« M », comme Mussolini, roman...



A l’heure de la victoire des néo-fascistes en Italie, de leur montée en puissance en Suède, en France et à travers le planète, un siècle précisément après l’arrivée au pouvoir de Mussolini dans la dynamique de la marche sur Rome, la lecture de ce roman fleuve (870 et 680 pages pour les deux tomes parus) est à recommander à tout.e militant.e de la cause de l’égalité, aux fondu.e.s d’histoire, aux dingues de romans !

Fiche de lecture

Antonio Scurati commence le récit en 1919. Parce qu’il faut bien décider d’un point de départ… C’est donc « l’entre-deux guerres », mais celles et ceux qui sont au cœur des événements relatés ne le savent évidemment pas. Rien n’était écrit d’avance. Une certitude absolue cependant : l’humanité sortait de la plus épouvantable boucherie ! Et la situation était alors très ouverte. L’offensive révolutionnaire dans toute l’Europe après l’Octobre rouge en Russie, tout particulièrement en Allemagne et en Italie, en Autriche, en Hongrie aussi, permettait bien des espoirs, c’était le socialisme comme possibilité réelle.

Roman historique de grande originalité

Sans conteste, l’œuvre de Scurati est un roman, mais avec ses compléments d’archives, ses « collages » constants après chaque chapitre, extraits courts d’articles de presse, de communiqués, de discours, de courriers, de rapports de police, se référant toujours très directement aux situations racontées, nous lisons un roman comme on n’en a jamais encore lu. Le procédé est systématique tout du long et donne à l’ensemble une sacrée dynamique. Les chapitres eux-mêmes sont courts, chronologiques… Et l’on est le plus souvent dans la tête de Benito Mussolini… Et l’on comprend alors, que non, les choses n’étaient pas écrites, qu’elles auraient pu prendre une toute autre tournure, qu’à plus d’une reprise il s’en était fallu de peu que… On file à vive allure !

Le roman comme forme particulière de connaissance

Scurati, l’antifasciste doit bien concéder à Scurati romancier passionné d’histoire le terrible constat : l’homme marche très souvent en aveugle vers les grandes catastrophes. Dans un entretien à France Culture – « le cours de l’histoire » -, il insiste sur l’impératif de modestie, d’humilité que le romancier doit respecter. Il doit s’effacer dit-il devant son personnage. Et c’est effectivement ce qui est frappant dans ce grand roman, ce long récit-fleuve, c’est sans fascination, sans complaisance mais aussi sans surplomb que nous côtoyons Mussolini. Et que chemin faisant, petit à petit, dans cette immense forêt d’événements petits et grands, un sentiment se fait jour, celui de n’être plus dans la totale cécité, celui de pouvoir malgré tout s’orienter sur quelques questions essentielles en quittant ce rôle de somnambule au milieu des champs de ruines.

Antonio Scurati, M. l’enfant du siècle (M. Il figlio del secolo), traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Les Arènes.

Article paru dans SUD éducation Lorraine info n°49, novembre 2022