Nazis dans le rétro #10 : Pétain à Nancy

Nancy (54) |

Les fans de l’ignoble Pétain ne sont malheureusement pas si rares dans notre région. Il y a celleux qui vénèrent toujours le héros militaire de la bataille de Verdun, gagnée en décembre 1916. Et il y a celleux qui adorent le chef du régime de Vichy qui a allégrement collaboré avec l’Allemagne nazie. Souvenons-nous que Philippe Pétain a été reçu avec bien des honneurs par le maire de Nancy, à l’Hôtel de Ville et sur la Place Stanislas.

En Lorraine, il y a d’un côté les nostalgiques de Pétain, version Première Guerre mondiale. Celleux qui admirent le général Pétain, vainqueur stratégique de la bataille de Verdun [1], qui a eu lieu de février à décembre 1916. Une longue bataille de positions et de tranchées. 300 000 morts, 400 000 blessés du côté allemand et français. Une belle victoire, c’est sûr ? Ne serait-ce pas plutôt, "Oh Barbara, quelle connerie la guerre", comme l’a écrit le poète Jacques Prévert, pendant la Seconde Guerre mondiale.

Au sein de l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain, des nostalgiques réclament depuis soixante-dix ans le rapatriement du corps de Pétain de l’Ile d’Yeu en Vendée à l’ossuaire de Douaumont-Vaux en Meuse, ce monument construit à la mémoire de tous les soldats tués lors de cette bataille. Iels réclament aussi la révision du procès de Pétain, ainsi que sa réhabilitation. En février 1973, un commando d’extrême droite avait d’ailleurs déterré et volé le cercueil de Pétain afin de tenter de le transférer illégalement à Verdun [2]. Les deux pied-nickelés les plus connus de cette équipe sont Jean-Louis Tixier-Vignancour [3] (cerveau du commando et ancien député) et Hubert Massol (responsable du commando, ancien militant du Front national et ancien président de l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain).

Localement, les responsables du FN de Meuse (55) ne s’y étaient pas trompés et avaient rendu hommage à Pétain au pied du monument aux morts de Verdun, en avril 2016 [4]. Sous prétexte bien sûr de rendre hommage à leur héros de la bataille de Verdun et non, comme cela serait plus honnête de leur part, d’assumer leur admiration de Vichy, du collabo Pétain, du régime nazi et de l’antisémitisme. Ajoutons enfin que plusieurs personnalités de l’autre structure maréchaliste "Association nationale Pétain-Verdun" étaient membres du Front national de Jean-Marie Le Pen.

Et puis localement, d’un autre côté, il y a les nostalgiques du Pétain de Vichy, de la collaboration, des lois anti-juives et de la haine. On peut au moins dire qu’elleux assument pleinement leur antisémitisme.

Dehors les pétainistes !

L’extrême droite locale, fan de Pétain, fanfaronne bien protégée derrière la police ! (images : PE.Bchy)

A Nancy, on les retrouve notamment au sein de la section nancéienne du Parti de la France, avec à leur tête l’ex-gudard Pierre-Nicolas Nups, pétainiste revendiqué, parfois en compagnie de son pote également pétainiste Maxime Auburtin [5]. Souvenez-vous aussi des militant.es et soutiens d’Eric Zemmour, regroupé.es devant l’ex-Librairie nationaliste "Les Deux Cités", pour leur candidat à la présidentielle de 2022, comme P-N Nups ou les responsables royalistes de l’Action française Nancy qui chantaient très bravement, parce que bien protégé.es par les CRS, "Maréchal, nous voilà", face aux militant.es antifas mobilisé.es en nombre ce jour-là. "Pétain, reviens, t’as oublié tes chiens !", avaient répondu les forces progressistes !

Ajoutons également que, jeudi 16 janvier 2025 au matin, le nancéien Pierre-Nicolas Nups (maintenant secrétaire général du Parti de la France) avait fait le déplacement à l’église Notre-Dame du Val-de-Grâce, à Paris, pour l’hommage nationaliste à Le Pen père. Nups s’est fait refouler de la cérémonie par le DPS (le service de sécurité du RN), comme ses autres petits copains maréchalistes du Parti de la France. Pourtant, lui a été fidèle au vieux breton jusqu’au bout, crachant allègrement à l’époque sur Marine Le Pen et son dauphin d’alors, Florian Philippot.

Philippe Pétain s’adresse aux nancéien.nes depuis les balcons de la mairie (26 mai 1944)

Même si cela fait saigner les oreilles, n’oublions pas que l’hymne du régime de Vichy "Maréchal, nous voilà" a été chanté à tue-tête place Stanislas [6]. Une place quasiment noire de monde. Euh non... brune de monde, plutôt. Au moins 15 000 personnes, amassées sur la grande place pour applaudir Pétain, avait estimé François Moulin [7], ancien journaliste de L’Est républicain. Une partie de la foule criait "Vive Pétain, vive le Maréchal !", encadrée par les GMR, les Groupes mobiles de réserve [8]. Et le même journaliste d’ajouter : "La tournée dans l’Est [du chef de l’Etat] est chaleureuse. Il est vrai que la Lorraine conserve au Maréchal une grande affection. Les communes des départements de la Meuse et de Meurthe-et-Moselle ont été les plus nombreuses en France à donner, à partir de l’automne 1940, le nom de Philippe Pétain à une de leurs rues (...). Cet ultime voyage [9] du chef de l’Etat débute par la visite éclair de Vitry-le-François et Saint-Dizier, avant son entrée en Lorraine à Foug, dans le Toulois, où il est reçu par le préfet régional et l’intendant de police. Le cortège traverse ensuite Toul où la foule est déjà nombreuse puis arrive à Nancy. (...) Après Nancy, le chef de l’Etat se rend à Epinal, touché par les bombardements alliés" [7].

Le 26 mai 1944 donc, à 88 ans, celui qui est encore le Maréchal Pétain [10] a prononcé son discours, depuis les balcons de l’hôtel de ville, entouré par André Jean-Faure, le préfet de région, décrit comme proche de Pierre Laval, le chef du gouvernement de Vichy, et Camille Schmitt, le maire de Nancy, d’abord radical-socialiste bon teint, puis surtout pétainiste. Le vieillard appelait les "Français à ne pas se mêler à ce conflit. Autrement, ce serait lamentable pour vous et pour la France. Acceptez, comme je suis obligé de les accepter moi-même, les épreuves qu’on nous envoie. Ces épreuves sont terribles mais elles seront d’autant moins terribles que vous n’y prendrez pas part. (...) Ayez confiance dans l’avenir de la France. Au revoir mes enfants". Un orchestre était installé sur le parvis de la mairie, pour ambiancer cette sombre journée [11]. Étonnement, quatre mois plus tard, le 25 septembre 1944, ils seront plusieurs dizaines de milliers à venir acclamer le Général De Gaulle exactement au même endroit. Est ce que ce furent les mêmes qui, sentant le vent tourner, changèrent subitement leur fusil d’épaule ? Ou bien était-ce de fervents partisans de la France libre qui prenaient d’assaut la rue en cet automne de la Libération [12] ? Sans doute un peu des deux...

Pétain bien accueilli par le maire collabo de Nancy

26 mai 1944 : Pétain fait un tour sur la place Stanislas, avec Camille Schmitt, maire de Nancy (à droite sur la photo)

En juin 1940, Camille Schmitt, maire de Nancy, avait déclaré Nancy "ville ouverte", comprenez sans résistance face à l’arrivée des troupes nazies, afin de lui éviter des combats et des destructions inutiles. Il est également alors intervenu pour éviter toute résistance militaire afin de limiter les conséquences des combats. Il a alors été maintenu dans ses fonctions par Vichy et les autorités nazies. Aussitôt, la Wehrmacht avait installé le drapeau nazi en haut de l’hôtel de ville. En 1941, Camille Schmitt, en plein délire, avait également demandé aux employé.es municipaux.ales de signer un document confirmant leur engagement et leur loyauté envers le Maréchal Pétain. Puis il avait aussi fait voter une subvention au journal local collaborationniste "L’Echo de Nancy, le grand quotidien politique". Il avait pris le relai du quotidien L’Est républicain, après cessation de parution. Il a seulement été démis de ses fonctions au moment de la libération de la ville, en septembre 1944. Mais il n’a pas été condamné à l’issue de son procès pour trahison en 1946 [13]. Rappelons enfin que depuis 1958, ce brave élu a toujours une rue à son nom, "rue du Docteur Schmitt", en plein centre-ville, en bas du marché couvert. Pourquoi ? Mystère...

La Une du journal collabo de Nancy, après la venue de Pétain place Stanislas (30 mai 1944)

Notons qu’une rue et qu’une place Pétain existaient également dans la cité sidérurgique de Joeuf, dans le Pays-Haut (54), qui ont été débaptisées dans le courant de l’année 1945 [14]. De même, une rue à son nom existait à Metz (quartier du Sablon) inaugurée en décembre 1918 et à Thionville (57), inaugurée en janvier 1919, devenue avenue de Gaulle juste près la Seconde Guerre mondiale.

Enfin, il semble que la dernière rue française au nom du "Maréchal Pétain" était dans le tout petit village de Belrain en Meuse, à quarante kilomètres au sud de Verdun et qu’elle a seulement été débaptisée en avril 2013 [15]. Il reste malgré tout cela une quinzaine de rues qui portent le nom de Pétain dans le monde entier...

Bloc antifasciste Nancy (BAF)

P.-S.

La photo de Une est celle du nancéien Pierre-Nicolas Nups, secrétaire général du Parti de la France et fan inconditionnel de Pétain.
Les photos de Pétain place Stanislas proviennent de la collection du Musée Carnavalet à Paris.


Notes

[1Vainqueur, vainqueur, c’est le roman national qui martèle cela. Durant cette bataille de Verdun, Philippe Pétain a commandé les troupes au démarrage pendant seulement deux mois, contrairement au général Robert Nivelle qui les a commandées ensuite pendant huit mois, jusqu’à la fin de cette bataille en décembre 1916.

[3Jean-Louis Tixier-Vignancour, décédé en 1989, fut un militant royaliste, puis collaborationniste au sein du "Parti Populaire français" de Jacques Doriot. Il a été député à deux reprises : de 1936 à 1942 (il a voté les pleins pouvoirs à Pétain et il a été membre du gouvernement de Vichy) puis de 1956 à 1958 (son directeur de campagne fut Jean-Marie Le Pen). Il fut enfin un des dirigeants du "Parti des forces nouvelles", de 1978 à 1982 (voir Nazis dans le rétro #9 : le PFN en Alsace-Lorraine).

[4L’Est républicain du 16 avril 2016.

[5Les deux militants nationalistes ont été condamnés en janvier 2015 pour incitation à la haine, puis relaxés en appel en 2017 : https://tetu.com/2017/04/12/prison-sursis-ineligibilite-candidat-parti-de-jean-marie-pen/

[6Un film amateur, muet et plutôt factuel retrace plutôt bien ce moment d’histoire : https://www.image-est.fr/fiche-documentaire-marechal-petain-a-nancy-la-1442-414-1-0.html. Par contre, un film de propagande collaborationniste est également disponible sur le site de l’INA : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe86002730/voyage-du-marechal-petain-a-nancy-epinal-et-dijon

[7Lire le très bon ouvrage "Lorraine années noires, occupation, annexion, de la collaboration à l’épuration", François Moulin, Editions La Nuée bleue, 2009.

[8Ces groupes GMR étaient la police du régime de Vichy, tendance paramilitaire, créés en 1941, sous la responsabilité du triste René Bousquet, secrétaire général à la police.

[9Ce voyage a lieu dix jours avant le débarquement allié.

[10Pétain a été condamné en août 1945 à la peine de mort (non exécutée) pour haute trahison, à l’indignité nationale et à la dégradation nationale, c’est-à-dire la destitution de toutes ses fonctions et de tous ses grades dans l’armée.

[11A sa manière, "L’Echo de Nancy", le journal local collaborationniste, raconte sur presque deux pages "l’émouvante visite du Maréchal dans l’Est" dans son édition du 30 mai 1944.

[13"Nancy de la guerre à la Libération, 1939-1945", Editions L’Est républicain, septembre 2024.