Ces derniers temps, à deux reprises, nous avons levé les yeux au ciel. Pfff... Le 19 juin 2022, la Lorraine avait envoyé quatre député.es RN à l’Assemblée nationale. Belote : Kévin Pfeffer [1], Laurent Jacobelli et Alexandre Loubet pour la Moselle ainsi que Françoise Goulet pour la Meuse. Pour un total de 89 député.es RN à Paris. Le choc !
Puis le 7 juillet 2024, après la calamiteuse dissolution de Macron, rebelote avec dix député.es RN lorrain.es : Françoise Goulet et Maxime Amblard (deux sièges sur deux en Meuse), Frédéric Weber et Anthony Boulogne pour la Meurthe-et-Moselle, Gaëtan Dussausaye et Sébastien Humbert pour les Vosges, et enfin, Alexandre Loubet (réélu au premier tour), Kévin Pfeffer (réélu au premier tour), Laurent Jacobelli et Pascal Jenft pour la Moselle. Soit 143 député.es RN dans toute la France. Une bonne récolte pour le parti de la haine !
Mais ce n’était pas réellement une première pour la Lorraine. Souvenons-nous que la Moselle avait déjà envoyé un député FN messin (à l’époque de Jean-Marie le père) à l’Assemblée nationale, le 16 mars 1986.
Mais si... ! François Mitterrand, moitié président, moitié apprenti sorcier, avait alors, pour la première fois sous le régime de la Cinquième république, organisé des élections législatives au scrutin proportionnel à un tour. Son objectif semblait alors de limiter les dégâts pour la gauche, décevante après cinq ans de mandat présidentiel, et de contenir la victoire de la droite chiraquienne, en prenant le risque évident de faire entrer le FN de Le Pen au Palais Bourbon.
D’un côté, loupé pour Mitterrand : la liste UDF-RPR sort en tête, elle fait près de 45% des voix et Jacques Chirac devient Premier ministre pour deux ans de cohabitation. Et de l’autre, bingo pour Le Pen : le Front national va récolter 9,65% des voix et 35 sièges de député.es [2] pour l’extrême droite (32 sièges pour le FN et 3 sièges pour le CNIP [3]). En quatrième position, à près de 40 000 voix derrière le Parti communiste. En partie une surprise car, selon les sondeurs de l’époque, le FN était tout de même attendu entre 5 et 9%.
Guy Herlory et Jean Kiffer, élus députés droitards

En Lorraine, le FN n’avait pas présenté de candidats aux législatives de juin 1981. Puis J.-M. Le Pen avait réalisé une percée aux élections européennes de juin 1984, avec 12,4% en Lorraine. "Une poussée de l’extrême droite à "digérer"", titrait à l’époque la presse locale [4]. Et globalement, cette liste "Front d’opposition nationale pour l’Europe des patries" avait obtenu 10,95% dans toute la France. Il est à noter que c’est sur cette liste lepéniste que le monarchiste et régionaliste nancéien Jean-Marie Cuny avait été candidat (en 50ème position, non élu).
Aux législatives de mars 1986, le parti lepéniste a obtenu 10,58% des voix en Lorraine : 9,97% en Meurthe-et-Moselle (liste conduite par Jean-Claude Bardet [5]), 10,92% en Meuse (liste conduite par Elisabeth Sauvagnac), 12,08% en Moselle (liste conduite par Guy Herlory) et 7,39% dans les Vosges (liste conduite par Jean-Yves Douissard). En France, le FN avait récolté 9,08% des voix.
Guy Herlory avait conduit la liste du FN en Moselle. Ce radiologue venait alors de rejoindre le Front national depuis un an seulement [6]. Il faisait partie de bon nombre de ces cadres arrivés au FN après les élections européennes réussies de 1984, à qui le Front a vite donné des responsabilités pour étoffer et tenter de rendre crédible le parti de la haine. Guy Herlory, décédé en janvier 2013, avait également été conseiller régional de Lorraine pour le Front national, d’avril 2004 à mars 2010, élu sur la liste FN menée par Thierry Gourlot, un des dirigeants actuels du CNIP.

Ajoutons que, d’une part, Jean Kiffer, alors maire d’Amnéville (57) et conseiller régional de Rombas, avait également été élu député très à droite pour le CNIP, sur sa liste "La Moselle debout". N’oublions pas que le droitier Kiffer avait sympathiquement invité les frontistes Jean-Marie Le Pen et Jean-Pierre Stirbois, à Amnéville, à venir s’exprimer au sujet des fermetures de sites sidérurgiques, en janvier 1985. Que d’autre part, le "Front d’opposition national", une petite liste d’extrême droite concurrente du FN avait été construite en Moselle par Danielle Peiffert, enseignante et ex-candidate du FN alors en délicatesse avec le parti de J.-M. Le Pen, "dont elle avait été la candidate aux européennes de 1984 et aux cantonales de mars 1985" [7]. Et enfin que deux députés FN alsaciens avaient également été élus à l’Assemblée nationale : Robert Spieler (ancien d’Ordre Nouveau, du Parti des forces nouvelles - PFN - puis militant régionaliste) et Gérard Freulet (ancien d’Ordre Nouveau, puis du RPR, puis mégrétiste en 1999).
Immigration, famille, patrie
Le député Herlory était dans la droite ligne du programme économique du FN. Lors d’une conférence de presse en janvier 1987 [8], il expliquait, en lisant péniblement son texte, que les solutions de son parti passaient par la préférence nationale : il fallait donner "la priorité [à l’emploi, NDA] aux nationaux, c’est-à-dire aux Français et aux ressortissants de la Communauté européenne". Le député proposait également de "refuser des marchés aux entreprises qui employaient un taux de main d’œuvre étrangère supérieur à celui indiqué dans le cahier des charges".
Deux mois après, le parti lepéniste prônait la réforme du code de la nationalité : "Être Français, ça se mérite", affichaient un peu partout en France les colleurs du FN. Il reprenait alors les thèmes développés en son sein par les intellectuels de la Nouvelle droite, dont l’énarque Jean-Yves Le Gallou dans son livre "Être Français cela se mérite", écrit à quatre mains avec Jean-François Jalkh, un cadre historique du FN, et publié début 1987. De son côté, le droit du sang bien en tête, Herlory expliquait qu’"être Français c’est être né de parents français. C’est la règle et la seule règle. Les étrangers qui désirent obtenir la nationalité française doivent le désirer et le mériter. Il en est de même pour les enfants qui naissent de parents étrangers, nés sur notre territoire. Ils doivent également répondre à ces critères" [9]. Il mélangeait ensuite volontairement dans ses propos, "les enfants nés de parents immigrés de la première, la deuxième et de la troisième génération", avec "les immigrés clandestins" et "ces gens qui prétendent nous imposer leurs lois".
Lors d’une autre conférence de presse en février 1988, le journaliste résumait ainsi l’intervention de Guy Herlory : "Il a rappelé les grandes lignes du programme de Jean-Marie Le Pen : immigration, famille, patrie, redressement économique et défense européenne" [10].
Après ces deux ans de mandat, Guy Herlory s’est de nouveau présenté pour le FN aux élections législatives de juin 1988, dans la circonscription de Forbach (57) et a obtenu 16,28% (non élu).

Rappelons enfin que le jour de ce scrutin parlementaire avait également eu lieu l’élection régionale [11] : en Lorraine, le FN avait obtenu 10,57% des voix [12] et envoyait sept élu.es lepénistes au Conseil régional : Bernard Freppel pour les Vosges, Maryvonne Crespin, Jean-Marie Nicolay, Guy Herlory (remplacé du fait du cumul de ses mandats par Pascal-Bernard de Leersnyder [13]), Fernand Korinek pour la Moselle, ainsi que Jean-Claude de Sars et Jacques Monzein pour la Meurthe-et-Moselle. Quelle sombre journée...
Bloc antifasciste Nancy (BAF)
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