Ingouvernables



Plus le capitalisme s’approche de la catastrophe, plus il génère de normes, de contrôle, de systèmes d’encadrement et d’encasernement. Au nom de la lutte contre le terrorisme, et progressivement aussi au nom de l’urgence climatique ou sanitaire, on voudrait nous habituer à des interdictions, des obligations, des procédures, une transparence, des technologies qui prennent le contrôle sur nos vies. Il n’y aurait pas le choix. Comme le résume le slogan des Gilets Jaunes, on nous aimerait sur le mode du « Travaille, consomme… et ferme ta gueule ! »

Mais cette belle mécanique commence à craquer de toutes parts. Les Gilets Jaunes, justement, ont ouvert le bal en France et ailleurs, aussi, en Algérie, au Liban, en Iran, en Irak, les peuples se soulèvent. Les privilèges des plus riches, actionnaires des multinationales et familles héritières de la grande bourgeoisie, les États à leur service, l’ordre inégalitaire défendu avec la schlague, tout cela ne passe plus. En France, les contre-réformes libérales et autoritaires s’empilent depuis trois décennies, Macron ne faisant qu’en accélérer la cadence. Les conditions de travail dégradées et précarisées, la course à la rentabilité et le poids du management convergent avec le recul des services publics, la marchandisation généralisée et l’hypocrisie des gouvernants qui orchestrent l’ensemble des reculs.

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Ce qui a surgi sur les ronds-points et se prolonge dans la mobilisation actuelle n’est pas une révolte passagère, c’est l’expression d’un rejet global. C’est le rejet de ce monde et de la morgue des dominants. C’est le rejet de l’autorité de celles et de ceux qui gouvernent les institutions et les plient aux normes néolibérales. On en a eu un beau symbole lors des vœux, cet exercice de com’ à destination des médias auquel se prête tout ce que le pays compte de ministres et de grand∙es chef∙fes : jet de robes par les avocat∙es aux vœux de la ministre de la Justice, le 8 janvier, à Caen, chœur des esclaves puis énorme chahut aux vœux de la patronne de Radio France, le même jour, manifestation à l’extérieur et contre-lecture à l’intérieur pendant le discours de la ministre de l’Enseignement supérieur, le 21 janvier, etc. Ce sont aussi toutes les manifestations symboliques et voyantes de rejet des réformes en cours : jets de cartables par les enseignant∙es révoltés par Blanquer, spectacles gratuits et à ciel ouvert par les danseurs, danseuses et orchestre de l’opéra de Paris, etc.

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Alors, c’est un fait : nous sommes devenu∙es ingouvernables. Quand les institutions sont pourries par la tête, il faut agir en dehors. Les représentant∙es de l’État ont tellement piétiné le bien public qu’elles et ils ont perdu toute légitimité. Macron ne peut plus se déplacer sans avoir 500 flics autour de lui pour l’exfiltrer face à la plèbe en colère. Mais le rejet ne s’arrête pas là. Ceux qui miseraient sur une courte cure d’opposition et sur l’alternance pour revenir aux commandes font partie du lot, tout le monde sait qu’ils ont contribué à produire la situation actuelle et personne n’en veut plus. Et le rejet va plus loin encore. Les directions syndicales qui pendant des décennies ont joué les « partenaires sociaux » et ont négocié nos défaites, qui aujourd’hui se mettent en avant sur une ligne offensive tout en faisant tout pour contenir et domestiquer la contestation, personne n’en veut plus non plus. Le mouvement social sort des rails sur lesquels on l’a si longtemps contenu, prend la tête des cortèges et n’attend plus le top départ de tel ou telle chef∙fe. Parce que, décidément, nous ne pouvons pas être les « partenaires sociaux » d’un capitalisme cannibale.

Nous sommes devenu∙es ingouvernables… et c’est tant mieux.

Léo P.

Article paru dans RésisteR ! #66, le 28 janvier 2020.