Relents d’égouts #9. Confusionnismes... entretenus



Rubrique consacrée à l’actualité des conspis, des confus et d’autres cons… faisant, directement ou indirectement, le jeu de l’extrême droite.

Tout le monde l’a souligné : le soulèvement des Gilets Jaunes n’est pas apparu avec une orientation de classe nette et bien délimitée. À l’inverse, on a assisté au surgissement collectif d’individus aux profils très variés, sur des revendications qui mêlaient l’aspiration à plus de justice fiscale et sociale à d’autres plus ambiguës et volontiers appuyées par la droite et l’extrême droite. Si l’ancrage social s’est rapidement affirmé du côté des revendications (hausse du SMIC et des retraites, rétablissement de l’ISF, etc.), la situation n’est pas totalement clarifiée dans le discours vis-à-vis des médias. La méfiance est restée de mise vis-à-vis de journalistes et de chaînes de télévision qui relaient la voix de l’ordre, et qui pendant un mois et demi ont livré une version tronquée des événements en occultant les violences policières à l’encontre du mouvement.

Mais les Gilets Jaunes ne se sont pas toutes et tous contenté∙es de se tenir à une distance prudente des médias institutionnels. Certains de leurs groupes et réseaux, voire certaines de leurs personnalités se sont fait le relais assumé de thèmes et propos complotistes parfois teintés de racisme, que ce soit à propos de l’attentat de Strasbourg du 11 décembre ou du traité de Marrakech. On a lu et entendu que le premier aurait été organisé par le gouvernement pour affaiblir le mouvement (!) et que le second ouvrait la voie au grand remplacement (!). Mais c’est aussi la reprise de la « quenelle » dans les manifestations – pas forcément comprise comme un geste antisémite, même si c’est bien son sens –, l’accueil d’Alain Soral ou de Dieudonné sur des ronds-points… le moins que l’on puisse dire, c’est que le mouvement n’est vraiment pas immunisé contre l’extrême droite.

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Vécu, "le média du gilet jaune" en direct avec le confusionniste Etienne Chouard le 11 février 2019

Cela, sans parler des initiatives de groupes fascisants, évidemment étrangers au mouvement des Gilets Jaunes, mais qui en profitent pour avancer leurs pions, qu’il s’agisse de l’attaque contre le NPA à Paris lors de l’acte XI ou de la bataille rangée avec les antifas à Lyon quinze jours plus tard.

Les dérapages complotistes et confusionnistes ne permettent pas de caractériser le mouvement dans son ensemble. Ils constituent cependant une des expressions du recul général des idées progressistes dans la société, recul opéré par les trahisons répétées des organisations ouvrières et politiques étiquetées à gauche, par la reprise des valeurs de droite et d’extrême droite (sécuritaires, racistes, identitaires, etc.) par nombre de politiciens et de personnalités médiatiques. Ils sont aussi l’expression de l’atomisation des milieux populaires par l’affaiblissement des collectifs militants, du repli sur soi et de l’autoformation par glanage d’informations et d’idées sur Internet et sur les réseaux sociaux… où l’extrême droite n’est pas en reste.

Ce qui est problématique, c’est lorsque les collectifs militants et certain∙es de leurs porte-parole se laissent également aller sur la pente glissante du confusionnisme, là où on préférerait les voir tenir fermement le cap. Il y a ainsi eu l’hommage du député insoumis François Ruffin à « Chouard et ses amis », le premier étant un confusionniste notoire tandis que l’on trouve parmi les seconds d’authentiques fascistes. Il y a eu aussi la déclaration d’Alexis Corbière, autre insoumis, pas opposé à une réouverture du débat sur le mariage pour tous à l’occasion d’un référendum d’initiative citoyenne. Il y a eu encore l’avocat Juan Branco, toujours de la France insoumise, qui a donné une interview au très droitier L’Incorrect, une revue proche de Marion Maréchal Le Pen… tandis que certains de ses articles sont complaisamment repris par « Le Salon Beige », un site catholique intégriste.

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Un tweet de Juan Branco, manifestement fier de débattre avec des fachos

On se demande à quoi joue la France insoumise, puisqu’il est surtout question d’elle ici, en entretenant cette porosité avec l’extrême droite, alors qu’il est évident que c’est le Rassemblement national de Le Pen qui a tout à gagner de cette confusion des genres. De nombreuses valeurs éloignent sans ambiguïté la FI du RN et il ne saurait être question du ralliement de l’une à l’autre. Pourtant, parmi les thèmes agités par la FI et plusieurs de ses porte-parole, certains ne sont pas si clairs, ce qui explique probablement les mains tendues de part et d’autre : la dénonciation de « l’oligarchie », des politiciens et des médias sur le devant de la scène qui vient souvent occulter celle du patronat et du capitalisme, et, bien entendu, le nationalisme.

Il est regrettable de voir ainsi des collectifs militants incapables de maintenir un cordon sanitaire à l’égard de l’extrême droite, quand celle-ci joue précisément sur la confusion ambiante pour faire avancer ses idées. Que des regroupements spontanés comme ceux des ronds-points ne disposent pas des repères pour contrer les thèmes complotistes et fascisants, c’est une chose. Que des militant∙es échangent complaisamment avec ou au sujet de l’extrême droite, c’en est une autre. La question n’est pas morale mais bien politique. L’extrême droite incarne une orientation mortelle pour les peuples et il faut la combattre sans concession ni complaisance, en promouvant d’autres conceptions : l’intelligence de la compréhension des rapports sociaux, les perspectives d’émancipation, la solidarité internationale, le rejet de toutes les formes d’oppression et de discrimination.

Raph

Article paru dans RésisteR ! #60 le 19 février 2019

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