Relents d’égouts #11. Islamophobie et islamisme, deux stratégies identitaires



Rubrique consacrée à l’actualité des conspis, des confus et d’autres cons… faisant, directement ou indirectement, le jeu de l’extrême droite.

Cela ressemble à une coulée de boue brune… Après l’attentat du commissariat de Paris, commis par un policier « radicalisé » islamiste, un élu RN interpelle une mère voilée accompagnant une sortie scolaire au conseil régional de Bourgogne Franche-Comté, une autre élue RN l’insulte, et puis, la machine s’emballe avec des tags racistes sur une mosquée, jusqu’à l’attentat, d’extrême droite cette fois, commis le 28 octobre à la mosquée de Bayonne par un ancien candidat FN aux élections départementales en 2015. L’auteur de l’attentat, raciste assumé et manifestement « radicalisé », a poussé jusqu’au bout la ligne islamophobe adoptée par le RN depuis plusieurs années, promue par Renaud Camus, le théoricien du « grand remplacement » et relayée ad nauseam par Éric Zemmour et les chaînes poubelles CNews, LCI ou BFM TV.

L’extrême droite n’est cependant pas la seule à agiter la peur de l’étranger, des musulmans et des islamistes, le tout bien mélangé. La droite, LR et LREM, les suivent de tout près. Rebondissant sur l’attaque du commissariat, Macron en a ainsi appelé à une « société de vigilance », le 8 octobre, vite relayé par Castaner, qui a listé les « signes qui doivent être relevés » pour repérer la « radicalisation ». Quelques jours plus tard l’université de Cergy-Pontoise a voulu jouer les premiers de la classe en diffusant aux personnels une liste de « signaux faibles de radicalisation » pour déceler les potentiel∙les terroristes parmi ses collègues et ses étudiant∙es. Il semble pourtant évident qu’entretenir un climat de suspicion généralisée à l’endroit des musulman∙es, seul∙es susceptibles de « radicalisation » si on les écoute, ne peut que favoriser les replis identitaires que les tenants de la droite « républicaine » prétendent combattre.

Suite à l’agression contre la mère voilée en sortie scolaire, Blanquer n’a rien trouvé de mieux à faire que d’emboîter le pas aux deux élu∙es RN en indiquant qu’il ne fallait pas « encourager [le] phénomène » des accompagnatrices voilées. Le maire de Nancy, Laurent Hénart, à l’arrivisme pathétique, s’est quant à lui précipité pour défendre l’idée d’un décret. Le lendemain de l’attaque contre la mosquée de Bayonne, c’était au tour du Sénat de discuter et d’adopter un projet de loi des Républicains visant à interdire le voile lors des sorties scolaires. Le gouvernement a beau jeu de se démarquer de l’initiative et d’annoncer qu’elle sera retoquée par l’Assemblée, LREM et LR jouent bel et bien la même partition, instrumentalisant la laïcité pour s’en prendre aux musulman∙es. C’est la course derrière Le Pen, que vient confirmer l’entretien accordé par Macron, sur son initiative, à Valeurs actuelles : non content de choisir un hebdomadaire d’extrême droite, connu et condamné pour ses unes racistes mêlant allègrement islam, islamisme et radicalisation, Macron s’est lui-même livré à quelques saillies contre les soutiens aux migrant∙es, glissant de la question de l’immigration à celles de l’islam, du voile et du « communautarisme ».

Il peut être utile de signaler ici que l’islamophobie, dans le sens qu’a fini par prendre ce terme, consiste précisément en un rejet global de l’islam, de l’islamisme et des musulman∙es. Ce rejet plus ou moins haineux, qui est ainsi stratégiquement mis en avant par le RN et par de nombreux politiciens de droite « républicaine », fait également le jeu, symétrique, des courants islamistes en assimilant critique de la religion (l’islam), combat contre un projet politique (l’islamisme) et haine à l’encontre des croyant∙es ou supposé∙es tel∙les (les musulman∙es). Les replis identitaires se renforcent mutuellement et renforcent les courants les plus radicaux de chaque « camp », islamophobes et islamistes.

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Ben Slow, "Haine" (Londres 2013)

La solidarité avec les personnes musulmanes ou supposées telles face aux attaques et agressions ne peut pas faire abstraction des courants identitaires islamistes à l’œuvre depuis plusieurs décennies en France comme ailleurs dans le monde. Que le voile porté par une femme puisse avoir pour elle de multiples significations et relever d’un choix strictement personnel, et que cela constitue ainsi un droit à défendre, cela est tout aussi évident que le fait que le sens du voile ne se réduit pas à cette appréhension individuelle mais qu’il s’inscrit également dans un contexte collectif, historique et politique. Quand certaines musulmanes revendiquent aujourd’hui en France le droit (légitime) de le porter, d’autres se sont battues dans les années 1980 contre la pression des militants intégristes qui voulaient en faire une obligation dans les quartiers populaires, en France ou en Algérie, quand d’autres, enfin, en Égypte ou en Iran, luttent actuellement pour s’en débarrasser. Défendre le droit de femmes musulmanes à porter le voile si elles le souhaitent ne signifie pas gommer sa signification sociale et historique qui demeure foncièrement liée à la domination patriarcale.

N’en déplaise aux islamistes comme aux islamophobes, la défense de l’égalité des droits, donc en particulier des droits des musulman∙es, peut et doit être dissociée de la critique de la religion et de ses pratiques comme du combat politique contre l’islamisme. Contrairement à ce que semblent penser certains courants antiracistes et de gauche, combattre la haine et le racisme antimusulmans n’implique pas de taire le combat contre l’islamisme. L’islamisme, dans ses versions « modérées » comme « radicales », demeure un courant politique foncièrement réactionnaire que cette haine et ce racisme renforcent et dont les musulman∙es du monde entier sont les premières cibles et victimes.

Les poussées d’islamophobie dont font preuve les politiciens de droite plus ou moins extrême, au nom de la laïcité ou du droit des femmes, ne font que renforcer les lignes identitaires : ligne identitaire européenne blanche et chrétienne contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à des étranger∙es d’un côté, ligne identitaire musulmane promue par les islamistes contre tout ce qui ressemble à un mécréant de l’autre. Quant aux populations prises entre le marteau et l’enclume, entre islamophobie et islamisme, elles méritent mieux que ces pseudo-soutiens.

Raph

Article paru dans RésisteR ! #65, le 7 novembre 2019