Relents d’égouts #7 - Insoumis et patriote ?



Rubrique consacrée à l’actualité des conspis, des confus et d’autres cons… faisant, directement ou indirectement, le jeu de l’extrême droite.

La France insoumise a des démangeaisons à la patrie et cela ne transpire pas seulement dans son nom. Tout le monde se rappelle comment le tricolore est venu remplacer le rouge dans les rassemblements préélectoraux organisés autour de Mélenchon, ce qui n’est déjà pas un bon signal et rappelle de très mauvais souvenirs (cf. « Quand la gauche singeait le fascisme », RésisteR ! #52, novembre 2017). Cette prise de distance vis-à-vis de l’internationalisme ouvrier trouve son origine dans la stratégie électoraliste de la FI, comme pour le PCF qui l’a pratiquée bien avant elle. Quand on pense que le changement politique passe par la prise du pouvoir d’État plutôt que par son renversement, on finit par attraper un strabisme qui fait voir le cadre national comme le cadre idéal. Et la pente est plus que savonneuse.

Il y a un porte-parole national de la FI qui affiche une belle constance en la matière et dont les errements éditoriaux devraient alerter celles et ceux des Insoumis qui ne sont pas totalement gagné∙es par le nationalisme. Il s’agit de Djordje Kuzmanovic, représentant défense et international à la FI et au Parti de gauche, ancien officier de l’armée française… qui n’a manifestement pas totalement rompu avec les valeurs de sa carrière militaire. Kuzmanovic s’était déjà signalé par un affichage sur le site pro-Kremlin Sputniknews fin 2016 et ses prises de position tant vis-à-vis de Vladimir Poutine qu’à l’égard de Bachar el-Assad révélant un tropisme « anti-impérialiste » mal digéré, surtout orienté contre l’impérialisme états-unien mais aucunement sensible au piétinement des droits des peuples par la Russie ou la Syrie. Mais après tout, du côté des Insoumis, il n’est pas le seul, comme en témoigne la chronique sur Le Media du 23 février où Claude El Khal renvoie dos à dos le régime syrien et les milices islamistes pour justifier, en creux, le bombardement des habitant∙es de la Ghouta par le régime.

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Évidemment, Kuzmanovic ne se contente pas de cette vision géopolitique particulière qui le fait converger avec une partie de l’extrême droite. Sur son profil Twitter, il s’affiche comme porte-parole de Mélenchon, etc., et… « #Patriote ».

Et la patrie ne semble pas être une question mineure chez lui. Pour commémorer l’anniversaire de la publication du manifeste du Parti Communiste le 21 février dernier, il commente ainsi : « Le spectre [communiste] hante toujours l’#Europe, son ennemi aujourd’hui : les #Traités de libre-échange qui asservissent les peuples. Prolétaires de tous les pays unissez vous contre l’oligarchie. » Exit la lutte contre le capitalisme, l’ennemi ce sont désormais l’UE et le libre-échange, et l’oligarchie qui vient aimablement remplacer la bourgeoisie. L’air de rien, on se rapproche tranquillement de la rhétorique de l’extrême droite.

Sans aller jusqu’aux positions de son ami (pro-Poutine) Jacques Sapir, qui avait revendiqué des convergences possibles avec le FN, Kuzmanovic discute avec tout le monde, y compris avec la droite très à droite. Il s’est ainsi illustré en accordant récemment une longue interview à Causeur, un torchon réactionnaire, où il aborde notamment la question de l’immigration. Et là, on se demande quand même à quoi il joue. Car le jeu qui consiste à « discuter avec tout le monde » ne peut qu’entretenir la confusion et légitimer la droite extrême. Faut-il être un∙e gauchiste fini∙e pour oser dire, en 2018, qu’on ne discute pas avec l’extrême droite et qu’on la combat ? Dans l’esprit de Kuzmanovic, c’est probablement le cas : quand on se revendique de la patrie contre l’oligarchie et les traités de libre-échange, la lutte contre l’extrême droite a forcément perdu de son actualité.

Raph

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Article paru dans RésisteR ! #54 le 10 mars 2018.

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