Nazis dans le rétro #9 : le PFN en Alsace-Lorraine

Nancy (54) |

Dans les années 70, un autre parti politique concurrent a joué, en même temps que le Front national naissant de Jean-Marie Le Pen, la carte du nationalisme, de l’agitation de rue et des élections : le Parti des forces nouvelles. La Lorraine l’a malheureusement aussi vu passer. Back to the past !

Il y a tout juste cinquante ans, le Parti des forces nouvelles (PFN), de tendance néofasciste, a été créé lors de son congrès à Bagnolet (93), début novembre 1974 [1], avec le soutien du GUD et du Front de la jeunesse [2], suite à la dissolution en juin 1973 d’Ordre nouveau [3] et des Comités « Faire front » [4].

Jean-Paul Gautier, politologue spécialiste de l’extrême droite en France, résume ainsi le PFN : « De 1974 à 1981, le PFN a été le principal rival du FN, qu’il a surpassé en militants, en voix, en médiatisation, regroupant des jeunes, des étudiants opposés à la tactique de Le Pen. Il a été une école de formation pour la droite classique et pour le FN. Cependant, il n’est pas parvenu à trouver sa place sur l’échiquier d’extrême droite, ni au sein d’une majorité de droite. Echec d’une tentative pour redessiner le visage de l’extrême droite ». Il y a alors eu une « une concurrence farouche entre les deux formations. Les deux groupes vont devenir les meilleurs ennemis et se livrer, selon Roland Gaucher, à des guérillas fratricides » [5]. En pratique, « Le Pen écarte le FN de ses positions les plus extrémistes, adopte des attitudes réalistes et décide de jouer pleinement le jeu des institutions républicaines. La rupture est inévitable en 1974, les perdants lancent une organisation rivale 100% fasciste. Le PFN, (...) enfermé dans ses convictions fascistes (...), est né » [6]. Dès sa création, Jean-Marie Le Pen est très fâché par cette initiative et considère le PFN « comme une machine de guerre anti-FN » [5].

Journal télévisé d’Antenne 2 datant de mars 1982

Les principaux fondateurs et animateurs du PFN [7] étaient notamment Alain Robert (ancien d’Occident, un des fondateurs du GUD et du FN, maintenant RPR-UMP-LR), François Brigneau (de son vrai nom Emmanuel Allot, collabo, milicien, membre du RNP de Marcel Déat puis journaliste à National-Hebdo et Présent, un des fondateurs du FN, décédé), Jean-François Galvaire (ancien d’Occident, militant pro-Algérie française, ancien élu du FN), Roland Gaucher (collabo, membre du RNP de Marcel Déat, un des fondateurs du FN et ex-rédacteur en chef de National-Hebdo, décédé), Jack Marchal (un des fondateurs du GUD et le dessinateur des rats noirs du GUD, décédé en septembre 2022). Ils ont ensuite souvent, après cette aventure au PFN, tout de même rejoint le Front national. Que du beau monde... !

En avril 1974, après la mort du président Georges Pompidou, les militants de « Faire Front », futurs fondateurs quelques mois après du « Parti des forces nouvelles », vont avoir, pour le jeune et alors moderne candidat de droite Valery Giscard d’Estaing « les yeux de Chimène » et vont s’investir pleinement dans la bataille de sa campagne présidentielle victorieuse, contre le candidat de gauche François Mitterrand. « Certains parlent même de dettes épongées [par l’équipe de VGE, NDA] et de prestations de service d’ordre de l’ordre de 180 000 francs (...) . L’argent est certes le moteur de la guerre, mais il y a aussi des raisons politiques à cette participation. Pour une partie de l’extrême droite, Giscard d’Estaing sonne le glas du gaullisme et la revanche sur les fossoyeurs de l’Algérie française » [5]. Pas très cohérents, les dirigeants du PFN ont ensuite soutenu son rival Jacques Chirac et son tout jeune RPR, « un vivier pour une droite radicale et nationale » selon eux, à partir de décembre 1976.

Affiches du Parti des Forces Nouvelles (1974 et 1978)

D’un côté, le PFN a présenté (ou tenté de présenter), avec plus ou moins de réussite, des candidat.es aux élections municipales de mars 1977 [8], aux législatives de mars 1978 [9], aux européennes de juin 1979 (avec les néofascistes italiens du MSI, dans le groupe « Eurodroite »), à la présidentielle de 1981 (échec de candidature pour l’ex-gudard Pascal Gauchon, avec le soutien de Roland Hélie), aux élections cantonales de mars 1982, etc. Et de l’autre côté, les militants du PFN ont occupé la rue : manifestations, violences, meetings, coups de force dans des médias, occupation illégale avec les cathos intégristes de l’église parisienne Saint-Nicolas-du-Chardonnet, etc. « Une certaine extrême droite en cravate », avait résumé à l’époque un journaliste du quotidien Le Monde.

Des élus locaux issus du PFN

Localement, plusieurs élus ou militants lorrains sont issus des rangs de ce sulfureux PFN. Le plus connu est le droitard François Grosdidier [10], l’actuel maire LR de Metz (ex-sénateur UMP et ex-député-maire RPR de Woippy), qui « a effectué un passage, à l’extrême droite, dans les rangs du Parti des Forces Nouvelles. Déjà au FN, Thierry Gourlot, son ami d’alors, est témoin de son mariage. » [11]. Auparavant adhérent au CNIP dès l’âge de 15 ans (Centre national des indépendants et paysans), soit de 1976 à 1980 par anti-communisme [12], le baron mosellan a été membre du sulfureux PFN entre 1978 et 1980. Au moins, car Jean-Louis Masson, son frère ennemi à l’UMP, précisait de son côté, dans une lettre ouverte qu’« en 1982 (...) Mr Grosdidier appartenait alors au Parti des Forces nouvelles (PFN) depuis 1978 (et non seulement pendant quelques mois comme il le prétend) » [13]. Car F. Grosdidier est chatouilleux sur son passé à l’extrême droite. En 1992, il avait tenu à préciser à la presse écrite locale : « Quant à mon appartenance à une "succursale du Front national", je ne me suis jamais caché de ce que je considère être une erreur de jeunesse : j’étais en seconde, dans un lycée de Nancy et j’ai milité 6 mois avec les gars du PFN (Parti des Forces Nouvelles) » [14]. Mais ensuite, un autre ex-ami avait aussi été un peu bavard : « En 1986, aux régionales, il a demandé une investiture sur les listes FN, mais comme on ne lui proposait pas de poste éligible, il y a renoncé », affirmait alors Thierry Gourlot, président du groupe FN au Conseil régional de Lorraine. François Grosdidier dément cette information [15]. Rappelons également que F. Grosdidier, ex-LR maintenant, a été condamné par le Tribunal correctionnel d’Epinal, il y a un peu plus d’un an, à six mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende pour « prise illégale d’intérêt » [16]. Et qu’il avait été condamné en février 2015 à 6 000 euros d’amende pour détournement de biens publics.

François Grosdidier, actuel maire de Metz et Jean Kiffer (à droite), ancien maire d’Amnéville, deux ex-militants du PFN

Jean Kiffer, alors député RPR de Moselle, fait partie des élus de droite qui avaient accepté de travailler et de soutenir « Faire Front » puis le PFN. Dans les années 80 et 90, cet éternel maire d’Amnéville (son mandat a duré 46 ans) a localement géré le droitier CNIP d’Alsace-Lorraine (durant douze ans). Il est décrit par les camarades antifas de REFLEXes comme « un ancien de l’Algérie française, flirtant avec l’OAS » [17]. Cet ancien proche de Charles Pasqua [18] a soutenu, sans aucun scrupule, le FN de Jean-Marie Le Pen et a « partagé les valeurs du Front national » [19].

Jean-Luc Manoury, ancien secrétaire départemental du FN 54 et ex-conseiller régional FN pendant un peu plus de dix ans, maintenant responsable départemental 54 du CNIP, est également un ancien du PFN, de 1977 à 1981. Quelques autres candidats et militants nancéiens du FN avaient adhéré au PFN, souvent par un violent anticommunisme, thématique classique de l’extrême droite française dans les années 70. Une hostilité tous azimuts : PCF, URSS, LCR, Léonid Brejnev, péril rouge, etc.

Nancy représentait visiblement une ville suffisamment active pour le PFN puisqu’un délégué nancéien était membre du Conseil national du PFN, comme pour nos voisin.es de Strasbourg d’ailleurs. Plusieurs candidats du PFN ont donc présenté leur candidature en Meurthe-et-Moselle. Yann le Fouillé fut candidat PFN aux législatives de mars 1978, dans la circonscription de Toul, en face de Marcel Bigeard (élu député pour l’UDF). Il n’a obtenu que 1,15% des voix. Le FN n’y présentait pas de candidat. Hugues Paterna, sur la circonscription Nancy 2, a obtenu 1,5% des voix, sans rival du FN. Et Jean-Jacques Chappaz s’est lui présenté sur la circonscription de Lunéville, sans candidat du FN. Il a obtenu 2,24% des voix [20]. Ce dernier avait un mandat national : il avait été élu au Comité central du PFN, lors de son second congrès en novembre 1976. Au total donc, trois candidats PFN sur les sept circonscriptions de Meurthe-et-Moselle. Et en 1978, le PFN n’avait présenté localement aucun autre candidat, ni en Moselle, ni en Meuse, ni dans les Vosges.

De l’autre côté du massif vosgien, le régionaliste alsacien Robert Spieler (mosellan d’origine), ex-député FN (1986-1988), est un ancien d’Ordre nouveau et du PFN. L’Alsacien Gérard Freulet, ex-député FN (1986-1988), est aussi un ancien d’Ordre nouveau et du PFN [21]. Et Christian Chaton, ex-conseiller régional FN, est aussi un ex membre du « Front de la jeunesse », organe jeune du PFN [22]. Le PFN a d’ailleurs tenu son congrès national de décembre 1986 en Alsace, « sur une péniche au bord du Rhin » [23]. A ce sujet, au moment de sa dissolution en février 1998, Strasbourg restait la dernière ville, avec Toulon, qui avait gardé « un noyau d’irréductibles » du PFN.

Deux affiches du PFN (1976-1983)

Camp d’entraînement du PFN dans les Vosges

En Alsace, le PFN avait présenté trois candidat.es : Léonie Mathieu avec 0,93% des voix dans la circonscription de Wittenheim (68), Marc Buhagiar avec 2,62% à Strasbourg 2 (67) et Daniel Reichert avec 1,44% des voix dans la circonscription de Molsheim (67). Ce dernier est connu des Meurthe-et-mosellan.es car, arrivé comme beaucoup d’autres au Front national en 1984, il fut secrétaire départemental du FN 54 puis secrétaire régional du FN en Lorraine. Il a ensuite fait le choix de suivre Bruno Mégret et le MNR, lors de la scission du Front en 1999. Mais il est revenu plus tard dans le giron du patriarche Le Pen. Daniel Reichert est également un ancien d’Ordre nouveau [24], section Nancy et membre de son Conseil national à partir de son second congrès de juin 1972. Toujours en Alsace, dans ses dernières années d’existence, le PFN avait également présenté deux candidats aux élections législatives en juin 1988.

Enfin, début mars 1987, dans la rubrique « Justice », « M. Michel Spaeth, vingt-six ans, ancien secrétaire et trésorier du Parti des forces nouvelles (PFN), a été incarcéré à la prison Charles-III de Nancy sous l’inculpation d’émission de chèques sans provision, d’escroquerie et d’abus de biens sociaux. M. Spaeth, interpellé, était recherché depuis l’arrestation et l’incarcération à Remiremont (Vosges) de Michel Vinciguerra [25], trente-trois ans, président de la direction collégiale du PFN (...) Les deux hommes sont accusés d’avoir détourné plusieurs millions de francs par l’intermédiaire de plusieurs sociétés plus ou moins fictives, immatriculées dans les Vosges et le Bas-Rhin » [26].

Ces deux responsables politiques du PFN, dont Michel Vinciguerra dirigeant également d’une petite dizaine de sociétés (généralement chimiques) dans les Vosges, ont été remis en liberté cinq mois plus tard, toujours inculpés « d’abus de bien sociaux » [27]. Ce binôme détenait également une SCI qui possédait une ancienne ferme, sur les hauteurs de Sainte-Croix-aux-Mines (68). Selon les enquêteurs de l’époque, ce lieu, au beau milieu de la forêt, était probablement « un camp d’entraînement de l’extrême droite ». « On en a vu des jeunes gens en treillis, le cheveu bien court, descendre boire un verre au café. On en a entendu, des détonations qui faisaient plus penser à un entraînement de tir qu’à la chasse au lièvre. On a même vu flotter la croix celtique en haut d’un mat », expliquait à l’époque un témoin local [20]. « Il y avait des rencontres là-haut. Jean-Gilles Malliarakis et des hommes du MNR (Mouvement nationaliste révolutionnaire) » s’y sont visiblement retrouvés [28]. Ce qu’avait ensuite clairement reconnu un proche de Michel Vinciguerra.

Eh, ça ne fait pas un peu beaucoup pour notre région tout ça, non ?

Bloc antifasciste - BAF Nancy

P.-S.

Deux des affiches sont extraites du (très bon) livre : Tricolores, une histoire visuelle de la droite et de l’extrême droite, Zvonimir Novak, Éditions L’Échappée (2011).


Notes

[1Voir l’instructif journal télévisé de l’ORTF sur le congrès fondateur du PFN, reportage du 11 novembre 1974, sur le site de l’INA : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caf91049862/parti-forces-nouvelles

[3Lire un résumé de l’affrontement de rue conséquent entre Ordre nouveau et la Ligue communiste, qui a abouti à la dissolution de ces deux organisations politiques : https://www.contretemps.eu/antifascisme-ligue-communiste-ordre-nouveau/

[4Ces comités n’ont existé qu’un an, entre octobre 1973 et novembre 1974

[5Les extrêmes droites en France de 1945 à nos jours, Jean-Paul Gautier, aux Editions Syllepse (mars 2017). Une très bonne référence à avoir dans sa bibliothèque pour bien connaitre l’extrême droite française

[6Tricolores, une histoire visuelle de la droite et de l’extrême droite, Zvonimir Novak, Editions L’échappée, 2011

[7Voir les interventions d’une partie de ses dirigeants dans ce reportage de FR3, daté de mai 1975, sur le site de l’INA : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/dvc75060476/parti-des-forces-nouvelles

[8Aux élections municipales de 1977, en France, quelques militants du PFN ont été élus sur des listes du RPR. Plus d’infos sur https://www.contretemps.eu/origines-rn-extreme-droite-fascisme-pfn/

[9En France, aux législatives de mars 1978, le FN ne récolte que 0,33% contre 1,06% pour le PFN. Plus d’infos sur https://www.contretemps.eu/origines-rn-extreme-droite-fascisme-pfn/

[10Français d’abord, 02 décembre 2005 (organe mensuel et officiel du Front national, stoppé en mai 2008)

[11Le Républicain lorrain du 29 juin 2012

[12Le Centre national des indépendants et paysans (CNIP) est un parti politique, créé après la guerre, qui a toujours servi de passerelle entre la droite dite classique et l’extrême droite de Le Pen et maintenant celle de Zemmour. Par exemple, après l’échec de la droite de Giscard à la présidentielle de 1981, une partie des dirigeants du PFN a choisi de rallier ce CNIP

[13Rivarol du 03 février 2006 (hebdomadaire d’extrême droite)

[14Le Républicain lorrain du 26 avril 1992

[15La Croix du 16 décembre 2005

[17Voir le trimestriel REFLEXes de mai 1996

[18Lire son portrait dans L’Humanité du 15 juin 2002

[19National Hebdo, 19 mai 1988 (journal d’extrême droite)

[20L’Est républicain 13 mars 1978

[21Alsace brune, éditions No Pasaran, 2006

[22Plus d’informations sur le « Front de la jeunesse » du PFN par ici : https://reflexes.samizdat.net/front-de-la-jeunesse/

[23Le Monde 17 février 1987

[24Génération Occident, Frédéric Charpier, Editions du Seuil, 2005

[25Michel Vinciguerra est un ancien d’Ordre Nouveau, du Comité de défense des commerçants et artisans (CDCA, néo-poujadiste) et un temps membre du Comité directeur du PFN. Il habitait alors à Strasbourg. Voir https://www.contretemps.eu/origines-rn-extreme-droite-fascisme-pfn/

[26Le Monde 06 mars 1987

[27Le Monde 16 août 1987

[28Jean-Gilles Malliarakis est un militant nationaliste-révolutionnaire historique de maintenant 80 ans, fondateur du Mouvement nationaliste révolutionnaire (1979-1985) et de Troisième voie (de 1985 à 1992)