Sur l’inauguration de la place des Justes à Nancy

Nancy (54) |

Nancy devait accueillir une place des Justes pour saluer la mémoire des policiers du bureau des étrangers de la Préfecture qui ont sauvé de très nombreux juifs de la Ville et édifier la jeunesse. Cette place fut l’ultime combat de Léon Herszberg, sauvé lui-même par ces Justes.

Apprenant par hasard que la place serait inaugurée vendredi 29 novembre, la famille Herszberg a adressé un courrier à Messieurs Hénart et Rossinot expliquant pourquoi elle refusait de participer à cette « inauguration ».

Monsieur le Maire,
Monsieur le président de la métropole du Grand Nancy,

Mon mari, Léon Herszberg, s’est battu jusqu’à sa mort récente pour qu’existe à Nancy une place des Justes digne de leur action et de leur enseignement. Sauvé en 1942 – comme sa mère, son frère, et tant d’autres juifs – par les policiers du bureau des étrangers de la Préfecture, il éprouvait intimement la grandeur et l’impératif d’un tel engagement. Ses innombrables combats contre le fascisme, le racisme et pour plus d’humanité parmi les hommes ont toujours été menés sous les auspices des Justes. Aussi s’est-il engagé avec ferveur au sein du « groupe mémoire » à l’adresse des générations futures autour des Justes, de l’enfermement et de la résistance.

Pendant des années, il a participé aux côtés, notamment, de représentants de l’Association culturelle juive (Bruno Cohen, Gérald Tenenbaum, Gilles Edelson) à de nombreuses réunions visant à réfléchir à la meilleure façon d’honorer la mémoire pour renseigner l’avenir. Ils espéraient que la future place des Justes pourrait intéresser et édifier la jeunesse sur ce que fut l’engagement contre la barbarie toujours possible. Restait à inventer un aménagement pour la place ; à élaborer un parcours mémoriel ; à choisir une œuvre d’art témoignant de ce que signifie être un Juste, désobéir, disposer de son libre-arbitre.

Le projet, hélas, peinait à avancer et mon mari m’a souvent répété qu’il mourrait sans voir l’issue de son ultime combat, la place des Justes. Et il est mort sans l’avoir vue.

Par hasard, j’ai appris, il y a quelques jours, qu’une place des Justes allait être inaugurée à Nancy ce vendredi 29 novembre. Sous le coup de la surprise et de l’émotion, j’ai d’abord envisagé d’assister à cette « inauguration ».

Mais après l’émotion est venu le temps de la réflexion qui motive ces lignes.

Le projet de la place des Justes, objet depuis des années de si nombreuses réunions, était au point mort. Le questionnement collectif sur sa finalité n’avait pas abouti. Son déploiement dans l’espace, entre mémoire du passé et vigilance pour l’avenir, n’était pas défini. Inaugurer une place dans de telles conditions, revenait à affirmer qu’elle n’avait aucun sens – sauf de recevoir un nom.

D’ailleurs, les derniers juifs de Nancy sauvés par les Justes n’ont pas été prévenus ; ni même les familles de ces Justes ; pas plus que les anciens déportés ou leur descendants. Les représentants des juifs de la Ville présents au « groupe mémoire » n’ont, quant à eux, pas été associés à une « inauguration » dont ils ont à peine été avertis.

La place des Justes de Nancy devait être une réflexion sur l’engagement et ce qu’il nous impose ; une interpellation sur l’avenir au nom de la mémoire ; une incitation à la réflexion tournée vers la jeunesse. Elle ne sera rien de tout cela.

Inaugurée à la va-vite et en catimini, lors du même rassemblement officiel qu’une allée à la mémoire d’un ancien chef d’Etat, elle a été vidée de l’esprit qui lui donnait sa raison d’être. Ni moi ni mes enfants ne peuvent s’associer à un tel renoncement.

Pour rester fidèle à mon mari, je ferai connaître les raisons de notre absence. Je porterai donc à la connaissance de ceux qui ont accompagné ses combats politiques, philosophiques et éthiques les lignes que je vous adresse ici.

Je vous prie de croire, Monsieur le Maire, Monsieur le président de la métropole du Grand Nancy, en mes sentiments les plus sincères.

Simone Herszberg et sa famille