C’est donc en 1995, dans leur excellent album "Paris sous les bombes", que les deux leaders de NTM chantaient ces paroles sur "la guerre d’Algérie qu’il n’a pas digérée". Il, c’est Jean-Marie Le Pen. Le lieutenant Le Pen pour être plus précis. Il n’a donc toujours pas digéré cette déconvenue, mais comme une bonne partie de l’extrême droite française qui rêve toujours de l’Algérie française et donc du "temps béni des colonies" [1]. 1962 ou 2023, soit maintenant plus de 60 ans après la fin de la guerre et la signature des accords d’Evian, iels chouinent toujours. Nostalgie, nostalgie, quand tu les tiens...
Le 28 juin 2022, le RN José Gonzalez, doyen des député.e.s à l’Assemblée nationale, prononçait le discours d’ouverture de la nouvelle législature. Ce pied-noir de 79 ans y déclarait, des regrets dans la voix : "J’ai laissé là-bas une partie de ma France. Je suis un homme qui a vu son âme à jamais meurtrie par le sentiment d’abandon". Puis, lors d’une suspension de séance quelques minutes après, devant des journalistes, il ajoutait : "Des crimes en Algérie de l’armée française je ne pense pas, et encore moins un crime contre l’humanité [...] franchement je ne suis pas là pour juger si l’OAS a commis des crimes, je ne sais même pas ce qu’est l’OAS ou presque pas". Ben alors José, t’as la mémoire courte quand cela t’arrange... L’OAS, c’est l’Organisation de l’armée secrète, un groupe terroriste d’extrême droite, principalement actif en France et en Algérie, de 1961 à 1965.
Fin 2022, le conseil municipal de Perpignan, avec à sa tête le RN Louis Alliot, nommait une esplanade de la ville au nom de Pierre Sergent. Ce militaire des guerres coloniales (Indochine puis Algérie) et ancien député Front national, était un des chefs de l’OAS en France, qui participa activement au putsch des généraux en Algérie en 1961. Peu de temps avant la signature des accords de paix, Pierre Sergent a été condamné à mort par contumace pour attentat et complot contre l’autorité de l’État puis amnistié par une loi, fin juillet 68.
Les terroristes de l’OAS également à Nancy
Nice, Toulon, Perpignan ou Marignane, ces villes du Sud sont marquées par l’installation de pieds-noirs pro-Algérie française dans la région [2]. Mais la Meurthe-et-Moselle, la Moselle et les Vosges ont aussi gardé des traces des terroristes de l’OAS. Portrait d’une des figures nancéiennes de l’OAS et de l’Algérie française [3] : Gepetto.
Non non, pas Giuseppe, le gentil sculpteur sur bois qui a donné naissance à Pinocchio, mais Jean-Claude Bardet, l’idéologue d’extrême droite qui a donné naissance politiquement à Bruno Mégret, l’ex n°2 du Front national [4]. Gepetto donc, car c’est ainsi qu’il était surnommé au sein du Front national, est né à Nancy dans une famille bourgeoise et commerçante, propriétaire de l’ex-quincaillerie Bardet, rue Saint Nicolas à Nancy. Il a maintenant 82 ans et fut notamment DRH pour le laboratoire pharmaceutique Beaufour, un employeur complaisant, qui partageait approximativement la même idéologie politique et qui avait volontairement embauché d’autres membres d’extrême droite [5].
Politiquement, "Bardet a cotoyé Jeune Nation [de Pierre Sidos [6], NDA] dès le lycée (...). A Nancy, il en est le responsable local". Puis en mai 1960, il fut un des cofondateurs de la FEN, la "Fédération des étudiants nationalistes" [7]. Elle fut une organisation étudiante pro-Algérie française et a existé jusqu’à son auto-dissolution en 1967. "Dien Bien Phu a, pour lui aussi, servi d’étincelle". Il sera aussi le responsable local de la FEN et sera le correspondant nancéien de sa revue "Cahiers universitaires" [8].
Puis il a milité au sein de la "Nouvelle droite", un courant de pensée d’extrême droite de tendance païenne et nationale-européenne, qui incluait principalement le GRECE [9] et ses revues Éléments et Nouvelle école (Bardet fut membre de son comité de rédaction [5]) ainsi que le Club de l’Horloge. Il en fut l’un des fondateurs en juillet 1974. Ensuite, Bardet a adhéré au RPR dès sa création en décembre 1976, après avoir été membre, début des années 70, du parti gaulliste, UDR, Union des démocrates pour la République. Il a eu quelques responsabilités au RPR, comme "chargé de mission auprès de Jean Tibéri, délégué général" [5],mais cela ne "représentait pas ses opinions". Puis en 1982, sous le pseudonyme de Jean-Claude Apremont, il a fondé avec Bruno Mégret les CAR, les "Comités d’action républicaine", une structure passerelle entre la droite et l’extrême droite, "un sous club de l’horloge", a résumé Philippe Lamy dans sa thèse [5]. Mais, à un moment, "nous avions d’énormes problèmes financiers avec les CAR. Nous étions totalement coincés et n’avions plus d’autre solution que de nous tourner vers le FN. Mais ce ne fut pas de gaieté de cœur", avait reconnu Gepetto Bardet [5].
Et enfin, J-C Bardet s’est donc rapproché du Front national lors des élections législatives de 1986, puis y a adhéré en 1988, après l’avoir dénigré quelques années plus tôt [10]. Il a rapidement gravi les échelons du FN qui avait besoin de cadres, jusqu’à devenir en 1992 membre de son bureau politique. Il a localement été conseiller municipal à Nancy et conseiller régional. A partir de mai 1989, il a également été le responsable de Identité, la revue idéologique du FN. En décembre 1998, il suivra évidemment la ligne MNR (Mouvement national républicain) de son ami Bruno Mégret, lors de la tentative de putsch [11].
A la tête d’un réseau de plastiqueurs
Mais avant d’être considéré comme un intellectuel d’extrême droite, J-C Bardet a été bien plus turbulent. Il a été condamné à Paris, en octobre 1963, à huit ans de réclusion criminelle [12], ainsi que 37 autres personnes condamnées, par la Cour de sureté de l’État, pour avoir fait partie de réseaux de plastiqueurs pro-Algérie française. "Je pensais qu’il fallait se battre pour l’Algérie française, je ne regrette rien", répondait J-C Bardet par la suite. Il a été incarcéré de 1962 à 1964, tout d’abord à la prison de la Santé à Paris, puis à celle de Toul. Il a ensuite bénéficié d’une amnistie présidentielle en juillet 1964.
Concrètement, trois réseaux de plastiqueurs ont semé la terreur dans Nancy et ses environs. "Une trentaine d’inculpés pour la seule ville de Nancy", titrait alors, comme un triste bilan, la presse locale [13]. Ils ont opéré entre janvier et juin 1962 et ont commis localement dix-neuf attentats à l’explosif. Ils ont également envoyé des tracts, des lettres et des menaces de morts à des opposants politiques nancéiens. Plusieurs étudiants de la fac de droit de Nancy avaient été arrêtés.
Parmi eux donc, Jean-Claude Bardet, étudiant de 21 ans, qui s’était révélé être à la tête d’un des réseaux de l’OAS Nancy, le "Réseau Dominique". Le quotidien L’Est républicain expliquait ainsi à l’époque son arrestation : "Longtemps, il fut soupçonné d’être en quelque sorte le secrétaire du réseau Dominique. On sait (...) qu’il avait été trouvé en possession d’une machine à écrire de marque étrangère, dont la caractéristique principale était de ne pas marquer les accents. C’est sur cette machine qu’avaient été tapées notamment toutes les lettres de menaces adressées à plusieurs personnalités du département. Or en fait, les responsabilités de Jean-Claude Bardet étaient plus importantes encore. Pressé de questions, acculés à la suite de nombreux témoignages, le jeune étudiant s’est effondré hier : "Oui, dit-il. C’est vrai. J’ai commandé le réseau Dominique !" [14].
Attentats contre des opposants à la guerre d’Algérie
Surnommé à ce moment-là dans la clandestinité, "Le peintre" ou "Coco", J-C Bardet "est un des rares militants de l’armée secrète de Nancy à ne pas avoir encore été repéré par la police. Il en profite pour assister aux réunions publiques anti-OAS – assis au premier rang. C’est son côté provocateur, mais cela lui permet surtout de repérer des visages. Son réseau dispose d’une provision de plastic qui date de la période poujadiste. Ces explosifs ne sont pas en très bon état, mais Jean-Claude Bardet va tout de même s’en servir contre des cibles privilégiées, des professeurs ou des journalistes, ou le militant socialiste et futur responsable du théâtre de Nancy Jack Lang [15]. Toutefois, les engins sont capricieux et la matière explosive se révèle souvent inerte ; certaines bombes artisanales sautent, d’autres pas. Un indicateur infiltré par la police va provoquer l’arrestation de tous les membres du réseau – une quarantaine de jeune pieds-noirs de Nancy et de fils d’anciens des mouvements pétainistes", avait précisé dans son ouvrage le journaliste Frédéric Charpier [8].
On le sait depuis longtemps, l’extrême droite et le FN/RN ne sont pas à une incohérence près ! On peut les entendre à longueur de campagnes électorales réclamer, à grands coups d’amalgames, "La mort ! Peine capitale pour tous les terroristes", "le rétablissement de la double peine" ou "la fermeture des mosquées radicales". Mais ils vont très vite à oublier ceux qui, au sein de leurs propres rangs, ont une carrière de terroristes ou d’assassins...
BAF Nancy (Bloc antifasciste)
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