À l’origine la salle, réservée par l’association Là Qu’on Vive, pour présenter et débattre d’une initiative de municipalisme libertaire à Commercy, s’est finalement transformée, par la force des choses et la coïncidence heureuse des envies, en une assemblée extraordinaire des Gilets Jaunes.
Une occasion pour sortir de la temporalité au jour le jour du mouvement social, faire une rétrospective des actions locales et de l’évolution nationale de la mouvement au cours des trois semaines passées. Un moment surtout pour ouvrir la parole à tous et toutes sur la perception du mouvement et de ses enjeux et pour se projeter sur des lendemains, au-delà de ce qui pourrait se passer dans les jours et semaines à venir.
Le commun qui s’est créé autour des ronds-points, sur les barrages routiers, au gré des actions et assemblées, des discussions riches et nombreuses qui ont émaillé les dernières semaines, aspire ici et là, un peu partout en France, à s’ancrer dans la durée, s’agglomérer et s’organiser sans se structurer forcément, ouvrir dans tous les cas sur un nouvel avenir de société.
Si pour beaucoup la taxe sur les carburants a été l’étincelle, les causes de frustrations sont innombrables, surtout dans des villes et régions à forte population ouvrière, fort taux de chômage, de pauvreté et avec un important sentiment d’abandon et de mépris institutionnel.
« Pas de chefs, pas de partis, pas de syndicats, pas de récupération politique, le pouvoir par et pour le peuple ! » est un mot d’ordre qui par-delà toutes les différences entre les individus, a fait l’unanimité d’un mouvement de colère et de révolte parti d’une population défiante envers les beaux-parleurs et politiciens en tous genres.
« On est pas bêtes, on comprend qu’on nous enfume » est une phrase récurrente des assemblées qui réunissent chaque soir, qu’il vente, pleuve ou grêle, celles et ceux qui aspirent à réinventer une démocratie directe sans forcément en avoir formalisé les moyens et les outils. Juste une intuition profonde d’une confiscation du pouvoir de décision par la représentativité électorale, qui depuis longtemps à creusé le fossé entre une classe politique élitiste et méprisante des réalités sociales, et une population qui doute, qui vote de moins en moins et qui cherche sa vérité sur les réseaux sociaux, les vidéos de youtube et a appris à se défier des informations médiatiques et des discours politiques.
Une population aussi qui prend chaque jour davantage conscience que la consommation ne fait pas le bonheur, quand bien même le pouvoir d’achat augmenterait. Stress, précarité et détérioration des conditions de travail minent la vie familiale, appauvrissent et souvent réduisent à néant la vie sociale. Si les classes moyennes surnagent, le peuple qui se lève à 5h, qui trime à la chaîne ou dans les petits boulots à la semaine, qui partage sa vie entre la file du pôle emploi et celle de la CAF, entre le turbin et la galère d’assumer une vie de famille à côté, ce peuple-là est éreinté et aspire à du changement, aspire simplement au bien-être mais surtout à la possibilité du bonheur.
Ce vendredi soir à Commercy, ce sont ces voix-là, ces aspirations qui se sont exprimées jusqu’à tard dans la soirée. Entre passion, rires et espoir, les prises de paroles ont égrené les envies de récrire une constitution, ébaucher un référendum citoyen, poursuivre les blocages, mettre en place des cahiers de doléance, construire des assemblées décisionnelles aux ordres desquels seraient les élus.
Lorsqu’on entrait dans la salle avant l’assemblée, on y trouvait des hommes et femmes affublés de gilets, discutant dans une humeur joyeuse, jouant aux cartes, préparant un diaporama pour la rétrospective des actions récentes, servant café et gâteaux apportés par les unes ou les autres, ou encore d’autres installant des instruments pour finir la soirée en musique. Un joyeux brassage de personnes entre lesquelles le fil des semaines entre actions, permanences, assemblées et solidarité, a tissé des amitiés.
On s’engueule, on rigole, on a la larme à l’oeil, mais on s’écoute avec attention, et plus de 3 heures d’assemblée plus tard une centaine de personnes est toujours là, alerte, prête à débattre jusqu’au coeur de la nuit. Un espace de rencontre, de discussion, d’expression inédit qui jusqu’alors existait autour d’une cabane de palettes construite sur la place centrale et devenu le point de ralliement, le lieu des soupes solidaires du samedi et le point d’information qui fait la fierté des Gilets Jaunes de Commercy, un espace qui prend soudain une dimension plus large, celle de l’assemblée du peuple. Maladroite mais sincère, cette dernière a relevé le défi de la proposition faite à travers une vidéo très largement relayée et plébiscitée : construire un commun entre des personnes d’horizons très différents et perdurer en se donnant un nouveau rendez-vous, dans une quasi-unanimité, deux semaines plus tard au même endroit. Et d’ici là on continue à se mobiliser au quotidien à la cabane, sur les péages et partout où ce sera nécessaire pour faire plier le gouvernement et Macron à sa tête.
La soirée s’est finie avec un soutien aux lycéens interpellés, des dizaines de genoux à terre, mains derrière la tête puis le poing levé. Et une reprise en choeur d’un chant des partisans remanié, devenu une sorte d’hymne des Gilets Jaunes de Commercy. Un moment de solidarité beau et vibrant à tous égards.
Pour nous répondre/écrire : blackvest _ @ _ riseup.net
Et enfin, quelques bribes de ce qu’on a pu entendre ce soir-là à Commercy :
Les Gilets Jaunes sont en COLÈRE. La communication entre le peuple et le gouvernement ne se fait pas. Le gouvernement est sourd ! Le seul moyen de communication qu’on a c’est la coercition ! Il faut les forcer, eux ne connaissent que le bâton. »
« Le gouvernement n’a aucun négociateur, il est obligé de céder ! On fait un mélange entre la casse et l’énervement ! Ils disent « calmez vous calmez vous calmez vous » On fait croire que ça va être la guerre à Paris et qu’il faut rester calme, c’est une façon de détourner l’attention de la colère que les gens ressentent. Il faut continuer à porter des revendications pour dire « on exige maintenant que ça avance, on ne veut plus vivre comme on vit aujourd’hui ». Quand on va à la CAF quand on appelle un opérateur téléphonique on se fait prendre pour des cons, on a jamais un interlocuteur fixe, on se fout de notre gueule partout ! Ça me fait du bien je vois pas tous ces gens tous les jours ! qu’on n’attende pas de tout demander aux politiciens ils feront toujours les choses à moitié ! À chaque fois on se fait entuber, à chaque fois c’est « on se fait une réforme super dure et face à la contestation on applique que la moitié mais on le fait quand même ! ». Faut que ça s’arrête, faut qu’on continue ! »
« Et faut rester pacifiste après ? Faut tout casser ! »
« Tu disais que tes grands parents ils se sont battus mais qu’ont-ils obtenu ? »
« Moi ce qui m’’importe c’est le partage des richesses. Même si on baissait les taxes et rendait l’ISF ça serait comme avant ! Moi ce que je veux c’est faire plier la bourgeoisie, c’est pas Macron qui dirige c’est le MEDEF et la finance derrière ! »
« La France a perdu sa souveraineté en France ! Le problème c’est l’Europe ! »
« Si on est là ensemble c’est pour le droit à une vie digne pour obtenir satisfaction sur les revendications ! On peut réfléchir à un changement de système mais ce qui compte c’est gagner maintenant. C’est MAINTENANT qu’on veut une vie digne et POUR TOUT LE MONDE !! »
« Je voudrais qu’il y ait de la place pour les femmes et les revendications des femmes ! »
« Pacifiques ça veut pas dire bisounours ! Je vais pas aller provoquer à Paris. »
« La démocratie c’est une bonne chose au niveau local mais moi je m’estime incompétent au niveau d’un Etat pour prendre des décisions techniques sur les différents secteurs etc. En toute humlilité je pense que le peuple n’est pas capable de prendre toutes les bonnes décisions. Si on avait des gens honnêtes comme ministres, des bons techniciens qui prennent des bonnes décisions, le peuple n’a pas à toujours se prononcer ! »
Mais à force d’avoir l’autonomie alimentaire, bouffer correctement, avoir des soins, les gens se sont rendus compte à quel points ils étaient manipulés. Il faut se donner les moyens de l’autonomie ! Comme on met rien en commun on est seuls à essayer de s’en sortir chacun pour soi ! En 3 semaines la solidarité a déjà donné beaucoup. »
« En tant que citoyen on se sent dépossédés de plein de choses ! On a tous un degré de compromission fort, faut acheter de l’essence, des vêtements, etc. c’est dur de renoncer à ça. Changer nos modes de consommations en tant qu’écologistes pour faire du mal à la finance. »
« Les élus ont leur demande pas d’avoir une expertise, on leur demande de prendre des décisions ! »
« Vous devriez bloquer les autoroutes, embêter les gens riches, ne laisser rentrer personnes sur les autoroutes ! »
« Avant je ne participais pas mais maintenant je vois que c’est bien sensé ! »
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