Nazis dans le rétro #6 : musique heil en Lorraine

Nancy (54) |

Pas besoin d’aller à Rome, à Paris ou à Kiev pour trouver des groupes de musique nationalistes et des concerts bien pourris. La Lorraine a malheureusement aussi eu son lot de chanteurs nazes et de groupies qui sieg.

Le 18 février 2023, un journaliste de Médiapart [1] rendait publiques des informations sur la programmation d’un concert de NSBM [2] (National socialist black metal), lors d’une soirée néonazie "Night for the blood", qui devait se dérouler une semaine après, à une heure de Nancy, dans la salle des fêtes d’un petit village dans les environs de Saint-Dié-des-Vosges. Il a été annulé par la préfète des Vosges, sur consigne du ministre de l’intérieur. Puis le 6 mai 2023, le rappeur nationaliste Millesime K était annoncé en concert à Nancy, lors de sa tournée en France [3].

Nous expliquions alors autour de nous que ce genre de soirées n’étaient pas que divertissantes (pour elleux, évidemment !), mais que la scène musicale est aussi un moyen de recrutement politique de nouvelles.aux militant.es radicales.aux, avec des risques (avérés) de violences post-concerts. L’extrême droite le sait et elle continue à organiser de nouveaux concerts un peu partout en France. Trois autres exemples plutôt récents : le 6 mai 2023, un concert de "rock aryen", après la dernière manifestation du C9M, en région parisienne [4], le 14 novembre dernier, un concert RAC de "rock antiwokisme", transformé au dernier moment (car interdictions préfectorales) en soirée musicale nationaliste, dans la région lyonnaise [5] et le 24 février 2024, la programmation d’une nouvelle soirée nazifiante "Call of terror", toujours en région lyonnaise [6]. Le fascisme se maintient donc toujours sur certaines scènes musicales... [7]

Plusieurs styles de musique traversent les rangs des naziskins. La oi! est née en Angleterre, à la fin des années 70. Elle est un dérivé du punk-rock et peut être nationaliste comme antifa. Toujours fin 70’s, le RAC (Rock against communism) a débarqué sur les scènes londoniennes. Si la oi! a vu se développer des groupes clairement fascistes d’un côté et clairement antifascistes de l’autre, le RAC est uniquement le support musical de l’extrême droite radicale, en lien avec la montée en Angleterre du National Front. Le groupe anglais de référence chez les naziskins est Skrewdriver et son chanteur décédé Ian Stuart Donaldson. Le groupe, qui reste mythique dans les rangs nationalistes, n’a pas survécu à la mort accidentelle de son leader, en septembre 1993.

Reportage sur la dissolution des Strasbourgeois d’Elsass Korps (France 2 - mai 2005)

Et dans le coin, en Alsace, le groupe de RAC "Elsass Korps" a existé plusieurs années. C’était "un groupe politique doublé d’un groupe musical de tendance néo-nazi, créé en 1993 par Bruno et Yves Adler (...). En tant que groupe de RAC, il naîtra à Colmar, organisant des concerts à l’attention des skinheads alsaciens et surtout allemands" [8]. Le groupe, qui s’appuyait pourtant sur une boite de diffusion basée à 10 km de Strasbourg, n’a jamais produit d’album. Il a participé à quelques compilations, a organisé et a joué dans plusieurs concerts, parfois très fréquentés. Le groupe musical s’est séparé en 2001 [9]. Et le groupe politique néonazi a lui été dissous par le gouvernement de Villepin le 18 mai 2005 [10].

RIF, RAC, rock en Lorraine

Autre style musical nationaliste, aux genres parfois très mélangés : le RIF, pour Rock identitaire français. Quelques groupes de musique nationalistes ont existé en Lorraine, depuis le début des années 90.

Ce n’est pas du tout une gloire pour Nancy, mais le duo nancéien AION fait partie des premières initiatives de RIF en France. Il a été fondé en 1994 par le nancéien Laurent Steiner, parfois aussi appelé Laurent Bart. Déjà, Laurent Steiner a été tête de liste du syndicat étudiant "Renouveau étudiant en Lorraine", très lié au Front national de la jeunesse [11], lorsqu’il était étudiant à Nancy, à l’Institut d’administration des entreprises (IAE). Et, selon le collectif antifa No Pasaran, Steiner a aussi été membre du groupuscule radical "Troisième voie" [12] avant d’être "militant du syndicat universitaire frontiste" [13]. Politiquement, cela pose déjà bien les choses.

Le groupe était un duo composé du Luxembourgeois Stéphane Vadviz et du Nancéien Laurent Steiner. Ce dernier en était le chanteur, guitariste et claviériste. Vadviz était également guitariste. Leur style est décrit comme du rock industriel, aux tendances new-wave, classé dans le RIF. Aion proposait une "musique que l’on peut qualifier de nationaliste même si elle est surtout marquée par la philosophie et le paganisme européen", résumaient alors les camarades de No Pasaran. Certaines paroles de ses chansons sont des textes de l’ordure antisémite Robert Brasillach [14]. Leurs références musicales sont Laibach et Death in June, deux groupes internationaux de musique industrielle et expérimentale, qui jouent avec l’esthétique fasciste, nazie et totalitaire.

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Le nancéien Laurent Steiner (AION) dans ses oeuvres (à droite sur la photo)

Aion a existé une dizaine d’années et a produit un album en 2000, avec dix titres : "Devotio". Un album empreint de paganisme européen, construit à partir d’un délire politique autour d’un militaire haut-gradé et de l’armée romaine. Dans une interview [15], Steiner y assumait leur "engagement européen" et leur "enracinement identitaire". L’album était une co-production nationaliste des Parisiens de "Mémorial records" et du label nancéien NEM ("Nouvelle Europe musiques"). Aion est également apparu sur trois compilations de RIF : tout d’abord, sur "Nouvelles musiques européennes", sortie en 1995 [16], la compilation des propres morceaux (douze titres) des trois groupes de Steiner, ensuite "Sur les terres du RIF", sortie en 1998 et produite par "Mémorial records" et enfin, en 2002, sur la compilation "Antimondial", avec le label "Bleu-blanc-rock". Car avant AION, Laurent Steiner avait déjà tenté l’aventure musicale et solitaire avec Bainfile et LSVB, avec une sorte d’EP de cold-wave, "Poètes maudits" sorti en 1992. Le duo Aion s’est produit à la fête "Bleu-blanc-rouge" du Front national, à Paris, en septembre 1996 (avec les groupes nationalistes Vae Victis, Ile de France et Fraction) et au concert du FNJ 54, du REEL et du Groupe action jeunesse au Château de Clévant, à 10 km au nord de Nancy, le 31 octobre 1998 (avec Vae Victis et In Memoriam). Concert co-organisé par l’ex-GUD/Unité radicale-Nancy Clément Cuny (fils) et par l’ex-FN et royaliste Jean-Marie Cuny (père).

Désolante variété et grosses guitares !

Autre groupe de RIF, mosellan cette fois-ci : le KSan. Ou l’aventure solitaire du claviériste Fabien Gaudry, au tout début des années 2000. "Un homme orchestre jouant de la variété", dit de lui le collectif No Pasaran. "Il se produisait auparavant sous le nom de Docteur Petit dans le même style musical (...)" [13]. Le KSan a enregistré une démo auto-produite et a participé à deux concerts. Le premier, le 31 mars 2001, dans l’Essonne, avec ses petits camarades de RIF Elendil et Kaiserbund. Il avait été organisé par la revue nationaliste et musicale "Fier de l’être".

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Fabien Gaudry (Le KSan) en concert à Domrémy-la-Pucelle (Meuse) en 2001

Son second concert a eu lieu lors de la fête du MNR en l’honneur de Jeanne d’Arc à Domrémy-la-Pucelle dans la Meuse, le 13 mai 2001, avec la venue sur place du putschiste Bruno Mégret. "Sur les stands du "village MNR" des plats du terroir et aussi des publications nationalistes, des cassettes de "K.SAN", un chanteur mosellan qui affiche ouvertement la couleur en interprétant des textes où il dénonce les politiciens pourris et la sous-culture des banlieues", écrivait alors un journaliste de L’Est républicain [17]. Ce dernier expliquant également qu’il avait pu trouver sur les tables de librairie "des dépliants de promotion de groupes de "RAC" - comprenez de Rock Anticommuniste - dont les pochettes sont explicitement néo-nazies". Il est à noter que, lors de l’édition 2000, de cette fête johannique à Domrémy, des antifas meusien.nes et nancéien.nes étaient venu.es accueillir, à leur façon, Mégret, ses troupes et son service d’ordre, le DPA [18].

Enfin, dernier groupe, pour nos voisin.es des Vosges, cette fois-ci : Sacrificia Mortuorum. Un groupe de National socialist black metal (NSBM), composé de trois ou quatre musiciens (en fonction des périodes), à l’orientation politique qui parait claire, non ? "National socialist". Du black métal païen ne cachant pas sa fascination pour le nazisme. Certains webzines qualifient le groupe Sacrificia Mortuorum de "très agressif et malsain !", avec "une idéologie dangereuse et douteuse" [19]. Le groupe semble avoir été fondé en 2000 et il dit être basé à Sainte-Marguerite, juste à côté de Saint-Dié-des-Vosges. Oh, juste à trois kilomètres de la salle des fêtes de Remomeix, là où aurait dû se produire, en février 2023, la soirée (annulée) néonazie "Night for the blood" [1]. Quel heureux hasard... !

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Le NSBM à croix celtique de Sacrificia Mortuorum (le Vosgien Norroy à gauche et l’Avignonnais Mendre à droite)

Sacrificia a sorti quatre albums et trois splits (une compilation, en somme), avec un line-up classique : guitare, basse et batterie. Leur leader et chanteur est le Vosgien Jean-Baptiste Norroy, alias Lord Arawn [18] et un de leurs bassistes fut l’Avignonnais Cyril Mendre, alias Noktu [20], qui gère le label musical "Drakkar productions" (qui a d’ailleurs produit leur album "Possède la bête" en 2018) et qui a joué dans plusieurs groupes, dont les Français de "Peste noire" [2].

Décidément, Sacrificia Mortuorum aime vraiment bien l’extrême droite et surtout la croix celtique qu’il a incluse dans son logo, sur ses pochettes et visuels. Le groupe vosgien a quand même déjà fait plusieurs dates : par exemple, programmé au "Hot shower fest" italien, avec une programmation internationale néonazie, dont les Savoyards de "Baise ma hache" en avril 2016 (concert annulé au dernier moment suite aux pressions des antifas), participation au concert des Avignonnais de "Peste noire" près de Limoges en octobre 2016 [21] ou au concert "Night of honour part II" avec des groupes néonazis européens dans le local du biker naziskin Serge Ayoub, dans l’Aisne en février 2017 [22].

Évidemment, si on parle de groupes locaux de musique nationaliste ou néonazie, on parle malheureusement aussi de concerts haineux, parfois bien mal fréquentés. La Lorraine n’y a pas du tout échappé. Nous reviendrons sur ces concerts naziskins en Lorraine, dans un prochain épisode des "Nazis dans le rétro".

Bloc antifasciste - BAF Nancy

P.-S.

Nous n’avons volontairement référencé aucun lien musical pour tous ces groupes haineux. En trainant sur le web et chez un célèbre hébergeur américain de vidéos et de musiques, vous les trouverez malheureusement assez facilement.

Et pour celles et ceux qui veulent développer ce sujet de la musique nationaliste, qui revient un peu à la mode côté fachos, n’hésitez pas à lire le très bon ouvrage collectif de No Pasaran : "Rock haine roll, origines, histoires et acteurs du Rock Identitaire Français, une tentative de contre-culture d’extrême droite", éditions No Pasaran, juin 2004.


Notes

[3Plusieurs dates de sa tournée avaient été annulées sous la pression des antifas

[8"(Nos) néo-nazis et Ultras-droite", Jacques Leclercq, éditions L’Harmattan, mai 2015

[9"Alsace brune, les extrêmes droites alsaciennes d’hier et d’aujourd’hui", éditions No Pasaran, juin 2006

[11À Nancy a aussi existé le syndicat d’extrême droite "Union de défense des étudiants de Lorraine", très lié à Unité radicale Nancy (même contact téléphonique)

[12Le groupe nationaliste révolutionnaire de Serge Ayoub, dissout en juillet 2013 (comme les JNR, Jeunesses nationalistes révolutionnaires), après le meurtre du camarade Clément Méric

[13"Rock haine roll, origines, histoires et acteur du rock identitaire français", No Pasaran, éditions No Pasaran, juin 2004

[14Robert Brasillach a été condamné et fusillé après la seconde guerre mondiale pour intelligence avec l’ennemi

[15Interview publiée en 2001 par le webzine musical Wardance

[16Compilation rééditée par NEM en CD en 2007

[17L’Est républicain 14 mai 2001

[18France 3 - Lorraine du 14 mai 2000

[19Plus d’infos sur ce groupe, sa musique et ses albums, par exemple, ici : https://www.spirit-of-metal.com/fr/band/Sacrificia_Mortuorum