Enquête de Reporterre et Mediapart sur l’information judiciaire ouverte à Bure

Bure (55) |

Cette semaine, deux journalistes de Reporterre et Mediapart publient le résultat d’une longue et minutieuse analyse du dossier de l’information judiciaire ouverte en juillet 2017 contre les opposant·es au projet Cigéo, à Bure. Elles révèlent, dans cette enquête en trois volets, les moyens de renseignement, de surveillance de masse, ainsi que les moyens financiers considérables mis en œuvre par la justice et par la gendarmerie dans le cadre de cette instruction hors normes.

1/3 : La justice a massivement surveillé les militants antinucléaires de Bure

Des dizaines de personnes placées sur écoute, un millier de discussions retranscrites, plus de 85.000 conversations et messages interceptés, plus de 16 ans de temps cumulé de surveillance téléphonique : l’information judiciaire ouverte en juillet 2017 est une machine démesurée de renseignement sur le mouvement antinucléaire de ce village de la Meuse, selon les documents qu’ont consultés Reporterre et Mediapart.

Des visages pris dans une toile de flèches et de diagrammes. Sous chaque photo : date et lieu de naissance, surnom, organisation. Les individus sont regroupés en « clans », reliés à des lieux et à des cotes du dossier d’instruction. Certains visages sont grossis, d’autres réduits à la taille d’une tête d’épingle. Certaines personnes ont droit à une photo, d’autres apparaissent sous une forme de pictogramme – bleu pour les hommes, rose fuchsia pour les femmes.

Ce schéma a été réalisé par la cellule d’analyse criminelle Anacrim de la gendarmerie nationale. Son logiciel, Analyst’s notebook, permet de visualiser les liens entre des personnes via leurs numéros de téléphone, des lieux, des événements. Cette technique est habituellement utilisée pour résoudre des crimes particulièrement graves : elle a récemment ressorti l’affaire Grégory des ténèbres judiciaires, et est actuellement utilisée dans l’enquête sur le tueur multirécidiviste Nordahl Lelandais.

La suite à lire ici.

2/3 : L’État a dépensé un million d’euros contre les antinucléaires de Bure

L’enquête pénale ouverte en juillet 2017 contre les opposants au projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo dans la Meuse, accusés d’avoir tenté de mettre le feu à un hôtel-restaurant, a nécessité l’engagement de moyens financiers considérables de la part de la justice et de la gendarmerie, d’après une enquête conjointe de Mediapart et Reporterre.

Une cohorte d’expertises, de requêtes aux opérateurs de téléphonie, de gendarmes organisés en cellule pendant plusieurs années : alors que magistrats, avocats et greffiers ne cessent de dénoncer l’indigence de la justice française, l’enquête ouverte contre les militants antinucléaires de Bure semble bénéficier, elle, de moyens illimités.

Mediapart et Reporterre ont eu accès aux 15.000 pages du dossier d’instruction ouvert à l’été 2017 contre les opposants au centre d’enfouissement de déchets nucléaires, dans la Meuse. C’est l’un des plus gros équipements industriels en projet en France aujourd’hui et un chantier très sensible pour l’avenir de la filière nucléaire. Dix personnes y sont mises en examen, dont sept pour association de malfaiteurs, après deux départs de feu dans un hôtel-restaurant et l’organisation d’une manifestation non déclarée qui a tourné aux affrontements avec les forces de l’ordre.

Devant l’ampleur des mises sur écoute, des commissions d’experts et des gendarmes réquisitionnés dans ce dossier, nous avons décidé de calculer le coût supporté par l’État d’une telle investigation, toujours en cours en avril 2020.

La suite à lire ici.

3/3 : À Bure, la justice a foulé aux pieds les droits de la défense

Le dossier d’instruction, auquel Mediapart et Reporterre ont pu avoir accès, révèle une conception particulière de l’exercice des droits de la défense : des centaines de messages soumis à la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients y figurent, alors qu’ils devraient être protégés par le secret professionnel. Par ailleurs, l’un des avocats du mouvement a lui-même été surveillé avant d’être mis en examen.

C’est un rapport de trente-sept pages annexé au dossier d’instruction — qui en compte déjà 15.000 — ouvert en juillet 2017 contre les opposants au projet d’enfouissement des déchets radioactifs (Cigéo) à Bure, dans la Meuse. Trente-sept pages de conversations téléphoniques retranscrites dans un dossier qui ne lésine pas sur les écoutes : d’après nos calculs, 85.000 conversations ont été interceptées par les gendarmes dans ce dossier (lire le premier volet de notre enquête). Si l’ensemble de cette surveillance de masse pose des problèmes éthiques, ces extraits-ci soulèvent des questions déontologiques : leur retranscription porte atteinte au secret professionnel qui, en droit, protège les échanges entre clients et avocats.

Le 20 juin 2018, une perquisition a eu lieu chez l’une des mises en examen de cette information judiciaire, ouverte en juillet après deux départs d’incendie dans l’hôtel-restaurant du Bindeuil le 21 juin. Un ordinateur et trois téléphones y ont été saisis. Devant l’impossibilité pour les gendarmes de retranscrire les conversations Signal (un logiciel chiffré) de l’un des téléphones, le juge d’instruction a ordonné son transfert au Centre technique d’assistance (CTA) de la gendarmerie, une cellule spécialisée dans le décryptage de données numériques et soumise au secret défense. Le magistrat demande de « procéder au déchiffrement des mots de passe et à la mise au clair des données chiffrées ».

Transmise au magistrat instructeur le 4 septembre 2019, le rapport du CTA reproduit in extenso 800 messages contenus dans le téléphone, échangés entre février et juin 2018. La confidentialité de ces échanges ne fait guère de doute. D’abord parce que dès la première page, qui répertorie les contacts du téléphone, de nombreux avocats sont mentionnés comme tels. Il est donc très facile de vérifier qui sont les interlocuteurs des conversations retranscrites dans les pages suivantes.

La suite à lire ici.