Début mars 2024, à l’appel du groupuscule "Lorraine catholique", une quinzaine de militant.e.s royalistes, de catholiques traditionalistes et d’ex-CIVITAS-Moselle (rassurez-vous, ce sont souvent les mêmes [1] ) se sont retrouvé.e.s à l’intérieur de la cathédrale Saint-Etienne de Metz "pour prier en réparation des offenses faites à Dieu par les avortements et la constitutionnalisation de l’IVG" [2]. "Récitation du rosaire pour un chapelet de réparation", autour du trio tout doucement habituel : Cassandre Fristot, condamnée pour antisémitisme en octobre 2021 [3], Mike Ametrano alias Neo Salva, le vidéaste intégriste et complotiste ainsi que Florent, le leader royaliste de "Lorraine catholique". On avait déjà pu aussi les croiser ensemble dans les rues de Metz, lors des mobilisations antivax de 2021. Une contre-manifestation à leurs intolérantes prières anti-IVG a été organisée devant la cathédrale de Metz, par des militant.e.s libertaires et antifas, aboutissant à deux gardes à vue [4].
Si les militant.e.s anti-avortement ont fait leur apparition en France au début des années 70, au moment des discussions puis de l’adoption fin décembre 1974 de la loi Veil sur la dépénalisation de l’IVG, c’est dans la seconde moitié de la décennie 80 que le grand public français les découvre au travers de leurs actions-chocs [5] : dégradations des salles d’intervention, détériorations de matériel, enchaînements dans des centres d’orthogénie, violences sur le personnel hospitalier, prières de rue, tractages devant les cliniques, etc. Le grand public lorrain a malheureusement aussi découvert cela. Retour donc à Nancy et à Metz, près de cinquante ans en arrière.
L’antenne nancéienne de l’association anti-IVG "Laissez-les-vivre/SOS futures mères" a été créée à Nancy en 1975 [6]. Puis en 1980, le "Comité d’accueil à l’enfant" (CAE) a été créé. Présidé par le pédiatre nancéien Michel Pierson, il a structuré jusqu’à une dizaine de groupes locaux réactionnaires (parfois des coquilles vides, avec souvent les mêmes militant.e.s), dont "Aide à la maternité blessée", "Aide aux futures mères" ou "SOS future maman", pour faussement s’éloigner du sulfureux groupe "Laissez-les-vivre" de Jérôme Lejeune (créé en 1971). Guy Rauber (médecin au CHRU de Nancy et professeur à la faculté de médecine de Nancy) et Pierre-Marie Talleu (greffier au tribunal de Nancy) furent également présidents et animateur du CAE. Ce Comité semble avoir été dissous en avril 2000.
- Michel Pierson, président du CAE, comité anti-avortement de Nancy (image FR3-Lorraine)
Durant les années 90 et pendant plusieurs années, le CAE disposait d’un logement d’urgence qu’il pouvait temporairement "prêter" à des femmes enceintes en difficulté. Mais aussi d’une friperie sociale pour mômes, rue Jeanne d’Arc à Nancy (fermée depuis). Evidemment, leur objectif n’était pas simplement l’altruisme, mais il était avant tout de réussir à convaincre ces femmes en galère de ne pas avorter. Au début des années 90, ce Comité anti-avortement avait réussi à nouer des contacts réguliers avec des services sociaux officiels, mais aussi avec le Centre communal d’action sociale (CCAS) de la mairie de Nancy ou l’ex "Carrefour santé", à deux pas à l’époque du centre commercial Saint-Sébastien.
Stopper les IVG pendant la venue du pape
Bien soutenue par la réactionnaire Elisabeth Laithier, ancienne candidate pour le vicomte Philippe de Villiers (RPF, Rassemblement pour la France) et ex-adjointe au maire à la petite enfance, ces militant.e.s de SOS futures mères étaient subventionné.e.s par la mairie de droite d’André Rossinot. Après des pressions de militant.e.s féministes et antifas locaux, la mairie a enfin lâché l’affaire en 1998. Cette structure avait aussi réussi à convaincre, pendant des années, le quotidien local "L’Est républicain" de publier chaque jour ses coordonnées et ses contacts, au milieu de structures réellement utiles et d’urgence, comme les pompiers, SOS médecins, le centre antipoison, SOS amitié, AIDES-Nancy, etc. [7]
À Nancy, ce Comité d’accueil à l’enfant se mobilise pour la première fois aux yeux de toutes et tous, le 16 janvier 1988, lors d’une "cérémonie expiatoire". Une cinquantaine d’hommes et de femmes s’est rassemblée devant le monument aux morts de la porte Desilles, afin de protester contre le droit à l’avortement, le développement de la pilule abortive RU486 et afin de soutenir "les victimes du plus grand génocide franco-français". Les militant.e.s avaient déposé des gerbes de fleurs, au nom du "Comité d’accueil à l’enfant / Aide aux futures mères" [8].
Puis en octobre de la même année, des militant.e.s anti-avortement de l’association parisienne "La Trêve de Dieu", fondée en 1988 par Claire Fontana, "sillonnent avec une délégation les cliniques de Strasbourg, expliquant qu’il faut résister à l’avortement comme il [le Dr Feldman, ancien déporté résistant et engagé contre l’avortement, NDA] l’a fait face au nazisme. D’autres visites ont eu lieu à Metz et à Nancy" [9]. "Du 8 au 11 octobre : c’est la création de la Trêve de Dieu, plusieurs hôpitaux sont attaqués à Nancy, Strasbourg et Metz", signalait également, en 1995, la politologue Fiammetta Venner [5]. Enfin, des affichettes annonçant la création de la Trêve de Dieu, lors de la venue du Pape Jean-Paul II dans l’Est de la France avaient été collées dans plusieurs villes d’Alsace, de Moselle et de Meurthe-et-Moselle. "Lors de sa création, la Trêve de Dieu a interpellé les élus locaux d’Alsace et de Lorraine : députés, sénateurs, conseillers régionaux et quelques maires afin d’intervenir auprès des hôpitaux pour que du 8 au 11 octobre 1988, date de la venue en France du Pape, il n’y ait pas d’avortements". Plusieurs élus y avaient répondu favorablement, comme Bernard Guy [10], ancien maire bien à droite (CNIP) de Pont-à-Mousson (54) et ex-conseiller général de Meurthe-et-Moselle ou, en Moselle, le gaulliste Robert Pax, ancien maire MRP de Sarreguemines (qui avait même adhéré à la Trêve de Dieu), Jean-Marie Demange, ancien député RPR de Moselle et ancien maire de Thionville ou Aloyse Warhouver, ancien député de Moselle (canton de Sarrebourg) [5].
Le 18 décembre 1989, tôt le matin, une quarantaine de militant.e.s parisien.ne.s et nancéien.ne.s de l’association "La Trêve de Dieu", dont leur vice-président Thierry Lefèvre, s’attaque au Planning familial de Nancy, installé à l’époque dans l’hôpital Maringer (Quai de la Bataille). Lors d’une opération "Rescue" (sauvetage), ielles en bloquent les différentes entrées puis envahissent les locaux. Ielles ont dû être délogé.e.s de force par la police et les pompiers. L’association locale anti-avortement SOS futures mères "faisait remarquer qu’elle n’approuvait pas ce genre de manifestation, préférant travailler dans le sens de l’accueil de la personne et n’a pas apporté son soutien" [11]. Si on ne peut même plus compter sur les copains et copines, quelle tristesse ! Selon les décomptes de la politologue Fiammetta Venner, il s’agirait d’une des premières actions commandos des anti-avortement en province. Quelle gloire pour Nancy...
Enchaîné.es dans la salle d’intervention
La même bande d’intolérant.e.s du Comité d’accueil à l’enfant a remis cela le 20 janvier 1990. Toujours devant le monument aux morts de la Porte Desilles à Nancy, une centaine de militant.e.s anti-IVG avait organisé une cérémonie dramatisée et avait dénoncé les "3.000.000 d’enfants que leur mère ont empêché de naître (...) et qui ne sont pas morts pour la France, mais de la France". Car "c’est plus ou moins un meurtre, c’est effroyable !" [12], avait alors témoigné une femme franchement réactionnaire. Toujours un dépôt de gerbe suivi d’une minute de silence. Les troupes de Michel Pierson, alors pédiatre au CHU de Nancy et surtout président local du "Comité d’accueil à l’enfant" et de l’"Association des médecins pour le respect de la vie" (AMRV) étaient essentiellement composées de catholiques bon teint et grisonnant.e.s, de jeunes couples, de jeunes femmes scoutes catholiques, jupe stricte et béret vissé sur la tête et de jeunes hommes nationalistes engoncés dans leur blouson en cuir. "Le député-maire de Saint-Max [le RPR Gérard Léonard, NDA] approuve notre démarche", avait affirmé Michel Pierson à un journaliste de L’Est républicain [13].
Michel Pierson, ce médecin anti-avortement nancéien, a d’ailleurs été un des membres du comité médical et scientifique de la "Commission d’enquête sur la pilule RU 486", créée par la Trêve de Dieu en 1990 et dont Bernard Kerdelhué était le rapporteur. Ce dernier fut également membre de la Trêve de Dieu. Très objective cette commission donc... "Créé par la Trêve de Dieu pour donner un aspect scientifique à la lutte contre la pilule abortive. Son rapporteur a d’ailleurs représenté la commission au Sommet des experts sur la vie convoqué par le Vatican, les 20 et 21 avril 1991. C’est sur ces rapports émanant de cette commission que le Vatican construit son opposition au RU 486. Le cardinal Lopez-Trujillo a demandé aux participants de diffuser le document de travail. La Trêve de Dieu l’a publié intégralement" [5]. Ce rapport fallacieux est d’ailleurs toujours accessible en ligne.
Du côté de Metz, le 22 septembre 1990, vers 7h du matin, une quinzaine de militant.e.s chrétien.ne.s anti-avortement a envahi la Clinique Sainte Thérèse de Longeville-lès-Metz (57). Toujours avec le renfort de militant.e.s parisien.ne.s, la moitié a envahi et dégradé les blocs opératoires où étaient effectuées ces IVG et s’est enchaînée au matériel médical, l’autre moitié occupait l’entrée, priait à genoux et distribuait des tracts et des affiches. C’était, pour les militant.e.s parisien.ne.s présent.e.s, la troisième intervention violente de ce type dans la même semaine, après Paris et Lyon quelques jours auparavant. Avec des affiches de l’association française "Laissez-les-vivre / SOS futures mères", d’autres volontairement sanguinolentes et certaines provenant directement du mouvement américain anti-IVG "Human Life international" (uniquement en anglais donc). Une "Opération sauvetage de bébé" titrait alors la chaine régionale de FR3 [14], durant laquelle ielles ont occupé toute la journée cette clinique messine pour empêcher physiquement des avortements. Un fourgon de la police nationale était sur place, sans intervention très efficiente, car les militant.e.s anti-IVG ont pu y rester toute la journée. Une plainte avait été déposée par la direction de la clinique pour détérioration de matériel, voies de fait et violation de domicile. Le parquet avait engagé une procédure judiciaire [15].
Chapelets et prières pour le respect de la loi divine
Fin janvier 1993, la loi présentée par la PS Véronique Neiertz, à l’époque secrétaire d’État aux droits des femmes (second septennat de François Mitterrand), avait créé le délit d’"entrave à avortement volontaire". Stoppant donc au fur et à mesure ces commandos violents [16].
Enfin, la politologue Fiammetta Venner signalait en 1995 l’existence d’une autre association anti-avortement en Meurthe-et-Moselle : "SOS Futures mamans de Lorraine’". Présidé par Mme Plaire et, "formé comme les autres services d’aide aux femmes en détresse, le centre est basé à Longwy. Il possède un réseau de familles d’accueil, et distribue entre autres de la layette, du mobilier, de l’électroménager et des articles de puériculture" [5].
Enfin, de 2010 à 2017, quelques militant.e.s et sympathisant.e.s nancéien.ne.s de SOS Tout-Petits [17] ont organisé certaines années à Nancy des "prières publiques de réparation, d’intercession et de conversion devant le crime abominable et légalisé de l’avortement". Des "prières de réparation", exactement le même vocabulaire que les prières récentes anti-IVG des feu-CIVITAS Metz et de Lorraine catholique. Chapelet à la main, ielles étaient présent.e.s "pour manifester publiquement [leur] attachement à la loi divine (...) et pour le respect de la vie innocente" [18].
Généralement fin novembre, une vingtaine de réacs se retrouvait place d’Alliance à Nancy pour prier à genoux par terre, bien protégée par un cordon de CRS. Avec quelques têtes bien connues localement comme, par exemple, Robert Davion (ex-militant et candidat FN et CIVITAS), Jérôme Camara [19] (ex-milicien du Christ - "Militia Christi" et depuis un peu plus d’un an chez CIVITAS-Moselle) ou Pierre-Nicolas Nups (ex-FN et ex-GUD, actuellement au "Parti de la France" du pétainiste Thomas Joly). Mais aussi une poignée de jeunes nationalistes, les anciens de "Lorraine nationaliste" ayant toujours participé à ces initiatives, des cathos et des curés intégristes de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X et des têtes bien grisonnantes, face au contre-rassemblement des féministes, antifas et autres forces progressistes de Nancy. "Smash Fascism, flics, fachos, bourgeois, même combat !!" scandaient ces militant.es antifas, derrière leur banderole colorée et offensive, avant d’entonner une "Salsa du démon" ... endiablée.
Bloc antifasciste - BAF Nancy
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