Parmi les mille Gilets Jaunes qui avaient envahi le centre-ville, il y avait en effet de tout. Passons rapidement sur les drapeaux tricolores qui pouvaient ressembler à des restants de Coupe du monde de foot. Mais il a fallu aussi se taper La Marseillaise. Pas tant que ça, mais évidemment, à chaque fois, ça fait mal. Le fait est que voulant exprimer une colère insurrectionnelle, la plupart des manifestant·e·s n’ont à leur disposition que ce chant autrefois révolutionnaire, devenu un exécrable hymne nationaliste. Les « Macron enculé ! » et autres slogans homophobes et sexistes en ont encore ajouté.
Oui ! Ça fait beaucoup pour nous autres internationalistes, antisexistes, antifascistes et bien propres sur nous.
Oui ! On en a bavé, quand on a vu des ex du GUD essayer de s’intégrer au cortège et aussi quand on a entendu des soralien.nes et autres adeptes de Dieudonné entonner leurs chansons antisémites sous couvert de « quenelles ».
C’était pas facile, mais on y était.
On ? Quelques-un·e·s de Solidaires, avec ou sans chasuble, des camarades de SUD Éduc, de La Crise et d’autres encore. On a fait ce qu’on a pu. On a scandé des slogans à nous, parfois repris par d’autres. On a parlé… et pas qu’entre nous. On a partagé nos désirs de révolution, on a semé le doute, fait remarquer à certain·e·s qu’on pouvait exprimer une révolte en fustigeant les riches et les puissant·e·s sans être sexistes ou homophobes. On a beaucoup échangé. On est parfois resté·e·s les bras pantelants et la mine défaite devant des abruti·e·s, lourdingues, racistes, bêtes à manger du foin.
Mais la colère qu’on a vue dans cette manif, on la connaît : c’est notre colère. C’est celle que nous crions depuis des années, parfois des décennies. Cette colère qui nous a poussé·e·s à militer, lire et étudier. Cette rage qui nous a poussé·e·s à réfléchir sur nous-mêmes et sur nos rapports aux autres. Cette colère qu’il nous a fallu parfois dompter, canaliser sans jamais la tiédir ou la tarir. Et il en a fallu du temps à la plupart d’entre nous ! Il en a fallu des avancées, des reculs, des doutes mais aussi des rencontres pour être là où nous en sommes, penser notre présent et notre avenir en même temps que celui de l’Humanité et de la planète, de manière collective. Bien sûr, pour ceux et celles qui sont sorti·e·s de la cuisse de Bakounine ou qui sont né·e·s avec un marteau et une faucille en argent dans la bouche, ce genre de questionnement est une perte de temps. Pour celles et ceux qui confondent militer et entrer dans les ordres – et leur reconstruction avec l’horizon du genre humain –, tout ça sent le fagot.
Tant pis !
Ces gens qui manifestaient samedi 15 décembre, à Nancy, j’en suis !
J’en suis ! Mais pas comme commentateur ou missionnaire, non j’en suis comme anticapitaliste, antifasciste, comme écologiste et antisexiste.
Quand la moitié de la manif s’est mise à genoux les mains derrière la tête en scandant « Mantes-La Jolie, on n’oublie pas ! », je n’étais pas tout seul à me dire que ça n’est pas perdu et à comprendre qu’on avait des choses à dire, à proposer et beaucoup à apprendre.
« Je m’attendais à quoi ? »
À rien ! J’avance… et parfois ça n’est pas confortable.
Victor K
Article paru dans RésisteR ! #59, le 22 décembre 2018
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