Nouvelles pressions de l’État contre le soutien aux exilé.es à Nancy

Nancy (54) |

Ce lundi 5 septembre était convoquée la présidente de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) dans les bureaux de la Police de l’Air et des Frontières (PAF), avenue Paul Muller à Villers-les-Nancy. Un rassemblement de soutien d’une soixantaine de personnes s’est tenu à partir de 10h pour dénoncer le durcissement des politiques anti-exilés mises en place par le gouvernement.

  • Déclaration de solidarité

    Une déclaration de solidarité, signée par 47 personnes présentes au rassemblement, a été ajoutée en fin d’article.

Les faits

La présidente de la Ligue des Droits de l’Homme était appelée à comparaître pour une histoire de « faux », c’est à dire d’un faux document qu’un exilé subsaharien aurait produit en vue d’être régularisé. L’audition n’a pas duré longtemps puisqu’à 10h20 elle sortait avec son avocate et expliquait n’avoir répondu à aucune question. Elle a tenu à faire une déclaration rappelant aux policiers que son engagement humanitaire ne consistait pas à juger de la recevabilité des documents mais bien d’accompagner des être humains.

Pour cette militante qui accompagne des exilé.es depuis des années, les choses sont claires, « c’est de l’intimidation » qui s’inscrit dans un contexte politique plus vaste de renforcement des discours anti-exilés.

Des pressions de l’État contre la fraternité

Afin d’étayer la compréhension de ces rouages, un avocat du SAF (Syndicat des Avocats de France) explique qu’il n’y a pas de réel motif policier à une telle convocation. Ce syndicat avec lequel il a signé une tribune de soutien à la LDH rappelle que c’est infondé juridiquement pour deux raisons :

  1. Le faux n’est possible que s’il est fait en connaissance de cause, ce qui n’est pas le cas.
  2. L’aide aux réfugié.es ne peut être condamnée car la loi ne le permet pas. [1]

L’avocat insiste sur ce point car ce genre de pression policière a justement vocation à isoler et intimider les soutiens aux réfugié.es et avoir conscience que le droit est du côté des militant.es aide à résister à la peur.

Enfin il explique que la police est censée faire respecter les valeurs que sont la liberté, l’égalité et la fraternité aujourd’hui déniées par le gouvernement qui utilise la police pour intimider les militant.es qui font vivre ces valeurs.

Des institutions nationales racistes ?

L’avocat du SAF nous rappelle que les institutions jouent un jeu particulièrement malsain en ce moment car le traitement des réfugié.es est clairement différencié en défaveur des exilé.es subsaharien.nes. Pour le dire clairement, l’authenticité des documents déposés par des personnes noires est systématiquement remise en cause. Les états civils et autres actes de naissance ne sont donc pas considérés car l’administration applique en partie les discours racistes selon lesquels les demandeur.euses d’asile noir.es seraient nécessairement des fraudeur.euses. Ainsi, tous les dossiers déposés par des subsaharien.nes sont retoqués et il n’existe pas d’autres alternatives que la misère pour ces personnes qui fuient la pauvreté, la guerre et les conséquences des politiques néolibérales et coloniales.

Quelle marge de manœuvre à échelle locale ?

Un élu au conseil municipal était présent et a tenu à préciser qu’il l’était en tant que membre du Parti Communiste. Il explique cependant que les collectivités ne peuvent pas faire beaucoup car « il est difficile de se positionner ». Pour lui, il existe clairement un « rapport ambivalent » entre le département chargé de l’accueil et la préfecture qui applique une politique de durcissement des procédures. Il avoue que « sans doute, les collectivités pourraient faire plus » et que « le département fait dans la limite de ce que permet l’État ». Chose interpellante pour les luttes à venir, il explique qu’avec l’augmentation du prix des énergies, le département va devoir financer des rénovations pour mieux isoler ses infrastructures et que les subsides alloués à l’accueil des exilé.es va encore diminuer… Autrement dit, l’écologie pourrait très bientôt servir localement à dénier la solidarité due aux réfugié.es.

Du côté de la municipalité, le conseiller assure qu’une petite subvention est allouée à l’association « Un toit pour les migrants » depuis cette année et que la ville facilite l’accès au Centre Communal d’Action Sociale pour les personnes réfugiées.

La marge de manœuvre de Mathieu Klein ne serait donc pas bien grande ? Ou alors existe-t-il un manque d’ambition politique pour cette lutte au niveau de la municipalité ?

Quelle place tient la lutte pour la défense des exilé.es aujourd’hui à Nancy ?

D’après une ex-travailleuse sociale dans les structures pour mineur.es isolé.es, Mathieu Klein a permis un accueil inconditionnel des mineur.es en Meurthe-et-Moselle lorsqu’il était président du conseil départemental, ce qui a fait de notre département un des moins pires sur ces questions. Cependant, elle précise que les financements n’ont pas suivi les positionnements politiques et aujourd’hui les relations entre préfecture et département semblent très compliquées. Elle précise qu’aujourd’hui la ville n’est jamais présente dans ces structures d’accueil et que le positionnement de la mairie se voit surtout par la présence de certains conseillers lors de rassemblement comme aujourd’hui.

Finalement c’est du côté du parlement de la Nupes qu’il semble y avoir du nouveau sur l’échiquier politique local. Une de ses représentantes m’explique que le Parlement local de la Nupes a publié un communiqué [2] de soutien à la présidente de la Ligue des Droits de l’Homme car cela correspond à la volonté politique de rapprocher la Nupes des luttes sociales. Ce collectif en construction a vocation à « donner aux luttes sociales des débouchés politiques » pour qu’un dialogue puisse exister entre les personnes qui se mobilisent à la base et les député.es récemment élu.es. Pour cette militante du parlement de la Nupes, il n’est pas question d’influence d’un parti ou d’un autre car ce collectif est une assemblée d’individu.es. Leur vocation est de suivre des orientations politiques progressistes renouvelant la gauche sans qu’il n’y ait un programme strictement défini. Dans ce programme en construction, la défense des droits des exilé.es y aurait sa place.

Les droits des exilé.es dans les luttes sociales à venir

Le constat de cette mobilisation est qu’il existe un réseau de soutien non négligeable à Nancy et que dans le contexte de fascisation des discours et des pratiques gouvernementales, les institutions comme le Conseil départemental ou la ville semblent avoir une marge de manœuvre limitée et sous-exploitée. Pour ce qui est des exilé.es, leur parole n’est pas rapportée ici pour la simple raison qu’illes ne sont pas ou peu présent.es à ce type de rassemblement. Il n’est pas lieu d’incriminer qui que ce soit, et sûrement pas des militant.es trop peu nombreuses dans les associations pour mener ces luttes, mais simplement de constater que nos actions politiques ne sont probablement pas facilement rejoignables par les personnes directement concernées. Il n’en reste pas moins que l’actuelle remise en question de la gauche qui cherche sa base et la pertinence des luttes décoloniales actuelles peuvent nous faire penser que les politiques racistes peuvent changer. Pour cela il ne tient qu’aux militant.es de la base de créer ce que chacune des personnes interrogées a avoué : vouloir imposer un nouveau rapport de force.

Déclaration de solidarité

La déclaration de solidarité reproduite ci-dessous a été signée par 47 personnes présentes au rassemblement :

Des milliers d’étrangers sont en situation irrégulière en France
Ils sont arrivés au risque de leur vie, fuyant les guerres, les persécutions, la misère, la faim.
Ils sont menacés d’expulsion et vivent dans l’insécurité. Aucun droit ne leur est reconnu.
L’irrégularité de leur situation n’est pas de leur fait, mais de celui d’une administration étatique qui multiplie les obstacles à leur encontre, en rendant les procédures inextricables, en prolongeant indûment ses délais de réponse à leurs demandes, en refusant de reconnaître la validité des documents qu’ils produisent.
En refusant de régulariser leur situation, l’État les pousse dans la misère, les livre au travail clandestin, à l’exploitation, à la violence.
L’État Français considère le fait de leur porter assistance comme un délit.
Nous déclarons avoir aidé au séjour en France de ces personnes, leur avoir fourni un hébergement, des moyens d’existence, les avoir aidés à se procurer les documents nécessaires à leur régularisation.
Nous déclarons que les lois de l’humanité et de la solidarité sont supérieures aux lois des États, et c’est aux premières que nous continuerons à obéir, même si pour cela nous devons contrevenir aux secondes.
Lorsqu’une personne est en difficulté, nous l’aidons sans lui demander si ses papiers sont en règle, et nous continuerons à le faire.


Notes

[1La Cour de cassation (https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037850933/), le Conseil constitutionnel (https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018717_718QPC.htm, cons. 8 et suivants) et la loi elle-même (article L622-4 devenu L823-9 du CESEDA) rappellent qu’aucune poursuite pénale ne peut être engagée à l’encontre d’une personne qui aura aidé un migrant en situation irrégulière lorsque cette personne agit de façon désintéressée, y compris militante (https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000041701598).