[Nancy] Suite à la fermeture de l’hébergement Faron, lettre ouverte à la Préfète

Nancy (54) |

Lettre ouverte à Madame la Préfète de Meurthe-et-Moselle le 12 mai 2025

Objet : Manquement de l’État à ses obligations légales en matière d’hébergement d’urgence – Situation alarmante à Nancy

Madame la Préfète,

Nous, associations de solidarité et citoyennes et citoyens engagés, vous interpellons avec gravité à l’occasion de la fermeture complète de la Caserne Faron, lieu d’hébergement d’urgence sur l’agglomération nancéienne, entraînant la mise à la rue de plusieurs personnes en grande précarité.

Ce démantèlement s’inscrit dans une situation déjà critique, marquée par la réduction du nombre de places d’hébergement d’urgence disponibles sur le territoire nancéien.
Parmi les personnes laissées sans solution à ce jour figurent des personnes en situation de grande ulnérabilité : femmes isolées, enfants, personnes âgées, personnes malades ou en situation de handicap, vivant en France depuis plusieurs années.

Un droit bafoué : l’hébergement d’urgence est une obligation légale inconditionnelle

L’hébergement d’urgence n’est pas une politique facultative. Il s’agit d’un droit fondamental garanti par le Code de l’action sociale et des familles (CASF) :

« Toute personne sans abri, en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence. » (Article L. 345-2-2)

Ce droit est inconditionnel : il ne dépend ni de la composition familiale, ni de la situation administrative, ni de l’origine et ne saurait être soumis à des considérations exceptionnelles. Il s’applique également aux personnes étrangères sans titre de séjour ou visées par une OQTF.

Le Conseil d’État l’a rappelé dans sa décision du 22 décembre 2022 : la seule situation administrative d’un étranger ne justifie pas l’exclusion de l’hébergement d’urgence.

La continuité de l’hébergement est elle aussi inscrite dans le droit, interdisant les remises à la rue sans solution alternative adaptée.

Il est également illégal de conditionner une fin de prise en charge à l’acceptation d’un hébergement dans un Dispositif de préparation au retour (DPAR), qui ne constitue ni un hébergement stable, ni une orientation conforme au CASF (article L. 345-2-3). Une orientation vers un DPAR ne peut donc en aucun cas justifier une sortie du dispositif d’urgence, ni un refus d’accès à un hébergement.

La fermeture d’un site n’est pas non plus un argument.

Une politique du tri : les opérateurs sommés de choisir entre les vulnérabilités

Nancy ne fait pas exception. En effet, face à la pénurie structurelle de places d’hébergement, les opérateurs subissent une pression constante des autorités pour opérer des tris parmi les personnes à accueillir : priorisation des familles au détriment de personnes seules, refus des personnes sous OQTF, exclusion de certains profils considérés comme « non prioritaires », priorisation des situations de vulnérabilité…

Cet état de fait place les professionnels dans une position moralement et éthiquement intenable, car contraints de choisir qui mérite un toit parmi les personnes toutes en détresse. Juridiquement contestable, cela crée des situations de maltraitance institutionnelle, épuise les équipes et sape la mission de protection que l’Etat est censé garantir.

Un choix politique : le manque de places d’hébergement

Au-delà des personnes expulsées de la Caserne Faron, ce sont plusieurs centaines d’autres, à Nancy, maintenues dans une précarité extrême, invisibles, privées de leurs droits fondamentaux, dans un silence institutionnel assourdissant. Il s’agit de celles et ceux qui n’appellent même plus le 115, conscients qu’ils n’obtiendront aucune réponse ; celles et ceux qui ont quitté les dispositifs ou qui s’apprêtent à le faire, le plus souvent sous la pression, et qui ne seront plus pris en charge ; celles et ceux qui sont hébergés temporairement par des proches, des bénévoles ou des réseaux informels ; celles et ceux contraints à la rue ou aux squats dans des conditions indignes.

Le manque de places d’hébergement ou l’instabilité des lieux préemptés n’est pas une fatalité, mais résulte de choix politiques. Selon nos estimations, ce sont au minimum une centaine de places qui feront défaut à Nancy d’ici l’été, à défaut d’initiatives concrètes.

La situation est alarmante : si rien n’est fait, nous nous dirigeons vers une crise humanitaire, dont les plus vulnérables paieront le prix.

Nous demandons la mise en conformité immédiate avec la loi

Face à cette situation alarmante, nous vous demandons solennellement :

  • De garantir immédiatement une solution d’hébergement stable et digne pour toutes les personnes concernées par la fermeture de la Caserne Faron, y compris celles qui en sont parties précipitamment ;
  • De mettre fin à toute pratique de remise à la rue de personnes en détresse, quelles que soient leur situation administrative ou leurs perspectives juridiques ;
  • 2/3-D’assurer le respect strict du principe d’accueil inconditionnel, sans aucun tri ou filtrage administratif ;
  • D’augmenter significativement et durablement l’offre d’hébergement sur le territoire, à la hauteur des besoins réels ;
  • D’ouvrir de toute urgence des solutions d’hébergement supplémentaires pour répondre à la pénurie à venir.

Nos associations constatent quotidiennement les conséquences de ces manquements sur les personnes concernées : aggravation de la détresse physique et psychique, rupture de suivi médical, déscolarisation d’enfants, isolement… Ces pratiques anéantissent les efforts des acteurs professionnels et bénévoles, et contreviennent aux principes fondamentaux de notre République.

Madame la Préfète, ce que nous demandons n’est pas une faveur, mais le respect du droit. Le droit à un hébergement digne ne peut être sacrifié sur l’autel des politiques migratoires. L’Etat ne peut être en contradiction avec sa propre légalité. Il ne peut ignorer ni les textes qu’il a lui-même promulgués, ni la souffrance qu’il organise par son inaction.

Nous restons disponibles pour un échange et pour collaborer à la recherche de solutions concrètes et humaines. Aussi, nous réitérons notre demande de pouvoir échanger avec vous-même ou vos services de façon régulière, comme ce fut le cas il y a quelques années. Veuillez croire, Madame la Préfète, à l’assurance de notre haute considération.

Association et collectifs signataires : Amnesty International, La Belle Porte, Le Café Fripé, La Cimade, La Ligue des Droits de l’Homme, Médecins du Monde, Réseau Education Sans Frontière, Secours Catholique, Syndicat des Avocats de France, Un Toit pour les Migrants.

Copie à :

  • Mesdames et Messieurs les Parlementaires de Meurthe-et-Moselle
  • Monsieur le Maire de la ville de Nancy et Président de la Métropole du Grand Nancy
  • Messieurs les Maires des communes du Grand Nancy
  • Madame la Présidente du Conseil Départemental de Meurthe-et-Moselle
  • Madame la Défenseure des Droits