Comment l’indifférence et l’incompétence devinrent les mamelles de l’éducation nationale
Quand Jean-Michel Blanquer a annoncé qu’il allait « remuscler » le bac, il y a quatre ans, il n’était pas difficile de comprendre ce qu’il allait vraiment faire : tuer cette vénérable institution nationale et la remplacer par un examen local qui, à défaut d’être plus équitable et moins anxiogène pour les élèves, serait nettement moins coûteux. Tout cela était parfaitement prévisible. En revanche, personne ne savait à quel point l’organisation du baccalauréat – ou, pour mieux dire, sa désorganisation – serait catastrophique en 2021.
Bien entendu, les inconditionnels du gouvernement actuel pourront toujours invoquer l’excuse de la pandémie. Mais, comme on va le voir, la pandémie n’explique pas tout, loin de là. De plus, M. Blanquer n’en a guère tenu compte. Il aurait pu, notamment, consentir à supprimer – au moins provisoirement – le « Grand » Oral, comme le demandaient plusieurs pétitions. Même en temps normal, on peut douter que les professeurs de spécialité auraient pu consacrer beaucoup d’heures à la préparation de cette épreuve, vu la lourdeur des programmes. Mais avec la pandémie, il était évident que de nombreux candidats seraient très mal préparés. Qu’à cela ne tienne : M. Blanquer tenait à leur imposer son joujou, tel un enfant qui veut à tout prix épater ses copains en leur montrant les cadeaux qu’il a reçus pour son anniversaire.
De manière générale, le bac à la sauce Blanquer témoigne d’un mélange d’incompétence au plus haut niveau et d’indifférence – pour ne pas dire de malveillance – à l’égard des élèves et des personnels de l’éducation nationale. Si j’ose évoquer l’hypothèse d’une malveillance, c’est que je suis frappé par le décalage entre le discours officiel du ministère – toujours dégoulinant de bons sentiments – et la réalité de son action politique. Depuis quelques années, l’institution demande aux professeurs de faire preuve de « bienveillance » envers les élèves, c’est-à-dire de les noter avec indulgence. Pure hypocrisie. Si le ministère de l’éducation nationale était vraiment bienveillant, il ferait en sorte que les groupes d’élèves soient réduits, que les élèves en difficulté soient aidés sérieusement depuis la maternelle jusqu’au bac, et que les professeurs soient bien payés, bien formés et travaillent dans des conditions agréables pour eux comme pour leurs élèves. Mais tout cela demande de l’argent, et il est évidemment moins coûteux de gonfler artificiellement les moyennes des élèves. La « bienveillance » apparente n’est donc que de l’indifférence ou de la malveillance. En fait, c’est tout le vocabulaire qui est pervers dans l’éducation nationale. Comme dans 1984, le sens des mots a été retourné. Les « réformes » ne sont pas des progrès mais des régressions ou des destructions. L’éducation « nationale » n’est plus nationale, mais locale. Le bac devient un diplôme maison, dont la valeur dépend du prestige de l’établissement fréquenté. La « continuité pédagogique », dont s’est gargarisé le ministre au moment des confinements, ne fut rien d’autre qu’une rupture pédagogique, plus ou moins marquée suivant les élèves et les établissements. L’« école de la confiance » est une école de la méfiance de tous à l’égard de tous. « L’école de la République », loin d’être au service de l’intérêt public, est plus que jamais une machine à justifier le pouvoir de l’oligarchie, en récompensant les élèves « méritants » (généralement issus des classes favorisées culturellement ou/et financièrement) et en sanctionnant les mauvais élèves (souvent issus des classes populaires).
Trêve de généralités. Je reviendrai à la fin de cet article sur le problème du tri des élèves, mais pour l’heure, il est temps de narrer l’histoire merveilleuse de la session 2021 du baccalauréat. Je parlerai essentiellement des épreuves finales, et plus précisément de la philosophie, la discipline que j’enseigne. J’ai déjà dit quelques mots du « Grand » Oral, épreuve fort discutable en soi, et qui a été (dés)organisée de manière lamentable d’après les échos que j’en ai eus. Je sais que les professeurs de français auraient aussi beaucoup de choses à dire sur ce qu’ils ont pu observer et subir : cf. le texte en annexe. Mais mes informations concernent surtout les épreuves de philosophie et la manière dont les candidates et les candidats ont été évalués dans cette matière. Elles proviennent de ce que j’ai pu observer personnellement, mais aussi des témoignages de collègues de toute la France, avec lesquels je suis en contact par mon syndicat (le SNES) ou par des associations de professeurs de philosophie (ACIREPh, APPEP).
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