1998 : Le rapport du Credes (Centre de Recherche, d’Etude et de Documentation en Economie de la Santé) [1] indique que, cette année là, 14% des personnes ont renoncé à des soins de santé pour raison financière, ce pourcentage est de 30% chez les chômeurs
29 juillet 1998, la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions prévoit la mise en place d’une Couverture Maladie Universelle (CMU).
27 juillet 1999, la loi 99-641 institue la CMU. Entrée en vigueur le 1er janvier 2000, elle avait l’ambition de « de permettre à tous de bénéficier sans délai de la protection d’un régime de sécurité sociale » [2]
Belle déclaration d’intention démentie immédiatement dans le paragraphe suivant : « Désormais, tout résident stable et régulier (ce dernier critère étant applicable aux seuls étrangers) doit être affilié au régime général s’il n’a pas de droits ouverts à un autre titre dans un régime de base »
Que restait-il aux résidents en situation dite « irrégulière » ?
En fait, l’Aide Médicale d’Etat (AME) [3] pouvait théoriquement prendre en charge les frais de santé des étrangers démunis, résidant en France sans condition d’ancienneté de séjour, et qui ne remplissaient pas les conditions d’attribution de la CMU.
Or, déjà, l’accès à l’AME souffrait de la mauvaise volonté de certaines caisses d’assurance maladie, bien que les refus pour “séjour inférieur à 3 mois” ou “visa en cours de validité” aient été jugés illégaux.
Dans une logique passéiste, le gouvernement Raffarin vient de supprimer cette possibilité en introduisant un « ticket modérateur » à charge des personnes bénéficiaires de cette aide, et a, dans le même élan, réduit de 30% le budget qui lui était alloué. Ceci, bien évidemment, sous couvert d’une soi-disant « maîtrise des dépenses de santé ». Il ne m’apparaît pas opportun ici de m’appesantir sur le caractère inhumain de cette décision. Il est évident ! Par contre l’aspect passéiste, et dangereux pour la santé de l’ensemble de la population résidant en France, de ce choix m’offre l’occasion d’envisager les conséquences de ce choix au regard de « l’économie de la santé ».
Précarité et absence de soins
La précarité sociale est associée à la dégradation de l’état de santé des individus. Le British medical Journal met en exergue en 1994 le lien entre précarité et mortalité : les hommes au chômage pendant cinq ans ont deux fois plus de chance de mourir dans les 5,5 années suivantes que ceux qui ont conservé leur emploi. [4]
Absence de soins et développement des épidémies
L’absence de prise en charge médicale entraîne une aggravation de l’état de santé des populations « Même s’il n’existe pas de maladies spécifiques de la précarité, les plus démunis restent aujourd’hui les plus exposés aux risques de tomber malades » [5]
Or le risque collectif encouru par l’ensemble de la population en présence d’agents pathogènes est reconnu de manière consensuelle.
Un cas d’école : la tuberculose
Cette courbe est symptomatique de l’effet « conditions matérielles de vie ». Si elle reflète la situation de la mortalité par tuberculose en Angleterre, elle est similaire pour l’ensemble des pays industrialisés. [6]
On voit que les traitements hospitaliers (sanatorium) en vigueur durant la première moitié du XX ème siècle ne semblent pas avoir modifié en Angleterre, un déclin très net et régulier de la maladie, marqué depuis que des données sont disponibles. La découverte de la chimiothérapie par la streptomycine, puis d’autres substances, et l’application du vaccin par le B.C.G. n’ont fait qu’accentuer une chute de la mortalité dont l’essentiel était déjà réalisé grâce à des facteurs non médicaux.
En fait, la baisse de mortalité par tuberculose, maladie endémique du XIX siècle dans les pays industrialisés est due, pour l’essentiel à l’amélioration des conditions de vie, notamment l’approvisionnement en eau courante, l’assainissement (égouts) et l’hygiène (en particulier logements plus salubres, aérés, spacieux).
[...]
Des décisions dangereuses pour notre santé … et notre économie !
Le fait d’avoir exclu une catégorie de résidents de la CMU, puis la remise en cause de l’Aide Médicale d’Etat, pour ces mêmes personnes est tout simplement une mesure d’un autre âge qui s’avère particulièrement dangereuse pour la santé publique. En effet, la population concernée se trouve : * en situation de grande précarité et donc particulièrement fragilisée sur le plan sanitaire* en situation irrégulière, au regard de la législation, et donc encline à se « cacher »
L’accès aux soins de santé (dont les mesures de prévention comme la vaccination) s’avérant impossible pour ces résidents il est raisonnable d’envisager la prolifération de certaines infections.
Le caractère totalement inhumain de la modification de l’Aide Médicale d’Etat, qui n’a pas l’air de perturber ces individus qui siègent au Sénat ou à l’Assemblée Nationale, ne peut aboutir qu’à une chose : la dégradation de la santé générale de l’ensemble de la population, et, par voie de conséquence, l’augmentation des dépenses de santé !
Chantal Bernard-Putz (janvier 2002)
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