Outre ces perquisitions, ont été convoquées en audition libre six personnes faisant ou ayant fait partie de l’association collégiale Bure Zone Libre, en charge de la gestion du lieu de mobilisation « Maison de Résistance », acquis 12 ans plus tôt et détenue en commun avec le Réseau Sortir du Nucléaire.
Plus le dossier s’épaissit, plus il est consternant de voir à quel point juge, enquêteurs et procureur semblent loin des réalités et nager dans des approximations caricaturales des interactions entre individus, associations et collectifs engagés dans la lutte contre Cigéo.
Un tel degré d’ignorance pourrait prêter à sourire s’il ne s’accompagnait pas de mesures et dispositifs aussi lourds, coercitifs et coûteux que ceux qui s’accumulent contre les militants « de Bure », frisant à la psychose paranoïaque.
Des mois d’écoute, de balisages de véhicules, d’installations d’antennes de captation des données téléphoniques (IMSI Catcher) et des mètres cubes de saisies informatiques et documents pour au final voir s’accumuler les procès-verbaux de synthèse truffés de suppositions et de préjugés complètement arbitraires, partiels et parfois très éloignés d’une quelconque vérité. Des dizaines d’auditions aussi à subir les humiliations et vexations d’enquêteurs qui, dans un remake de mauvais feuilleton policier, se plaisent à simuler l’omniscience, avec de vulgaires procédés de pression auxquels ils ne semblent même pas croire eux-mêmes. Au final ils ne font que sidérer chaque jour davantage les militant-e-s auditionné-e-s, et accusé-e-s des intentions les plus incohérentes. Incompétence , ignorance ou manque de convictions et de moyens, il y a en tout état de cause quelque chose de glaçant à voir des vies placées entre des mains aussi inconséquentes.
Dans un dossier qui pue à plein nez la présomption de culpabilité, le délit d’intention et le procès politique qui ne s’assume pas, les agents enquêteurs, faute sans doute de moyens, de temps mais surtout de compréhension profonde du terrain qui les préoccupe, prêchent allègrement le faux pour tenter d’atteindre le vrai. Chargés d’a prioris, de mépris à peine voilés envers les « zadistes », les « écolos anti-Bure » qui leur dament le pion depuis des mois, ils additionnent les présupposés et humiliations lors des auditions, oscillant entre le « Bad Cop » mesquin et le médiocre confesseur qui vient offrir une voie de sortie, d’absolution en échange de délations ou d’aveux.
Mais quels aveux ? Des morceaux de détresse de militant-e-s qui en 20 ans de lutte n’ont jamais subi un tel dédain et ne se sont jamais sentis aussi peu respecté-e-s pour ce qui leur semble avoir été un engagement humain et altruiste jusqu’alors ? Ou encore des élans spontanés de sincérité d’habitant-e-s dont le principal tort est d’être solidaires de celles et ceux qui luttent et qui n’imaginent pas qu’illes vont servir de poignards contre d’autres individus ; alors qu’illes sont déjà méprisé-e-s, utilisé-e-s, trompé-e-s et oppressé-e-s par une entreprise qui les dépouille de leurs terres, de leur dignité et qui leur envoie la gendarmerie pour les mater quand illes s’insurgent. « Subis et tais-toi ! »
Et que penser d’enquêteurs qui, entre railleries et mauvaises blagues, vont interroger une personne, membre d’association, durant deux heures en lui faisant croire qu’elle vient récupérer son ordinateur ? Ordinateur qui par ailleurs lui sera rendu plus tard, avec le même mépris manifeste, mais du tribunal cette fois-ci, lorsqu’elle signalera qu’il ne fonctionne plus, et qu’on lui répondra alors « qu’il a du traîner dans un endroit humide ».
Que penser encore d’enquêteurs qui font des allusions à des conversations intimes téléphoniques pour pressuriser durant des heures des personnes placées en garde à vue ?
Que penser aussi des mêmes enquêteurs qui accusent d’avoir dirigé un black bloc lors d’une manifestation, une militante anti-nucléaire de longue date dont ils savent pertinemment qu’elle se revendique comme non-violente et qu’elle a participé à des événements qui s’inscrivent dans la promotion de ce cadre depuis plusieurs années ?
Que penser enfin d’enquêteurs qui, faisant irruption chez des personnes chez qui ils prétendent trouver une tierce personne qui n’y réside pas, suggèrent à ces mêmes personnes et amies de devenir informateurs contre rémunérations ? Ceci après avoir fait des allusions on ne peut plus dégradantes sur l’intimité de la personne qu’ils recherchaient.
Visiblement le devoir de réserve ne concerne pas les enquêteurs missionnés dans le cadre de la Cellule Bure et rattaché à la Section de Recherche de Nancy. Pas plus que la présomption d’innocence ou le concept d’investigations à décharge autant qu’à charge. Ici c’est le sentiment de toute-puissance qui semble prévaloir, avec la bénédiction d’un procureur dont la partialité émotionnelle est de notoriété publique, et avec le blanc-seing d’un jeune juge qui hérite d’un dossier bien lourd et ingrat pour un début de carrière et qui dispose de peu de temps pour faire ses preuves et remplir un gouffre béant avec des grains de poussière glanés au petit bonheur la chance. L’instruction agit un peu comme un filet de pêche intensive qui resserre sa prise sur tout le banc en espérant attraper les gros poissons mais qui ne retient essentiellement que du vide.
Ici nuls gros poissons, nulles intelligences criminelles, juste des personnes qui, dans le chaos inhérent à une lutte, et de surcroît à des milieux hétérogènes, quêtant des fonctionnements horizontaux, se débattent avec plus ou moins de détermination et de rage face à un rouleau compresseur, une corruption larvée déguisée en « accompagnement économique », une omerta et oppression des voix dissonantes grimées en « acceptabilité sociale » et surtout une avancée au pas de course d’une entreprise qui n’hésite pas à s’affranchir de la légalité pour s’imposer irrémédiablement, avant que recours juridiques ou contestation n’aboutissent à faire jour sur des fonctionnement proprement mafieux. Et ce avec la protection aveugle des autorités préfectorales et du Procureur de la République. À travers ceux-là, l’État réclame des têtes coupables, charge alors à la police et la justice de les trouver ou, à défaut, de les fabriquer, car à la fin il faudra bien justifier les dépenses avec un échafaud.
En Meuse la petite histoire éclabousse de purin les murs de la grande Histoire, celle des puissants qui écrasent sous leurs bottes la population d’un département pour lui imposer une poubelle nucléaire, et qui utilisent pour ça la duplicité, le zèle, l’étroitesse d’esprit, la médiocrité de petits notables, de petits entrepreneurs, de petits élus, de petits juges, de petits procureurs et de petits flics. Ce n’est pas un scandale d’État, c’est juste le scandale permanent, omniprésent d’un État capitaliste qui s’associe avec l’État policier pour mener tranquillement et en bien trop d’endroits, sa barque sur le Styx, jusqu’aux enfers et la consomption finale de la planète.
La seule satisfaction qu’on aura alors c’est de savoir que tous ces petites gens qui travaillent à construire un monde terne, aride, brutal, et déshumanisé, verront leurs noms enfouis bien profond dans les poubelles de l’Histoire.
D’ici là, qu’ils se disent bien que ce n’est pas en posant une chape de béton sur les herbes folles qu’on les étouffe, elles finiront par rejaillir de l’ombre de tous côtés, plus nombreuses, plus vivaces et débridées, rageuses et belles. Plus le sentiment d’injustice est profond, plus l’imaginaire qui le combat est puissant et finit par se nourrir des coups qu’on lui porte pour terrasser la bête immonde à la fin !
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