Mort d’un militant antifasciste

Nancy (54) |

Léon Herszberg est décédé, samedi 29 juin, à l’âge de 91 ans. Né à Nancy de parents juifs polonais, Léon était adolescent quand lui et son frère Bernard, de cinq ans son cadet, ont fui en zone sud avec leur mère puis ont échappé aux griffes de la Gestapo, pour se débrouiller seuls jusqu’à la fin de la guerre. Vingt-trois personnes de la famille sont mortes dans les camps.

Le père de Léon Herszberg a été arrêté au domicile familial, 8, rue des Bégonias, à Nancy, comme « apatride d’origine russe », le 23 juin 1941. Après un séjour à la prison Charles-III, il a été transféré au camp de Compiègne, avant d’être déporté à Drancy, puis à Auschwitz, en septembre 1942. Cette même année 1942, l’adjoint du responsable du bureau des étrangers à la préfecture de Nancy, Pierre Marie, a donné de fausses cartes d’identité à Léon pour que les deux frères, leur mère et leur grand-mère puissent fuir Nancy et passer en zone sud. Arrêtés, puis emprisonnés à l’hôtel Pax à Annemasse transformé en prison par la Gestapo, en 1944, alors qu’ils tentaient de passer la frontière vers la Suisse avec d’autres jeunes, Léon et Bernard ont été libérés grâce à l’intervention de Jean Deffaugt, maire de la ville.

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Léon Herszberg a lutté toute sa vie contre les injustices, contre le racisme et le fascisme. Militant communiste après que les troupes soviétiques ont libéré les camps d’extermination nazis, avant de comprendre que Staline avait trahi la cause, Léon a poursuivi le combat au sein du MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) à partir des années 1960. Il a participé au lancement du CAFAR (Collectif AntiFasciste AntiRaciste) devenu Ras-l’front au début des années 1990, avec notamment l’organisation d’une manifestation de 10 000 personnes contre la tenue d’un meeting de Le Pen au Parc des expositions à Nancy, en 1992. Léon s’est aussi très tôt impliqué dans RESF (le Réseau Éducation Sans Frontières, qui vient en aide aux familles sans papiers et aux jeunes migrants isolés) et il participait encore aux cercles de silence, il n’y a pas si longtemps.

Sauvé à deux reprises par des Justes, Léon Herszberg estimait que la désobéissance faisait partie des options possibles. Premier signataire au printemps 2008 d’une pétition en soutien d’une femme avec deux enfants cachés par RESF, il l’a annoncé publiquement au micro lors d’un cercle de silence de 500 personnes, place Stanislas, alors que la loi punissait d’emprisonnement l’aide au séjour des étrangers. Comme l’a dit son frère Bernard au cours de la cérémonie d’adieu, le 2 juillet, il y a toujours eu des Justes : ceux qui les ont sauvés, pendant la guerre, et Cédric Herrou ou la capitaine Carola Rackete, qui viennent en aide aux migrants, aujourd’hui.

« L’ultime souffle de ceux qui – proches et lointains, interdits de toute miséricorde – furent condamnés par la solution finale à une mort sans kaddish et sans épitaphe, hante les juifs et leur donne conscience de survivre de façon injustifiée et incompréhensible. Cela les oblige à porter le poids terrible de cette humanité disparue et à tenter de lui répondre par des engagements présents. Cela les rend incapables de s’en remettre à des prières implorant un dieu solitaire, enfermé sur lui-même et impuissant, pour bâtir une société nouvelle et messianique. […] Se dire juif aujourd’hui, c’est s’impliquer dans la cité, comme individu avec tous les autres citoyens, indépendamment d’une éventuelle expression communautaire. C’est considérer que rien de ce qui concerne l’Homme ne lui est indifférent. C’est ne pas accepter que soient infligés à d’autres, individus ou groupes, sévices, mépris, exclusions parce qu’ils ont tel ou tel héritage ; car l’héritage des juifs leur a été aussi source de mépris et d’exclusion. C’est se battre contre le racisme et la xénophobie dans un combat permanent de tous les jours, sans trêve ni Shabbat. C’est considérer le brassage des idées, le changement des mœurs, la rencontre des hommes comme un enrichissement ; car la culture, les mœurs, les populations juives ont été trop longtemps rejetées. »
Léon Herszberg, « Juif et citoyen… », Le Blick du 55, juillet 1997.

Article paru dans RésisteR ! #63 le 5 juillet 2019.