Pseudo-sciences ou esprit critique : il faut choisir !



TRIBUNE. Une polémique s’est développée au sein de l’Université de Lorraine (UL) à propos de certains enseignements portant sur l’homéopathie dans le cursus de formation des étudiant·es infirmier·es. En effet Thomas C. Durand, un youtubeur actif de la zététique [1], a mis en évidence que certains cours de l’UL constituaient une véritable apologie de cette pseudo médecine.

Après avoir dans un premier temps annulé les interventions de l’Association pour la science et la transmission de l’esprit critique (ASTEC) dont Thomas C. Durand est animateur, l’Université de Lorraine les a par la suite reprogrammées, et il semble que les choses évoluent positivement relativement à la place de cette pseudo-science puisqu’un intervenant pharmacien et professeur d’homéopathie à la faculté de Nancy n’est quant à lui pas reconduit.

En matière de croyances, chacun·e fait ce qu’ielle veut et doit rester libre de se soigner au moyen de médecines conventionnelles ou "parallèles". Qui plus est, la médecine est une pratique et non pas une science : elle ne découle pas mécaniquement de nos connaissances biologiques ou anatomiques parce qu’elle suppose une prise en compte globale de la personne, sous ses angles biologiques, psychologiques, sociaux et culturels. De ce point de vue, la médecine possède une similarité avec la pédagogie : même si le ministre Blanquer rêvait de la voir mise au pas par les neurosciences, la pédagogie est une pratique qui repose sur une approche globale, sociale et culturelle des élèves. Cependant, la médecine a tout intérêt à prendre appui sur les connaissances et résultats scientifiques engrangés depuis plusieurs siècles. Ainsi, même si la stratégie vaccinale n’a pas résolu à elle seule la situation de crise sanitaire, les connaissances accumulées sur les vaccins à ARN messagers ont permis de la mettre au point et cette stratégie a montré une réelle efficacité face à la pandémie de Covid.

La polémique sur la place de l’homéopathie à l’UL pose la question de la présence d’enseignements pseudo-scientifiques au sein même d’une université. En effet l’homéopathie n’a aucun fondement scientifique, et c’est même plutôt l’inverse. À l’opposé d’autres pratiques médicales, cette pseudo médecine ne s’appuie sur aucun mécanisme biologique, et si certain·es de ses défenseurs ont à la fin des années 1980 invoqué le fondement de la "mémoire de l’eau", leurs "preuves" se sont avérées être frauduleuses et ce fondement totalement fantaisiste. Quant aux prétendus "médicaments homéopathiques" censés soigner les patient·es, les études sur leur efficacité compilées par la Haute autorité de santé (HAS) en 2019 montrent un effet comparable à l’effet placebo, ce qui a amené à leur déremboursement.

Dans ce contexte, on peut légitimement se poser la question des raisons qui conduisent une université ou une de ses composantes à promouvoir ce type de pseudo-science. Pour pousser le bouchon un peu loin pourrait-on craindre de voir apparaître des cours antivaxx en fac de médecine et nourrir ainsi le délire anti-science ? Pourrait-on aussi redouter l’étude de la "pédagogie" Steiner à l’INSPE, pédagogie dont les dérives sectaires sont avérées ? Et pour enchaîner sur les dérives sectaires du courant ésotérique de l’anthroposophie (dont la pédagogie Steiner fait partie intégrante), pourrait-on voir se développer aussi des cours de biodynamie en lycée agricole ? Ou encore l’enseignement de la Terre plate en géologie ?

Pour notre syndicat de lutte et de transformation sociale, l’université doit offrir un enseignement émancipateur, basé sur l’esprit critique mais aussi sur des connaissances reconnues par la communauté scientifique. Cela suppose de garantir l’indépendance de la recherche scientifique vis-à-vis des pouvoirs économique, idéologique, religieux et politique, et de garantir ainsi les conditions du débat scientifique, de l’évaluation et de la validation des travaux par les pair·es. Cela implique de former les étudiant·es aux questions de controverses et de validation scientifiques, au travers de l’histoire des sciences comme dans les débats contemporains.

Cela n’implique pas, bien au contraire, que les débats scientifiques doivent restés confinés dans le monde académique. L’urgence écologique et l’impasse du capitalocène, défini comme l’ère géologique dans laquelle le capitalisme est vu comme responsable des principaux effets néfastes sur la biosphère et le climat, nécessitent d’impulser un débat général dans toute la société. Ce débat ne devra pas laisser la main aux spécialistes ou experts, qu’ils soient institutionnels ou autoproclamés. Il devra donc inclure toutes celles et ceux qui ne sont pas des spécialistes des sciences, ou dont les connaissances dans le domaine sont en construction, un débat sur la place des sciences, sur l’articulation entre sciences et techniques, sur le rôle des institutions scientifiques et leur indépendance, sur la délibération politique et collective.

Mais offrir un enseignement émancipateur implique aussi, évidemment, de tenir l’enseignement universitaire à distance des assauts des courants pseudo-scientifiques et, pour certains d’entre ces courants, d’en permettre une compréhension critique par les étudiant·es. Pour l’heure il semblerait que l’Université de Lorraine ait réintégré un module d’enseignement critique et n’ait pas reconduit d’enseignement très favorable à l’homéopathie. Reste néanmoins le problème du contenu de certaines thèses d’exercice pour le diplôme de pharmacien, mais qui n’est pas un problème spécifique à la seule Faculté de pharmacie de Nancy.

Pour plus d’informations sur le sujet :

Tribune parue dans SUD éducation Lorraine info n°49, novembre 2022


Notes

[1La zététique est une pratique intellectuelle que l’on qu’on pourrait vulgairement résumer à l’art de faire la différence entre ce qui relève de la science et ce qui relève de la croyance.


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