En France, fin septembre 1988, des catholiques intégristes ont commencé à violemment attaquer le film de Martin Scorsese "La dernière tentation du Christ", film américain avec notamment Willem Dafoe, dans le rôle de Jésus et Harvey Keitel, un des acteurs fétiches de Scorsese, dans celui de Judas [1]. Puis, début octobre 1988, les mêmes catholiques intégristes ont aussi fait pression sur le film de Claude Chabrol "Une affaire de femmes", lui aussi jugé blasphématoire par l’extrême droite [2]. Un spectateur était d’ailleurs mort d’une crise cardique le 8 octobre 1988, après une attaque et le jet d’une bombe lacrymogène dans une salle de cinéma parisienne qui projetait le film de Chabrol [3]. Enfin, toujours durant ce mois d’octobre 1988, rappelons-nous que les mêmes troupes catholiques françaises mettaient la pression sur le fabricant de la pilule abortive RU486 pour faire stopper sa commercialisation en France [4]. Quel obscur automne 1988... !
Mais revenons au cinéma. Le film de Scorsese est l’adaptation sur écran du roman éponyme de Nikos Kazantzakis, publié lui en 1954. La Cinémathèque française décrit le film en parlant de la vie d’un "Jésus taraudé par sa double nature humaine et divine" [5]. Et la radio France Info commentait ainsi le film : "(...) ce Christ essentiellement humain, un être faible, saisi par le doute et cherchant à se dérober à son destin" [6]. "L’évangile selon Scorsese", résumait La Cinémathèque. Mais, la haine à la commissure des lèvres, des groupes d’intolérant.e.s avaient fortement perturbé la sortie de ce film aux Etats-Unis d’Amérique puis en France, y compris dans le Nord-Est. Ils l’accusaient de blasphème, d’outrage, d’offense, d’insulte, de sacrilège, etc.
À Paris, sous la pression de la hiérarchie catholique et les fortes menaces de l’extrême droite, un bon nombre des projections de ce film ont été annulées sous la peur, par les responsables de cinéma. Certaines salles, qui maintenaient courageusement cette programmation, ont dû être protégées par la police, du fait de menaces ou de prières de rue devant les cinémas. Des tracts haineux ont également été distribués aux passant.e.s.
Dans la nuit du 22 au 23 octobre 1988, les plus radicaux.ales d’entre elleux ont déposé un engin incendiaire dans le cinéma Saint-Michel, dans le 5ème arrondissement de Paris [7]. Ce violent attentat a fait quatorze blessé.es, dont quatre gravement intoxiqué.e.s et d’énormes dégâts matériels. Un an et demi après ces faits de terrorisme, le 5 avril 1990, cinq jeunes hommes fanatiques ont été condamnés à de la prison avec sursis (de 15 à 36 mois) et à payer des dommages et intérêts, pour association de malfaiteurs et destructions aggravées ayant entrainé des coups et blessures volontaires [8].
250 intégristes priaient devant la cathédrale de Nancy
- Les cathos intégristes du MJCF et l’Action française manifestent à Nancy
A Nancy, les bigots et les bigotes ont profité de la venue de leur pape Jean-Paul II, à Strasbourg, à Metz puis à Nancy (du 8 au 11 octobre 1988), pour rameuter leurs troupes contre les projections du film de Martin Scorsese. Le 11 octobre, lors de la venue du pape à Nancy, une vingtaine de jeunes du "Collectif contre le blasphème" distribuaient, aux passant.e.s et aux catholiques présent.e.s, des tracts appelant à boycotter ce film : "Ne touchez pas à Dieu". Des militant.e.s de cinq groupes locaux s’étaient donc mobilisé.e.s : le "Mouvement de la jeunesse catholique de France" (MJCF, la jeunesse catho intégriste) [9], "Chrétienté-Solidarité", le mouvement catho traditionaliste créé par l’ex-FN Bernard Antony (aka Romain Marie) et présidé depuis l’été 2022 par Yann Baly [10], "Club Culture et civisme" (association locale pseudo culturelle, avant tout réactionnaire), l’"Association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne" (AGRIF, aussi nationalement présidée par l’ex-FN Bernard Antony et longtemps présidée à Nancy par l’ex-FN et royaliste Jean-Marie Cuny) et enfin l’Action française de Nancy. Notons au passage que ce sont aujourd’hui toutes et tous des ami.e.s ou des invité.e.s de la librairie nancéienne "Les Deux Cités".
La Contre-réforme catholique de Nancy [11] appelait également à cette mobilisation contre le film et proposait "la méditation du chemin de croix (...) à la cathédrale de Nancy, en réparation des outrages qui offensent profondément la cœur de Jésus-Christ crucifié" [12]. Les mêmes méthodes que leurs ami.e.s de Civitas ! Le 12 octobre donc, 250 personnes (selon la presse locale) ont manifesté et prié dans les rues du centre de Nancy et devant la cathédrale (aux portes volontairement fermées), contre ce "cinéma pourrisseur" [13]. "Scorsese insulte le Christ" et "Chrétiens réveillez-vous" annonçaient les banderoles de tête. Le même jour, un inconnu a brisé l’une des vitrines du cinéma Caméo, qui projetait le film de Scorsese, et une très jeune femme est venue prier, en début d’après midi, devant le cinoche avant la première séance. Pour info, Michel Humbert, l’ex-directeur du Caméo-Nancy, avait courageusement maintenu le film à l’affiche, trois semaines durant.
De plus, chez nos voisin.e.s de Metz, le film a été localement déprogrammé, "en raison d’un accord passé entre les exploitants et les autorités locales, pour cause de visite papale" [14]. Déprogrammé le mardi soir puis reprogrammé le mercredi 12 octobre, quelques heures donc avant la première projection, les séances se sont déroulées dans une ambiance tendue : à l’entrée du cinéma, "les vigiles (avaient) découvert quatre bombes lacrymogènes dans les sacs des premiers cinéphiles (...)". À Strasbourg, du fait de ces violentes menaces, les deux salles qui devaient projeter le film de Scorsese l’ont déprogrammé.
Terrorisme d’extrême droite à Besançon
Le même genre de militant.e.s politiques a également sévi à Besançon (Doubs). Dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 octobre 1988, un catholique intégriste [15], membre de "Chrétienté solidarité" (également lieutenant de réserve et ancien candidat Front national aux cantonales de septembre 1988), a déposé une bombe incendiaire dans le cinéma du centre-ville "Le Building". La salle était heureusement vide à ce moment-là, mais l’explosion a engendré de très importants dégâts matériels. Quelques jours avant cet attentat, ce militant bisontin avait été en contact avec Emmanuel Dousseau, le principal responsable de l’attentat du cinéma parisien Saint-Michel.
Quelques jours avant le début des projections de "La dernière tentation du Christ", le directeur de ce cinéma avait reçu des menaces téléphoniques anonymes (comme le commissariat de quartier d’ailleurs), dont certaines lui annonçaient le "passage prochain d’un commando justicier" [15]. Quelques heures avant cet attentat, une poignée de catholiques intolérant.e.s était venue prier devant l’établissement pour protester contre ce film "maléfique", durant environ une heure trente. Et juste avant la dernière séance (car le cinéma a dû définitivement fermer ses portes après cet incendie criminel), "trois jeunes gens avaient aspergé d’un produit inflammable la porte de la cabine de projection. (... et) avaient allumé un début d’incendie qui fut immédiatement maitrisé" [16].
Sur l’ensemble du territoire français, les services de police ont recensé, pour ce seul mois d’octobre 1988, une cinquantaine d’attentats commis dans différentes salles de cinéma contre ce film de Martin Scorsese.
Et il parait que Dieu est amour et lumière... Mais là, on n’y voit que de la violence, de la haine, de l’obscurantisme et même du terrorisme !
Bloc antifasciste - BAF Nancy
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