Début mai, les commissaires enquêteurs en charge de l’enquête sur les expropriations ont émis leur rapport, le voici : https://www.meuse.gouv.fr/contenu/telechargement/29101/211858/file/2024_04_24_PV_enqu%C3%AAte_parcellaire.pdf
Cette étape fait donc suite à l’enquête parcellaire qui a eu lieu du 18 mars au 12 avril dans les communes concernées par cette première étape d’expropriation : Bure, Mandres-en-Barrois, Saudron, Bonnet, Cirfontaines-en-Ornois, Gillaumé, Horville-en-Ornois et Gondrecourt-le-Château (dont Tourailles et Luméville-en-Ornois).
Lors de l’enquête parcellaire, onze dates de permanences étaient prévues, dans lesquelles il était possible de consulter l’énorme dossier fourni par l’ANDRA et de faire inscrire ses remarques dans le registre, en présence des commissaires enquêteurs : Yves LALLEMAND, Francis GERARD, Jean-Pierre GRANJON, et du géomètre du dossier. Les 5500 pages réparties en de nombreux dossiers étaient disposés sur les tables. Tout le monde y a joué son rôle : les commissaires enquêteurs vantaient leur indépendance (tout en ignorant absolument tout du projet), l’ANDRA qui aurait pu répondre aux questions était absente, les dossiers semblaient conçus pour ne pas être consultés.
Le premier jour de l’enquête, un rassemblement contre les expropriations et contre CIGEO a eu lieu à Gondrecourt-le-Château [1], le soir-même, la réunion publique à Mandres-en-Barrois menée par Patrice Torres (directeur de l’ANDRA) et Emmanuel Hance (ingénieur en charge du foncier) a été perturbée, quelques jours plus tard, afin de bloquer la tenue de l’enquête, les accès de la mairie d’Horville-en-Ornois avaient été glués peu avant une permanence [2]
En parallèle de tout ça étaient organisées des réunions d’informations et de mobilisation contre les expropriations… qui ont rassemblé de nombreuses personnes !
Cette enquête parcellaire vise 336 propriétaires et concerne 569 parcelles.
Il s’agit de 180 chemins et 389 parcelles de terres agricoles ou bois, dont l’ancienne gare de Luméville et une partie du champ des Semeuses – lieux de résistance contre Cigéo.
Pour 379 d’entre elles, c’est la surface qui intéresse l’Andra, mais pour 174 parcelles, il s’agit des tréfonds, c’est à dire du sous-sol. Pour 16 d’entre elles, l’Andra s’intéresse à la fois aux tréfonds et à la surface.
L’Andra convoite les terrains de surface pour :
- construire la « zone descenderie » (actuel emplacement du labo, mais grignotant de nouveaux champs adjacents),
- implanter son Installation Terminale Embranchée (voie ferrée reliant Gondrecourt à la zone descenderie),
- construire la « liaison intersite », route d’ampleur autoroutière reliant en surface la « zone descenderie » à la « zone puits » (qui menace de prendre place dans l’actuel bois Lejuc)
Quant aux tréfonds, l’Andra les destine à :
- d’une part, accueillir la plongée de la descenderie depuis la « zone descenderie » jusque dans les profondeurs de la terre sous le bois Lejuc
- d’autre part, accueillir les déchets atomiques de la « phase industrielle pilote » du projet (soit des déchets Moyenne Activité Vie Longue).
Quelques retours des contributions dans les registres
Tout d’abord, rappelons que les personnes qui venaient contribuer au registre étaient encouragés à formuler des observations uniquement techniques, concernant leur parcelle. Le cadre de l’enquête n’était pas propice à exprimer des avis globaux sur le projet Cigéo. Néanmoins, certain.es l’ont tout de même fait, nous y reviendrons.
44 propriétaires et exploitants concernant 92 parcelles ont déposé des observations lors des permanences.
Selon les enquêteurs, plus de 50 % des observations abordent les problèmes relatifs aux accès futurs des parcelles nouvellement créées dans le cadre de la procédure d’expropriation (enclavements, allongements de parcours, …). 20 % des observations portent sur des propositions d’échanges, 15 % pointent des morcellements de parcelles rendant compliqué voire impossible leur exploitation. Sont également abordés, les thèmes de l’indemnisation, généralement jugée insuffisante par rapport au préjudice porté, des indemnisations complémentaires pour des travaux de valorisation des parcelles, du déplacement des clôtures existantes, des compensations en terme environnemental, de la mise en place d’aménagements fonciers.
9 propriétaires ont explicitement indiqué leur refus de négocier à l’amiable et leur opposition au projet. Parmi leurs observations, on retrouve :
- « Contre le stockage à BURE. Pourquoi la Meuse et la Hte-Marne ? CIGEO ne peut pas promettre qu’il n’y aura pas de contamination, de tremblements de terre, d’explosions souterraines ; Habiteriez-vous au-dessus du site ? »
- « Responsable moralement, ma conscience me dit que la dangerosité des matières et surtout la pression de l’Andra m’amène à ne pas céder à leur demande »
- « Pas écouté lors de la DUP (bafoués – moqués – ridiculisés) NON à l’expulsion de notre sous-sol. L’ANDRA veut notre mort et l’Etat y contribue »
- « Pour cette parcelle, c’est NON. Je ne veux pas adhérer à ce projet mortifère »
Dans son observation, le maire de Mandres-en-Barrois informe que le conseil municipal a pris une délibération à l’unanimité le 15 mars 2024 qui refuse l’ensemble des offres d’indemnité d’expropriation pour l’acquisition du tréfonds en pleine propriété.
A propos de l’enceinte néolithique découverte sur le site Bure-Saudron lors de fouilles archéologiques préventives en 2016 :
« Il parait très surprenant et improbable que des bureaux soient construits sur une telle surface…. Cette parcelle comprend une large partie de l’enceinte néolithique attestée par l’INRAP… Dans un souci environnemental, agricole et historique, la parcelle ZH85 ne pourrait-elle pas être épargnée par les mesures d’expropriation et de destruction ? »
Dans un autre commentaire, on peut même deviner le dispositif policier mis en place à l’occasion de l’enquête parcellaire.. :
« Le déploiement de force de l’ordre présente un effet dissuasif pour participer. » [3]
En discutant avec des personnes ayant noté des observations dans le registre (d’ailleurs, sur du papier glacé, potentiellement effaçable), on s’est rendu compte que leurs observations avaient même été coupées et que toutes les phrases écrites n’étaient pas restituées !
Enfin, des personnes n’étant pas propriétaires ni exploitant.es agricoles de parcelles concernées ont également contribué, nous livrant des avis instructifs et bien acérés contre le projet Cigéo. Leurs contributions sont reportés en fin d’article. [4]
Parmi les courriers reçus à propos de l’enquête parcellaire, on retrouve ceux de :
- la Confédération Paysanne 55, qui demande que soit publié sur un site internet public l’intégralité du dossier d’enquête parcellaire afin d’en faciliter la consultation pour les personnes concernées ; demande que soient publiées les études préalables et tous les documents ayant permis de déterminer les parcelles ; et demandant que les locataires exploitants les parcelles cessibles soient également informé.es dans le cadre de l’enquête. En réponse à cela, fin mars, l’Andra a mis en ligne les documents présentés pendant les permanences parmi ses documents de référence – en plein milieu de l’enquête parcellaire, après que des opposant.es aient passé plus de deux matinées à photographier les informations essentielles…
- la Confédération Paysanne 55, dans un second courrier, considère que les paysan.nes n’ont pas eu tous les éléments leur permettant de répondre de manière satisfaisante à l’enquête parcellaire, contrairement à ce qui est censé être mis en oeuvre par l’ANDRA.
- le Groupe des Elus de Gauche et du Progrès au Conseil départemental de la Meuse, dans la continuité de son opposition au projet CIGEO dans le passé, réitère son opposition au projet et aux expropriations liées.
- Meuse Nature Environnement, pour de multiples raisons énoncées, réitère son opposition au projet CIGEO.
Dans ce rapport, l’ANDRA justifie être « dans une démarche d’acquisition à l’amiable avec les propriétaires mais [souhaite] simultanément engager une procédure d’expropriation comme l’y autorise le code de l’expropriation. » En vérité, cette stratégie « à l’amiable », dont l’ANDRA se vante tant, s’exerce essentiellement par des pressions sur les propriétaires, sous la forme d’un chantage qui ne dit pas son nom, de menaces et harcèlement parfois notamment par le biais d’Emmanuel Hance, ingénieur de l’ANDRA en charge du foncier, tristement célèbre dans la campagne du Sud meusien et du nord haut-marnais.
Dans un des courriers envoyé par la Conf. Paysanne 55, et en discutant sur place avec les personnes concerné.es par les expropriations, on apprend que certain.es paysan.es, selon des critères qui ne semblent pas clairs, reçoivent actuellement la visite domicilaire de l’ANDRA (notamment celle d’Emmanuel Hance), pour discuter la possibilité d’échanges des parcelles concernées avec d’autres parcelles détenues par l’ANDRA en fonds propre ou en réserve Safer [5].
Ce flou et cette différence de traitement participe au climat d’intimidation, comme on peut le lire dans un des commentaires :
« mépris des habitants ; différences de traitement entre tous les propriétaires (certains démarchés, nous non) »
Prochaines étapes des processus d’expropriation – et de la lutte !
Dans le calendrier du processus d’expropriation, la prochaine étape sera la publication par le préfet de l’arrêté de cessibilité. Il listera les parcelles à exproprier par l’Andra et leurs propriétaires. Il sera possible d’attaquer juridiquement cet arrêté, nous ne laisserons rien passer !
Une fois cet arrêté publié, le préfet doit le transmettre à un juge des expropriations, qui prononcera une ordonnance d’expropriation, également attaquable juridiquement. Ensuite, c’est encore au juge de déterminer le montant des indemnités. Ce n’est qu’au moment où l’Andra aura effectivement payé ces indemnités à l’exproprié.e que ce dernier est supposé perdre l’usage de son terrain. Mais nous n’en sommes pas là, et continuerons à publier régulièrement des nouvelles.
Par ailleurs, nous rappelons que cette vague d’expropriation n’est que la première de bien d’autres qui devraient suivre si l’on en croit le calendrier du projet. En effet, les zones actuellement en processus d’expropriation ne correspondent qu’à une petite partie de ce dont a besoin le projet Cigéo.
Le giga transformateur électrique qui devrait être implanté entre Bure et Saudron n’a pas encore de déclaration d’utilité publique, et il en va de même pour la seconde portion de voie ferrée en projet reliant Gondrecourt à Nançois-Tronville (en passant par Ligny-en-Barrois)
Par ailleurs, pour les tréfonds, il ne s’agit, comme précisé plus haut, que de la zone où passerait la descenderie, ainsi que celle destinée au stockage des déchets de la « phase industrielle pilote », ce qu’iels appellent la « première tranche du projet ». L’emprise finale en tréfonds de Cigéo devrait être immensément plus grande, si le projet venait à se faire.
Mais l’Andra continue sa stratégie de grignoter petit à petit le territoire, pour éviter de se mettre tout le monde à dos en même temps, et donner cette impression permanente que tout est déjà perdu. Mais ce n’est que mensonges, et il est aujourd’hui encore, plus que jamais, temps de se mobiliser pour stopper ce projet mortifère.
À d’autres endroits, il y a eu des procédures d’expropriations et des projets abandonnés grâce à la lutte collective et la diversité des tactiques.
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