéienne.

En mars 1986, suite à la décision du président de la république François Mitterrand d’organiser les élections législatives au scrutin proportionnel, pour la première et unique fois de la cinquième République, 35 député.es FN et assimilés [1], dont le lepéniste messin Guy Herlory, ont été élu.es, pour deux ans, à l’Assemblée nationale, avec 9,65% des voix.

En mai 1988, Jean-Marie Le Pen sortait de sa première "vraie" participation à une élection présidentielle en France [2] avec 14,39% des suffrages exprimés sur le territoire national, 14,84% en Meurthe-et-Moselle [3] et plus précisément 13,94% à Nancy [4]. Tout de même un bon score pour ce parti politique qui n’avait que seize ans d’existence. Le Pen et ses troupes fanfaronnaient alors bien fort !

Les deux listes du Front national à Nancy en 1989 et en 1995

L’année suivante, les élections municipales de mars 1989 ont apporté ici au parti lepéniste ses trois premiers conseillers municipaux : deux à Nancy et un à Lunéville. En Meurthe-et-Moselle, le FN avait tenté de constituer une troisième liste à Vandœuvre-lès-Nancy, mais il avait échoué. Ce qu’il a réussi par la suite à faire en juin 1995, obtenant deux élus : Marc Néguiral et François Voinesson (16,45% au premier tour et 13,69% au second tour).

La liste frontiste, emmenée donc par Jean-Claude Bardet (alors adhérent au FN depuis seulement un an), s’appelait "Nancy d’abord" et comportait 53 candidat.es, dont dix-neuf femmes, quatorze retraité.es et "une dizaine seulement d’adhérents au Front National" [5]. On pouvait y retrouver des candidat.es habituel.les du Front comme par exemple Gérard Bargoin (ancien conseiller régional de Lorraine de 1998 à 2004), Jean Rauscher, Jacques Mitre, Jean Césard ou Christian Godfroy. Mais aussi plusieurs anciens responsables des scouts traditionalistes nancéiens ("Europa scouts", catholiques et royalistes), comme Pascal Marie-Jeanne ou Ghislain Hacquin, deux camarades de feux de camp de l’ex-FN Jean-Marie Cuny (candidat frontiste à l’élection européenne de 1984).

Quelques-uns des candidats du FN à Nancy en 1989

A Nancy, le FN joue avec la peur et la xénophobie

Bruno Mégret, alors délégué général du FN et grand ami de Jean-Claude Bardet [6], était venu le 1er mars 1989, au Palais des congrès de Nancy, pour soutenir les deux listes lepénistes. En tentant de surfer sur le bon score local de Le Pen aux présidentielles de 1988, J.-C. Bardet et son FN espéraient obtenir entre 15 et 16% des voix à Nancy. La campagne locale de Gepetto Bardet a joué sur les habituels ressorts du Front : la peur et l’islamophobie. Le FN a accusé le maire sortant André Rossinot de cacher aux habitant.es la construction fantasmée d’une mosquée rue Jeanne d’Arc : "la population nancéienne doit être informée du projet, compte tenu des nuisances pour le quartier et des risques que pourrait entraîner l’intégrisme musulman" [7]. De plus, Denis Messener, un des candidats de la liste Bardet (n°49), avait publiquement protesté pour dire qu’il n’était pas réellement candidat et qu’il n’avait signé qu’un document pour "permettre l’ouverture d’une liste électorale Front National". Evidemment, J.-C. Bardet a dénoncé ce "coup monté" et cette "manœuvre pour déstabiliser [leur] liste" [7].

Finalement, la liste FN de Jean-Claude Bardet, est arrivée en quatrième position, derrière Les Verts. Elle a recueilli 9,2% des suffrages exprimés au premier tour et a obtenu deux conseillers municipaux : Jean-Claude Bardet et Jacques Mitre. Il n’y a pas eu de second tour car André Rossinot (UDF-RPR-Parti radical) a été réélu dès le premier tour avec 57,64% des voix.

Interview de Jean-Claude Bardet lors du meeting du FN à Nancy début mars 1989 (reportage FR3 Lorraine)

A la sortie de cette élection, Bardet a regretté les refus d’alliances de la droite traditionnelle (UDF et RPR) avec le Front national. Puis, comme première idée raciste, ou comme le dit le FN54 "pour assainir la gestion des services municipaux", Jean-Claude Bardet a proposé l’arrêt du financement "des organisations partisanes comme SOS-Racisme" [8]. Bien évidemment... Au final, Jean-Claude Bardet n’a fait qu’un seul mandat comme conseiller municipal FN à Nancy. Sa liste "Défendre Nancy" a fait moins de 10% au premier tour des municipales de juin 1995 (8,81%, soit moins qu’en 1989), elle n’a pas été qualifiée pour le second tour et Bardet n’a donc obtenu aucun élu. Dehors le Front !

Un peu plus à l’Est de Nancy, Lunéville a aussi eu droit à une liste FN, avec à sa tête le conseiller régional et repris de justice Jean-Claude de Sars. Le brave homme avait été condamné par le tribunal correctionnel de Nancy, pour discrimination raciale, le 9 septembre 1988, à 5.000 francs d’amende "pour avoir distribué un tract annonçant une distribution de vêtements destinés seulement aux Français d’origine et aux étrangers originaires de pays membres de la Communauté européenne". Un tract anti-immigrés avait été distribué en nombre, le 13 février 1988 à Lunéville, au nom de "Fraternité française", association pseudo-caritative et discriminatoire, en fait un satellite du Front national [9].

Un pistolet pour menacer un passant maghrébin !

Les deux têtes de liste du FN à Lunéville en 1989 : J-C de Sars et Bernard Thiry

Puis J.-C. de Sars a été condamné par défaut en janvier 1999 à dix mois de prison ferme et 100.000 francs d’amende pour avoir enfreint le code électoral, lors des municipales de 1995 et des cantonales de 1996. Le même mois, il a également été condamné, ainsi que sa compagne, à quinze mois de prison pour avoir confondu l’argent de sa société de chasse "Canchasse" avec son budget personnel : vacances dans les Antilles, voilier, bijoux, 4X4, etc. [10] Il s’est ensuite évaporé dans la nature durant environ quatre ans. "(...) Cet homme d’affaires a disparu depuis plus de trois mois, probablement pour échapper à un contrôle fiscal plutôt rigoureux. Le FN a jugé bon de le convoquer devant sa commission de discipline « pour qu’il s’explique »", écrivait dès 1996 le quotidien Libération [11]. Le FN l’avait invité à démissionner en octobre 1996. Et lors de ces deux jugements de janvier 1999, un mandat d’arrêt a été lancé contre lui [12]. Il est réapparu début 2000 pour faire opposition, auprès du TGI de Nancy, à son jugement de délit au code électoral. Puis il a été relaxé de cette condamnation, par le tribunal de Nancy, fin juin 2000 [13].

A Lunéville aussi la campagne municipale du FN a été animée. Fin février, deux colleurs d’affiches locaux du FN, dont le jeune n°4 de la liste de Sars, mécontents de voir que les affiches qu’ils venaient de coller avaient déjà été arrachées, ont cherché le coupable pour le punir. Malheureusement pour lui, quelques rues plus loin, les deux frontistes à bord de leur voiture tombaient sur un passant d’origine maghrébine. Le coupable bien évidemment, quand on milite au Front ! Insultes racistes, menaces et pistolet sorti par la vitre de la voiture. Après le dépôt de plainte par le jeune homme, les deux militants FN ont été arrêtés, ont reconnu les faits et une arme a bien été saisie au domicile [14].

Dans cette ville d’environ 20.000 habitant.es, la liste FN s’appelait également "Lunéville d’abord", avec 35 candidat.es, dont seulement sept femmes. A sa tête, Jean Claude de Sars, ancien maire de Bionville, petit village du Lunévillois et conseiller régional FN, élu en 1986 (sept élus FN en Lorraine au total) et comme second, Bernard Thiry, commerçant en matériel médical à Lunéville, décédé en décembre 2014. Au premier tour, la liste FN était arrivée en quatrième position, derrière la liste communiste, et avait recueilli 10,03% des suffrages exprimés. Et au second tour, elle n’a obtenu que 7,47% des voix, toujours en quatrième position. Avec tout de même, malheureusement, un élu Front national. Enfin, le FN lunévillois réussira à obtenir trois conseiller.ères municipaux.ales en juin 1995 (Jean-Claude de Sars, Jean-Yves Bon et Danielle Thiébaut), mais qui partiront tous.tes (exclusion et démissions) au cours de leur mandat. Bref, un bilan assez calamiteux...

Bloc antifasciste Nancy (BAF)


Notes

[1Dont trois élus du CNIP, Centre national des indépendants et paysans, parti politique devenu une passerelle entre la droite et l’extrême droite de Le Pen et maintenant celle de Zemmour

[2J-M Le Pen s’était présenté à la présidentielle de 1974 (seulement 100 parrainages nécessaires à l’époque aux candidat.es), deux ans seulement après la création du FN, mais il n’avait obtenu que 0,74% des voix. Puis, en 1981, il n’avait pas réussi à obtenir les 500 parrainages nécessaires à sa candidature (nouvelle règle)

[3Ainsi que 19,9% en Moselle, 15% dans la Meuse et 14,89% dans les Vosges. Soit 17,05% en Lorraine

[4Ainsi que 18,11% à Toul, 18,34% à Pont-à-Mousson et 15,99% à Lunéville. Trois villes moyennes où Le Pen arrivait en troisième position (après le PS François Mitterrand et l’UDF Raymond Barre) et devançait le premier ministre sortant, le RPR Jacques Chirac !

[5L’Est républicain 28 février 1989

[6Plus d’infos sur les liens politiques entre J-C Bardet et B. Mégret dans l’article Nazis dans le rétro #3 : l’OAS sur Nancy

[7L’Est républicain du 9 mars 1989

[8L’Est républicain du 19 mars 1989

[9Le Monde du 11 septembre 1988

[10Plus de détails sur ces deux condamnations dans L’Est républicain du 16 janvier 1999

[11Libération 24 juillet 1996

[12Le Monde 17 janvier 1999

[13L’Est républicain du 22 juin 2000

[14L’Est républicain 2 mars 1989