Relents d’égouts #8 - Antisionisme, antisémitisme ?



Rubrique consacrée à l’actualité des conspis, des confus et d’autres cons… faisant, directement ou indirectement, le jeu de l’extrême droite.

Depuis cet été, le Parti travailliste en Grande-Bretagne est au bord de l’explosion : son dirigeant, Jeremy Corbyn, issu de l’aile gauche, est la cible d’une campagne l’accusant d’antisémitisme pour ses prises de position pro-palestiniennes, une campagne conduite par des pro-israéliens et amplement relayée par l’aile droite du parti. Ce n’est pas la première fois ni le seul pays où des courants de gauche pro-palestiniens sont accusés d’antisémitisme, cela en devient même un lieu commun. Comme si le rejet de la politique impérialiste israélienne impliquait systématiquement le rejet du droit à un État pour le peuple juif et par voie de conséquence la haine des Juifs.

Il y a deux sortes de gens que ce type de confusion arrange. D’une part, les supporters d’Israël, de ses gouvernements successifs et de leur politique ; d’autre part, les antisémites, y compris celles et ceux qui se prétendent ou se croient « de gauche ».

Les inconditionnels d’Israël ont une défense du sionisme à peu près parallèle à celle de l’islam par les islamistes. Quand ces derniers assimilent toute critique de la religion musulmane à un racisme antimusulman, les premiers réduisent toute critique de la politique israélienne à un racisme contre les Juifs. C’est facile et efficace, cela permet d’alimenter des stratégies identitaires ou, selon les options, un soutien plus global aux impérialismes (états-unien, européen et pas seulement israélien) en espérant clouer le bec à tou∙tes leurs opposant∙es. Cela vient légitimer l’idée que l’État d’Israël serait l’État des Juifs : non seulement un État où les arabes Israélien∙nes (17,5% de la population) sont des citoyen∙nes de seconde zone, comme est venu l’officialiser un vote de la Knesset en juillet dernier, mais aussi un État dans lequel devraient se reconnaître toutes les Juives et Juifs vivant sur la planète.

Les antisémites jouent également de la confusion. À l’extrême droite, Soral et Dieudonné ont caché un temps leur antisémitisme derrière le masque de l’antisionisme. Si leur stratégie a fait long feu, d’autres militant∙es se réclamant de l’anti-impérialisme et de l’antisionisme ne semblent pas non plus toujours très au clair. Leur défense exclusive, voire obsessionnelle, de la cause palestinienne camoufle mal un tropisme suspect, tandis que les régimes politiques écrasant leurs minorités sur des critères ethniques ou religieux sont assez bien représentés, du Proche-Orient à l’Afrique en passant par l’Europe de l’Est.

L’intérêt de l’opposition au « sionisme » est bien évidemment d’avoir tout dans un paquet-cadeau : les Juifs, dont Israël est l’État (puisque c’est lui qui le dit), sont a priori solidaires de sa politique. S’ils ne le sont pas, ils doivent le signifier. Chaque Juive ou Juif est ainsi sommé∙e de se démarquer explicitement des massacres à Gaza, des emprisonnements de Palestinien∙nes ou du déploiement de nouvelles colonies en Cisjordanie – un peu comme d’autres somment les musulman∙es de se démarquer de Daesh après chaque attentat. S’ils ne se démarquent pas, c’est qu’ils sont solidaires. En combattant Israël, il faudrait donc combattre également tous ces gens dont c’est l’État, sauf éventuellement l’infime minorité qui s’en démarque explicitement. Ajoutons à cela une couche de préjugés classiques sur la finance mondialisée et les élites invisibles qui tirent les ficelles… et l’antisémitisme revient au galop.

Les deux camps, supporters d’Israël et antisémites, se renforcent mutuellement. Ils sont totalement convergents dans leur assignation des Juifs à l’État d’Israël. La solidarité des Juifs à l’égard du projet sioniste, de l’État d’Israël et de sa politique ne se discuterait pas. C’est absurde, quand on sait que des groupes d’extrême gauche et libertaires en Israël même ont toujours combattu la politique expansionniste et raciste de leur État. Mais cela l’est plus encore quand on parcourt les options politiques qui ont été défendues depuis plus d’un siècle par les Juives et Juifs victimes de persécutions en Europe, pour qui la solution à la question juive passait bien plus souvent par une révolution prolétarienne mondiale ou au moins par l’égalité des droits dans des États démocratiques, que par la création d’un État en Palestine. Le génocide nazi a modifié la donne en poussant des centaines de milliers de rescapé∙es à trouver un refuge – mais, là encore, reconnaître aux Juifs le droit à un État n’implique ni d’y voir la solution ultime à la question juive (ce qui est la position sioniste), ni de donner un blanc-seing aux dirigeants de cet État.

L’assignation des Juifs à Israël est criminelle. Elle arrange les dirigeants actuels de l’État israélien, qui se veulent les champions de la représentation des Juifs quand ils travaillent pour les intérêts d’une minorité privilégiée d’Israéliens en bombardant régulièrement les territoires palestiniens. Elle renforce l’antisémitisme partout dans le monde en rendant les Juifs coupables des crimes des dirigeants israéliens, ce qui en retour arrange bien ces derniers, en encourageant les Juifs à émigrer en Israël. Il arrive d’ailleurs que la convergence d’intérêts entre les extrêmes droites sionistes et antisémites s’exprime au grand jour. Le 19 juillet dernier, le Premier ministre hongrois, fascisant et ouvertement antisémite, Viktor Orbán, était ainsi accueilli à bras ouverts par le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou.

Raph

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Article paru dans RésisteR ! #57, le 22 septembre 2018