Au départ, il avait été convenu qu’il n’y aurait ni lieu, ni heure de rassemblement. Les médias locaux ont donc décidé qu’on se rassemblerait à 13h au Champ de Mars. Soit... nous voici donc en chemin vers cette place, séparée de la préfecture par un petit parc.
Nous sommes vite arrêtés par une copine qui nous prévient que le secteur est complètement bouclé et que ça fouille tous les sacs. En effet, tous les accès à la préfecture et au Champ de Mars sont barrés par des fourgons ou des murs anti-émeutes. La menace d’une nasse à la nancéienne gronde...
Après moult tergiversations, on se résigne à se faire fouiller pour rejoindre le joyeux bordel que l’on apercevait au loin. Heureusement pour nous, le Champ de Mars est un lieu ouvert et les quelques 2000 personnes rassemblées se mettent en route sans tarder.
Le cortège est énorme et nous avançons à un rythme soutenu en direction de la gare. Les flics tentent déjà de diviser le monstre que nous formons en deux, mais la foule les en empêche. Face au nombre, ils ne résistent pas.
Nous constatons avec joie que, malgré les drapeaux français et les timides marseillaises, une ambiance largement anti-flic règne. Nous sommes pour la plupart équipés contre les lacrymos, et le moindre condé passant par là est systématiquement hué. La haine contre le gouvernement se mélange à la joie de nous voir unis et nombreux ; l’impression de puissance qui en résulte en fait un cocktail délicieusement explosif.
On erre un petit peu en toute liberté dans la ville, s’engouffrant dans une rue, rebroussant chemin en voyant qu’on s’éloigne du centre. Le cortège va si vite que nous passons devant le commissariat sans même nous en rendre compte. Arrivés au niveau de la galerie marchande, nous nous y engouffrons par les deux entrées et en ressortons place de la Chipotte. Là, on fait une petite pause au bord de la Moselle, le temps de décider où nous devons aller. Nous choisissons de rejoindre l’hôtel de ville, juste de l’autre côté de la rivière. Le cortège est de nouveau divisé en deux pour envahir les ponts menant à la mairie. Les quelques flics protégeant le bâtiment sont pris en sandwich et de nouveau hués. Ils n’en mènent pas large. Il y a encore foule sur l’autre rive, et la Moselle est toute bordée de jaune (et de noir).
Nous contournons la mairie par la rue Lormont et nous dirigeons vers la place des Vosges, mais les flics nous barrent le chemin. Aussitôt, les manifestants les bousculent pour passer. S’ensuit une salve de lacrymos, a priori la première de la journée, qui fait stagner le cortège. Le groupe de médics, ainsi que des manifestants prévenants, distribuent aussitôt du sérum physiologique aux personnes en détresse. Quelques instants plus tard, le barrage de flics est de nouveau forcé, avec succès cette fois, et nous voilà repartis vers la place des Vosges.
Rue des halles, les flics tentent à nouveau de barrer le chemin, mais la foule fonce spontanément vers eux. Face au nombre, ils sont obligés une nouvelle fois de capituler.
Nous voilà donc investissant fièrement la place des Vosges, toute pleine encore de ses décorations de Noël. Trop nombreux, on voit la rue parallèle menant à la basilique toute aussi pleine de monde.
Vient un moment de flottement pendant lequel on ne sait plus trop où aller. Ça parle d’aller à la préfecture, ou alors à la gare... Où qu’on regarde, on voit du jaune à perte de vue.
Les flics se montrant trop hargneux devant la préfecture, c’est sur la gare que l’on jette notre dévolu. On entre à l’intérieur et on fout un boucan du diable en tapant sur les murs, puis on se précipite sur les quais... pour constater qu’il n’y a aucun train avant une heure ! Dommage...
On repart vers le carrefour des Quatre Nations, là où la manifestation allait véritablement péter, en scandant l’habituel "Macron démission !". Arrivés là, une salve de bombes lacrymogènes est balancée dans l’incompréhension générale, ce qui provoque un mouvement de foule. Tout le monde est indigné par la gratuité de cette attaque, sur cette place très fréquentée où de nombreuses familles avec des enfants attendent aux arrêts de bus. La circulation n’ayant pas été bloquée, des automobilistes sont immobilisés sur la place où un épais brouillard de gaz se répand. On aide des passants à évacuer les lieux, les médics s’occupent des enfants gazés...
Lors des accalmies, les manifestants se ruent vers les flics. Quelques projectiles sont lancés et aussitôt les flashballs répliquent. Les tirs sont meurtriers ; les médics évacuent uns par uns les nombreux blessés, dont plusieurs victimes de tirs au-dessus de la ceinture. Quelques grenades de désencerclement explosent à proximité d’enfants. Notre après-midi est brutalement interrompue par un tir de flashball au visage. La manif s’arrête là pour nous, mais en réalité elle ne faisait que commencer (cf vidéo de Vosges Matin)
Bilan de la journée : Il a fallu une étincelle pour allumer la flamme insurrectionnelle des gilets jaunes présents en plein milieu de la rue commerçante d’Epinal. Deux banques qui ont eu le malheur d’être dans les parages ont été pétées, les poubelles ont été recyclées en feux de joie, et de nombreux pots de fleurs ont été renversés (tradition Lorraine), de même d’ailleurs qu’une voiture de police au Quai des bons enfants. L’ambiance était à la fête, les klaxons résonnaient de toute part, et entre deux drapeaux tricolores une petite sono diffusait du punk et du rap anticapitaliste. Les quelques marseillaises étaient chantées sans grande conviction et n’étaient que rarement reprises par la foule. Hormis quelques personnes arborant des insignes militaires et identitaires, aucun discours nauséabond dans l’air, seulement un ras-le-bol généralisé des institutions en place et une demande urgente de redistribution des richesses.
Notre seul regret : un manque cruel de slogans revendicatifs ouvertement anticapitalistes, et la relative rareté des camarades "habituels" dans le cortège. Mais les gilets jaunes aussi sont nos camarades, et nous nous revendiquons comme tels. Pour notre part, nous sommes trop heureux de voir naître enfin un mouvement populaire insurrectionnel d’ampleur pour regarder ça de loin, ou de manière condescendante. Des gens qui toujours se taisaient sortent de chez eux, un parfum de lutte des classes flotte dans l’air, des liens se tissent, des barrières tombent... Et ceux qu’ils appelaient autrefois "les casseurs" sont finalement devenus leurs camarades.
Il y a du beau dans ce mouvement, vraiment. Alors ne le laissons pas à l’extrême droite, soyons-en !
Des militants vosgiens
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