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The Spectacle dans ma playlist. Je me balade en ville. « Our sleeping bags are just a vast memories » - gueule le baladeur. Vraiment ? Il y a quinze ans on m’a dis que le punk, ça me passerait. Plus rien n’était possible, le punk est mort et ce délire ne règle pas le problème de factures.
Plus on me le répétait, plus je surmenais. J’écoutais CRASS, Post Regiment, Protestera en trainant dans les rues en idéalisant la scène. J’avais hâte que quelque chose se passe. Quelque chose d’aussi fort que la musique sur les mix-tapes qu’on s’échangeait. L’esthétique punk est impressionnante, mais l’énergie dégagée est insaisissable et impossible de s’en emparer.
À l’époque avec une bande de copains et copines, nous organisions des concerts de soutien aux prisonniers, nous ouvrions des squats, participions à des manifestations. Un jour le spleen a envahi mon quotidien. Ce n’était plus le refrain « Cause baby, I’m an anarchist, You’re a spineless liberal » du premier album Against Me qui illustrait les journées. C’était plutôt cette chanson pas apprécié de tout le monde « I was a teenage anarchist, the revolution was a lie. Do you remember when you were young and you wanted to set the world on fire ? » Rien ne tenait dans le temps. Tout ce qu’on pouvait construire était balayé par les vagues de répression ou des conflits interpersonnels.
Un jour Nasty m’a demandé si je ne voulais pas chanter. Ils venaient de splitter avec leur groupe punk. Ils cherchaient un nouveau départ, ou plutôt avaient envie de continuer, et moi aussi. Nous avons commencé à jouer ensemble. Le nom du groupe était trouvé dans un dictionnaire, comme la plupart des mots anglais qu’on ne connaissait pas pour écrire les paroles. On cherchait un terme qui fait lourd et méchant. Le premier concert avait lieu à Nancy, dans un bar de concerts. Aujourd’hui, c’est démoli, ne laissant plus que des affiches et quelques photos pour souvenir. Après quelques dates à l’est, nous sommes parti·e·s deux semaines en tournée en France, Belgique et Suisse avec un groupe de copains. Puis enchainé une tournée de quatre semaines était booké à travers l’Europe Centrale, de l’Est et la Scandinavie.
On nous demandait « Vous ne vous êtes pas entre-tuées à sept dans le camion ? » en rajoutant « Je pourrais pas faire ça, même avec mes meilleurs amis ». Je ne sais pas si ce sont des films survivalistes qui hantent nos imaginaires, avec le pitch classique où tout le monde va s’entretuer dans des conditions extrêmes. A chaque tournée, malgré le temps désastreux et la fatigue, nous avons vécu de bons moments et avons rencontré plein de gens avec des initiatives inimaginables. Une fois rentrés, la motivation et la tristesse animaient nos journées. C’est le syndrome « post-tour dépression ».
Maintenant j’ai décidé de passer mon temps à raconter des petites histoires. Les souvenirs des moments intenses des voyages suscitent le besoin de les partager, et je ne sais pas encore comment ? Comment prendre le recul pour ne pas se dire quelques mois plus tard « t’aurais mieux fait d’écrire tout ça dans ton journal intime. » Qu’est ce qu’on peut tirer de ces expériences sans les dénuer de sensations ?
Depuis quinze ans, les gens radotent que le punk est mort et le problème des factures n’est toujours pas réglé. Je sais que bientôt on repart en tournée tous les quatres.

POST-TOUR DEPRESSION - Des fragments de la scène punk DIY.
déf. le terme post-tour depression, en anglais désigne l’état psychologique à caractère dépressif après une tournée.