Violence des manifestant-e-s, à Bure ou ailleurs

Bure (55) |

Le 15 août 2017, à Bure, la manifestation contre la poubelle nucléaire aurait pu tourner très court, les forces du désordre empêchant le cortège de sortir du village et donc de manifester.
Demi-tour, marche du cortège pour quelques kilomètres d’un itinéraire bis tentant en vain d’échapper aux militaires, très nombreux pour l’occasion.
En Meuse, à présent, la flicaille prolifère.
Accès bloqués de toute part, impossibilité d’approcher de l’ANDRA [1] et affrontements inévitables vu le dispositif mis en place par la préfecture.

Dans une période de surenchère répressive brutale où il est question de blesser et mutiler quelques un-e-s pour soumettre l’ensemble à la peur et à la résignation, cette journée de mobilisation révélatrice de l’intolérance et des agissements du pouvoir à l’encontre d’une opposition radicale, donne l’occasion de répondre aux objections que l’on entend concernant des faits de confrontation avec les forces de l’ordre.

Toujours la même rengaine, petit florilège :
- « ce sont des personnes venant de l’étranger »
- « ils veulent en découdre avec les forces de l’ordre »
- « ces jeunes apologistes de la violence ne viennent que pour cela »
- « ça ne fait que décrédibiliser le mouvement d’opposition »
- « je suis contre la violence, il y a d’autres moyens de luttes »
- ...

« Dormez tranquille, on s’occupe de tout ! »

Nous ne reviendrons pas point par point sur chacune des objections rencontrées, elles découlent souvent des mêmes présupposés.

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Le premier place les forces de l’ordre du coté du bien (l’honnête homme blanc civilisé marchand) et de la préservation de l’intérêt général (l’ordre économique). Le second a trait à la morale bourgeoise qui refuse tout écart de conduite par rapport à la norme. De la part des citoyen-ne-s, calme et indifférence sont de mise.
L’éducation républicaine nous apprend que le rôle de la police, et plus généralement des forces armées, est de protéger et servir la population. La police pour le quidam, et l’armée pour les menaces plus sérieuses à l’encontre de l’état et de ses institutions.

Ce "prêt-à-penser", destiné à rassurer des individus peureux, doit permettre à tou-te-s de vivre docilement dans un monde bien policé, le monde bourgeois, capitaliste.

La police arrête les méchants

Sont inculquées avec force des valeurs conservatrices (tu ne bougeras pas au-delà des limites imposées par cette société) et appliquées avec promptitude les sentences aux récalcitrant-e-s (tu as bougé, on t’enferme !).

Rassurez-vous, seul-e-s les fauteur-trice-s de troubles seront inquiété-e-s !

La figure du « méchant », pourchassé, condamné, enfermé, et parfois tué par la police, pour la tranquillité des « gentils » est terriblement ancrée dans les esprits.

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Ce lieu commun doit être remis en cause préalablement à toute pensée transformatrice et révolutionnaire.

Le monopole légitime de la violence que possède l’état n’a pas d’autre raison d’être que la perpétuation de sa domination historique sur ses sujets.

Un « problème » (heurt, affrontement, violence) avec la police nous rend immédiatement suspect-e auprès de nos congénères ou de la justice. Quand de surcroît, ce problème est, pense-t-on, collectivement organisé, comme une émeute, alors explosent les limites de l’entendement marchand-bourgeois.
Pensez donc, des gens qui s’organiseraient ensemble contre la légitime police gouvernementale, avec pour seul objectif sa destruction ! Cela relève au minimum de la folie criminelle donc d’individus à enfermer, au pire d’un terrorisme anarchisant à éradiquer donc d’individus à détruire.

Cette version véhiculée par les médias dominants semble servir de boussole pour une majorité de la population.
Pourtant, une réalité toute différente s’imprime dans les luttes. A l’intérieur desquelles on se rend vite compte que violence ne rime plus avec barbarie mais devient nécessité stratégique.

Entrer dans la lutte...

Toute situation d’injustice ou de domination entraîne potentiellement une réaction d’opposition qui débouche sur des moments de lutte allant d’une opposition légaliste (pétitions, recours juridiques, grèves, manifestations passives, ...) à des actions plus offensives et parfois plus spontanées (sabotages, occupations, manifestations sauvages, émeutes, ...).

Manifestant-e-s face aux lacrymos, sortie de Saudron, 15 août 2017

Chaque lutte s’inscrit dans un combat contre l’existant et s’oppose à un certain ordre des choses. Dans chacune d’elle, le pouvoir est remis en cause tout ou partie.
A l’heure où sonne la fin des illusions réformistes, fleurissent des luttes dites « radicales ». Ces luttes s’opposent à l’ensemble de l’organisation sociale qui sous-tend tel projet inacceptable ou telle loi injuste.
Pour un nombre toujours plus important de personnes, il ne s’agît plus d’amender une loi, réformer une institution bancale, ou s’indigner contre un projet inique et destructeur.

Bref, il ne s’agît plus de se fondre au pouvoir pour le changer ou orienter différemment la marche du monde mais bien de le dépasser et de rompre totalement avec toutes les structures dominantes sur lesquelles nous n’avons aucune prise directe. Car ces structures, celles qui dirigent et contrôlent notre quotidien, sont celles-là mêmes qui nous broient et détruisent les possibilités de vies dignes.

Au final, l’ordre économique capitaliste, l’état et ses institutions apparaissent systématiquement comme parties prenantes des maux contre lesquels nous luttons. Ils en sont le cœur et les poumons, la tête et les jambes. Ce sont des cibles, paraissant lointaines, mais premières dans le combat pour l’émancipation de tou-te-s.

... comme dans un entonnoir !

Quand l’objet de la lutte est si important pour le pouvoir qu’il ne peut ou veut l’abandonner, et que l’opposition déterminée refuse tout amendement, l’antagonisme trop fort pour être soldé, connaît mécaniquement une surenchère dans les moyens d’actions.

Ce moment crucial dans la lutte coïncide avec l’avènement d’actions directes et plus offensives sortant du cadre légaliste habituel. Et de la part du pouvoir, il correspond à une escalade dans le dispositif coercitif policier seul à même de contenir des actions déterminées, voire massives.

Les personnes agissantes, par les actes forts qu’elles posent, sortent du cadre citoyen dans lequel le pouvoir veut nous enfermer. Agir ainsi déclenche la réaction ultime de tout pouvoir à l’encontre de sa remise en question, la violence.

La violence du pouvoir apparaît systématiquement face à une contestation déterminée.

Face à face musclé, sortie de Saudron, 15 août 2017

Notre époque voit grandir les dispositifs policiers contre chaque lutte radicale. Outre les pressions sur le terrain, le harcèlement judiciaire contre les militants, la militarisation des forces de maintien de l’ordre augmente dangereusement, leurs interventions violentes également.
Alors évidemment, parfois, et c’est heureux, l’opposition réagit aux offensives du pouvoir pour annihiler toute rébellion ou révolte. Et ces réactions de colères, évidemment, peuvent être violentes même si jamais elles n’égalent les capacités létales des forces de l’ordre, loin s’en faut.

Dans les deux cas, les violences commises résultent de choix stratégiques.
Le seul pour le pouvoir permettant de tenir la dragée haute à des opposant-e-s convaincu-e-s. En effet, les forces de l’ordre n’ont aucune autre option pour gérer une situation critique que d’utiliser la violence. C’est leur rôle, elles sont là pour ça, et même en prônant la « désescalade » dans leur dispositif, cela reste leur arme absolue.
Par contre, du coté des manifestant-e-s, qu’elle soit spontanée ou réfléchie, la violence est une arme stratégique utilisée ponctuellement. L’affrontement évite le renoncement.
Renoncements qui, s’ils se succèdent, finissent par éteindre tout esprit de résistance.

Toute lutte conséquente voit jaillir cette question de la violence. Elle y entre par nécessité et n’en ressortira qu’à son terme car toujours le pouvoir se trouve sur les chemins qu’arpentent les combats de l’émancipation.

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Ainsi la lutte ressemble à un entonnoir, où le goulot d’étranglement, passage obligé, serait l’affrontement, nécessairement violent, avec le pouvoir.

Continuer le combat, vaille que vaille !

Renier cet affrontement, correspond à un déni de la lutte.
Autrement dit, exclure d’emblée toute violence revient à adopter une position conservatrice face à l’ordre établi.

Voilà un phare qui éclaire la voie, simple repère qu’il ne faut surtout pas suivre jusqu’au bout mais bien utile pour se diriger quand le temps est à l’orage et que les consciences s’assombrissent.

Reste à rappeler que tous les palabres n’y changeront rien car c’est en participant aux luttes que l’on comprend.

Solidarité dans les luttes, respect de tous les moyens d’actions !


Notes

[1Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs