Il y a un an, le nouveau venu faisait office de curiosité dans un paysage politique devenu rébarbatif, investi par l’éternel bipartisme PS-LR et leurs satellites. Les frasques de la dynastie Lepen ou les hologrammes de Mélenchon ont bien soulevé quelques passions mais le sujet de fascination médiatique restait néanmoins Macron et la vacuité criante de son programme. Comme l’horoscope, dire tout et son contraire rallie à gauche comme à droite et suffit à constituer une majorité autour d’un seul accord relativement large, du PS aux républicains en passant par le centre : une nécessaire continuation de la libéralisation galopante du système.
Et pour ça, on a pas été déçus, le train des réformes poursuivant l’œuvre de destruction des acquis sociaux, annoncée sous son ministère avec la Loi El Khomri, s’est accélérée avec le début du quinquennat. Comme Thatcher, il suffisait d’oser taper sur tout le monde à la fois, en pariant que la déliquescence des syndicats, la retombée de l’engouement mélenchoniste pré-électoral, laisserait un laps de temps suffisant pour s’épargner une riposte sociale concertée. Pari réussi : les ordonnances ont suscité un timide baroud d’honneur syndical, les cheminots se sont échinés dans une triste solitude, les étudiant.e.s se sont aperçu.e.s que la LRU avait contribué à enterrer une bonne partie de l’imaginaire 68 et des potentialités de mobilisation, au profit du sacro-saint contrôle continu et de la peur panique de rester sur le banc de touche des post-bac, parcoursup & co ; et bientôt les retraités s’apercevront que les écrémages progressifs de la fonction publique et que les lois et ordonnances Macron ont déjà considérablement précarisé un nombre importants de travailleurs qui n’iront pas leur prêter mai-forte dans les rues et les aider à cultiver leur jardin, après plusieurs décennies de loyaux services.
Quelques mois de politique ultra-libérale et de sondages en berne plus tard, il est à présent de bon ton de se redire de gauche et de se distancier d’un président gênant qu’on a trop vite élu, sans regarder à la dépense. Dans les chaumières et sur les cristaux liquides, on s’offusque d’une tromperie qu’on a sciemment feint d’ignorer lorsque Ken-Macron affichait sa mâchoire carrée et son visage de plastique sur tous les plateaux télé et qu’on ne parvenait pas à se souvenir le lendemain de ce qu’il avait bien pu raconter. Tout simplement parce que le personnage était tellement vulgaire, lisse et familier que tout le monde pouvait s’y identifier, au contraire de tous les autres qui rejouent inlassablement un Dallas politique éculé et évoluent dans le panthéon narcissique de la médiocrité, à 10 000 lieues des préoccupations usuelles des populations. Avec lui, il y avait un peu ce sentiment du vendeur de tapis qui se présente à notre porte et dont le sourire et la politesse nous caressent tellement l’âme qu’on en perd l’esprit, le temps de signer pour 5 ans de moquette, qui part en lambeaux aussitôt la porte refermée sur le séduisant arnaqueur. C’est le privilège des escrocs de savoir flatter l’ego des puissants pour les soulager de leur escarcelle, tout en sachant attiser les convoitises des pauvres bougres pour leur soutirer la dent en or de la grand-mère.
L’affaire Benalla a un espèce de relent berlusconien, le banal visage des mauvais joueurs qui aiment jouer aux caïds mais resteront toujours les jouets de leurs ambitions dévorantes, dans un monde qui ne les admirera jamais et les craindra tout au mieux. On s’entoure toujours de ceux qui nous ressemblent : Benalla est juste l’âme damnée d’un petit dealer de coke qui, par un tour de perlimpimpin, prend sa revanche sur la société en devenant le calife à la place du calife et ne supporte pas qu’on lui rappelle qui il est et qui restera toujours un imposteur, un vendeur de tapis troués. Mais cette partition on la connaît : quand la poudre aux yeux se dissipe, que la partie se fait plus serrée, il faut coûte que coûte conserver l’illusion, quitte à sacrifier tous les Benalla et autres petites mains vénales qui font tâche dans le décor ; quand vient le moment de troquer le gant de boxe contre celui de velours de la haute méritocratie. Mais à virer progressivement tous ceux qui nous font honte devant la galerie, on finit par ne se retrouver en politique plus qu’avec ceux qui nous méprisent et qui attendent que la chance tourne pour nous reléguer au cimetière des imbéciles utiles.
D’ici là l’Élysée prend, comme la Maison Blanche, des allures de petite entreprise mafieuse qui liquide l’avenir sur l’autel d’une vénalité vulgaire. Au bout du quinquennat, il ne restera sur le bureau de Macron qu’une pile d’hypothèques sociales au profit du MEDEF, une promesse d’embauche à l’OCDE, l’énorme cahier de doléances restées sans réponses d’une fonction publique en lambeaux, le scénario fataliste d’une guerre sociale et civile anticipée par des Alain Bauer qui se plaisent à jouer les cassandre au grand plaisir de leurs amis vendeurs d’armes, et aussi quelques cadavres de Heineken et une boîte de pizza entamée qu’Emmanuel n’a jamais sut se résoudre à oublier, de la bonne époque où il prenait sa pause de midi de l’inspection des finances, dans le parc de Bercy.
Maintenant qu’on a brossé le portrait du présent, est-ce qu’on attend de se faire ratonner par des Benalla dans les manifs ou devant les usines, comme au bon vieux temps de Pasqua ? Ou bien on prend conscience rapidement que cette dernière année n’était qu’un amer avant-goût sécuritaire et anti-social de ce qui suit dans les 4 années à venir, et qu’il se pourrait bien que les nouvelles prisons ne suffisent pas à contenir toutes les tentatives frénétiques de perpétuer les luttes qui nous ont amenées jusqu’ici ?
katyusha_AT_riseup.net
Compléments d'info à l'article