À la date où nous écrivons (mi-décembre), les flics se sont comportés comme traditionnellement à Nancy, c’est-à-dire de manière plutôt tempérée, se contentant d’arborer leurs armures et leurs flash-balls sans en faire usage, loin des violences policières observées ailleurs. On ne va pas s’en plaindre, même si on se doute bien que cela n’est que la contrepartie de notre propre modération… et qu’il ne faut absolument pas croire que cela va durer.
Le préfet, nommé par Macron en décembre 2017 en Meurthe-et-Moselle, est un ancien jeune giscardien et aussi, en passant, un ancien directeur de cabinet et conseiller de Sarkozy, quand celui-ci était ministre de l’Intérieur. Est-ce cela qui lui donne envie d’en découdre ? Il lui est venu une idée étonnante quand il a décrété l’interdiction de la manifestation pour le climat du samedi 8 décembre, alors même qu’elle était autorisée dans de nombreuses villes. Le prétexte ? Un risque de conflit avec les Gilets Jaunes, du fait d’un désaccord sur la taxe pétrolière. Le préfet fait semblant ou alors il a au moins un train de retard : cela faisait au moins deux semaines que ladite taxe s’était retrouvée noyée dans un ensemble de revendications sociales, sur le salaire minimum, les retraites, la justice fiscale… et que les Gilets Jaunes s’étaient exprimés en faveur d’une convergence avec d’autres luttes.
Alors, bien entendu, la manif a quand même eu lieu, des dizaines de personnes se sont déclarées organisatrices, la manif a tenté de converger avec les Gilets Jaunes, et réciproquement, place Stanislas, malgré un cordon de CRS bloquant le passage… et puis le préfet a fait arrêter et placer en garde à vue pour la nuit deux de ces organisateurs, Florent Compain et Denys Crolotte, militants connus pour leur engagement écolo et non-violent. Quelle mouche a piqué le préfet ? Est-ce qu’il ne supporte aucune résistance ?
Évidemment, on est tenté de rapprocher cela de l’attitude de la police vis-à-vis des étudiant∙es à Nancy. Quand en mai 2018, le président de l’université lui avait demandé d’intervenir, les flics s’étaient lâchés en matraquant et en traînant au sol des jeunes résistant passivement à leur intervention… comme s’ils attendaient cela depuis des semaines. Et depuis, c’est à se demander s’ils ne se croient pas en terrain conquis. Poursuivant une manifestation lycéenne, mardi 11 décembre, une vingtaine de flics sont entrés dans la fac de lettres, sans l’autorisation de quiconque, cela malgré les protestations de syndicalistes leur rappelant qu’ils ne sont pas censés intervenir sans demande du président de l’université.
Le préfet serait-il en train de tenter une prise en main des libertés, à l’occasion des mouvements sociaux en cours ?
Aux lycéen∙nes qui tentent de se mobiliser en se rassemblant de bon matin devant des établissements, il répond par des nassages puis des exfiltrations au compte-gouttes, sous le motif d’interdiction de manifester. Manifester est un droit, expose-t-il régulièrement dans ses communiqués, mais en pratique il répond par l’interdiction et la pression pour dissuader l’expression des revendications.
Samedi 15 décembre, il fallait assurer l’accès aux principales zones commerciales de l’agglomération et le préfet s’est empressé d’y interdire les rassemblements de Gilets Jaunes. Le préfet pratique l’intimidation, chaque action se transformant en interpellations et gardes à vue (étudiant∙es, Gilets Jaunes, lycéen∙nes), les nasses se multiplient (manif Macron, manif organisée par les cheminots le jour de la venue de Philippe, Gilets Jaunes le 8 décembre), les déblocages sur l’A31 se font à coup de lacrymos, les lois antiterroristes sont appliquées aux étudiant∙es (nuits de garde à vue, extractions de code PIN et prises d’ADN) et les municipalités qui soutiennent les prisonniers politiques palestiniens sont convoquées devant les tribunaux. Jusqu’aux catholiques du secteur qui subiraient sa pression, parce que, à ses yeux, trop d’entre eux seraient accueillant∙es avec les migrant∙es. Tout ça, c’est de la résistance à la politique du gouvernement et il faut que cela cesse. Le préfet, représentant de l’État, préfère laisser les gens à la rue. Manifestement, il aimerait que tout le monde soit en marche… mais au pas. Heureusement, il n’a pas gagné.
Article paru dans RésisteR ! #59, le 22 décembre 2018
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