A Nancy, plus de 3 000 personnes ont manifesté à l’appel du Bloc Lorrain, regroupées derrière une banderole dénonçant le fichage généralisé auquel contribue le passe sanitaire. Le cortège, massif, déterminé et hétéroclite, a battu le pavé pendant plusieurs heures, se heurtant parfois aux gaz des forces de l’ordre.
Si les manifestations de ces dernières semaines revêtent de plus en plus un caractère populaire, avec ce côté spontané, énergique et un peu confus caractéristique de certain.e.s primo-manifestant.e.s et malgré le fait que la détestation profonde de ce gouvernement néolibéral-autoritaire apparaisse comme le véritable catalyseur de ce mouvement, une partie des forces de gauche reste frileuse à l’idée de se lancer dans la bataille et tenir une position non-interventionniste. On retrouve cette même hésitation qui s’est faite sentir au début du mouvement des Gilets Jaunes et qui, de manière contre-productive, offre un boulevard aux organisations d’extrême droite et autres agitateurs complotistes, qui eux n’hésitent pas un seul instant à s’engouffrer dans le mouvement naissant.
Pourtant, toutes les raisons sont là pour détester le passe sanitaire et le monde qu’il laisse entrevoir. Rappelons d’abord que ce dispositif bien que mis en place au nom de la santé publique sert surtout à préserver une économie mise à mal ces deux dernières années par la pandémie et ses conséquences. Pour preuve, le gouvernement prévoit la fin de la période d’isolement pour les cas-contacts vaccinés afin de remettre tout le monde au travail, et cela malgré les risques de transmissions du virus toujours bien réels, y compris en ce qui concerne les personnes vaccinées. Le passe sanitaire accroît les inégalités de statut au sein de la population et renforcera probablement les logiques de discriminations déjà à l’œuvre lors des contrôles d’identité. Les député.e.s et les forces de l’ordre sont exempté.e.s de passe sanitaire dans leur fonctions contrairement aux soignant.e.s. L’ensemble des salarié.e.s sont menacé.e.s d’une suspension sans rémunération si ils-elles n’adhèrent pas au dispositif. Encore une fois, le gouvernement cherche à faire porter le poids de la crise sanitaire sur les individu.e.s.
Si le vaccin est une arme nécessaire dans la guerre menée au virus, il ne peut être l’unique solution. Il permet certes de gagner du temps face aux vagues successives et aux mutations du virus, mais c’est dans l’hôpital public et les moyens mis à sa disposition que se joue la véritable bataille contre la létalité du virus. Or cela fait des années que les gouvernements successifs, guidés par l’idéologie néolibérale, s’astreignent à le démembrer. Et aujourd’hui encore, on choisit d’injecter des millions d’euros dans des sociétés privées chargées de contrôler le passe sanitaire à l’entrée des hôpitaux plutôt que d’embaucher des soignant.e.s et revaloriser leurs salaires.
Le passe sanitaire c’est aussi un rouage de plus dans la mécanique déjà bien huilée du fichage généralisé. Désormais, il faut décliner son identité partout où l’on va, des cafés aux médiathèques, de la piscine aux concerts, des transports publics aux lieux de travail en passant par les hôpitaux. Bref c’est tout une toile qui se tisse, faite de déplacements quotidiens et de relations sociales. Le tout évidemment à portée de main des institutions répressives. Besoin de connaître l’emploi du temps d’une personne ? C’est très simple, même plus besoin de la convoquer au commissariat du coin, il suffit de retracer virtuellement son parcours à partir du QR Code.
Enfin, le passe sanitaire s’intègre parfaitement à la restructuration capitaliste du moment, celle du capitalisme virtuel. La crise sanitaire a permis l’accélération de cette restructuration. La virtualisation du monde a gagné du terrain à la faveur des confinements. Les applications et autres plateformes ayant recours à l’intelligence artificielle se sont immiscées et s’immiscent toujours un peu plus dans nos vies, créant sans cesse de nouveaux besoins. Se faire livrer à manger, écouter de la musique, rencontrer quelqu’un, travailler, discuter avec des proches, étudier... Tout aspect de l’existence a désormais son application virtuelle, source de profit et de publicités infinie. L’architecture technologique du monde de demain se dessine dès aujourd’hui, un monde panoptique où la technologie permet à la fois la surveillance de masse et la satisfaction immédiate des désirs consuméristes de tout un chacun. Le passe sanitaire n’est rien d’autre que l’une de ces applications virtuelles, un sésame permettant l’accès à la marchandise.
On l’aura bien remarqué, cette restructuration capitaliste s’accompagne d’une destruction des conquis sociaux. C’est pourquoi la mise en place du passe sanitaire s’est doublée de l’annonce d’une nouvelle réforme des retraites et de l’assurance chômage. A la fois pour faire contre-feux, qu’un mouvement social naisse durant l’été et s’essouffle à la rentrée, mais aussi parce que dans la stratégie du choc néolibéral actuelle l’un ne peut aller sans l’autre. Il apparaît donc nécessaire de lutter à la fois contre les mesures antisociales ET le passe sanitaire en tant qu’outils de restructuration capitaliste.
Certes, certaines organisations d’extrême droite, antivax et complotistes ont dès le début saisi l’occasion pour tenter de se positionner à l’avant garde du mouvement mais leur tactique ne semble pas vraiment prendre et la tendance s’est nettement inversée samedi dernier. A Paris et dans quelques autres villes de France, deux manifestations distinctes ont eu lieu, l’une à l’appel des forces réactionnaires l’autre à l’initiative de collectifs d’extrême gauche et de Gilets Jaunes. Ce sont ces dernières qui ont été le plus suivies. Dans d’autres villes, comme à Nantes ou à Lyon par exemple, ce sont les organisations d’extrême gauche qui se sont positionnées en tête de cortège avec banderoles et mots d’ordre. Il apparaît nécessaire aujourd’hui de combattre l’influence des forces réactionnaires, pied à pied, partout où elle s’exerce, y compris et surtout dans les mouvements populaires.
Il apparaît également nécessaire de défendre une politique de santé publique émancipatrice et égalitaire, de favoriser l’accompagnement et la pédagogie plutôt que la coercition, de défendre la levée des brevets sur les vaccins et leur répartition plus juste entre le Nord et le Sud. L’enjeu est ici d’être en capacité de proposer une critique du passe sanitaire qui dépasse la question des "libertés individuelles", concept abstrait à tendance clairement libérale. Dans cette perspective, il serait sans doute bon de se pencher sur les politiques du soin solidaires et communautaires développées par des organisations politiques telles que le Black Panther Party, le Young Lords Party ou Act-Up.
Pour toutes ces raisons, ne désertons pas la rue.
Pour l’Abolition du SyStème.
Compléments d'info à l'article