Une histoire de barrages…



Depuis plusieurs années, à chaque élection, les mêmes personnalités sérieuses et responsables, qui par leur politique favorisent la montée des nationalismes et l’augmentation de la fracture sociale, nous culpabilisent. Au premier tour comme au second : il faut faire barrage aux nationalistes, aux communistes et à toute cette graine de gauchistes, d’utopistes et d’extrémistes dangereux pour notre avenir.

Pour bien ancrer la menace qui plane, ils ont remplacé l’extrême gauche par l’ultragauche. C’est bien connu, si l’extrême est le bout du bout, l’ultra est au-delà du bout de tout. À quand l’extrême-ultra gauche ? Le paradoxe de cette situation est que plus le curseur terminologique se déplace à gauche et moins la politique l’est. Le mouvement des gilets jaunes n’est-il pas lié en grande partie à cet abandon qui remonterait aux années 80, avec l’arrivée au pouvoir d’un Parti socialiste recentré, aujourd’hui moribond ? Ses dirigeants, pour avoir oublié de vivre comme ils pensaient, ont fini par penser comme ils vivaient… loin du peuple !

Aujourd’hui, les gilets jaunes entendent faire barrage aux injustices fiscales et sociales. Face au danger de cette mobilisation violente, Macron et ses disciples ont dressé un tir de barrage en envoyant la troupe contre ces barricadeurs en gilets jaunes. Des milliers d’embastillés, d’inculpés, de blessés et plus de dix morts n’y ont rien changé : leurs barrages n’ont pas cédé ! Après quelques mots de repentance quant à ses propos déplacés et provocateurs, notre sauveur suprême revêt la soutane du prédicateur. Il lance une grand-messe dont il est le principal animateur et intervenant. Sans en attendre le résultat, il met à profit sa tribune médiatique pour se rapprocher du peuple par le verbe, tout en appliquant le contraire par le geste. Ainsi le bon apôtre entend la colère de la ruralité. Il prône la nécessité de services publics de proximité et, en même temps, il justifie la suppression de plusieurs milliers de fonctionnaires par la nécessité de réduire les dépenses publiques.

Sans être virtuose en comptabilité, un bilan comptable n’est-il pas ni plus ni moins que le résultat entre une colonne de dépenses et de recettes. Il est pour le moins surprenant que l’on s’attarde plus sur les dépenses que sur les recettes. Qu’ils soient à la source ou pas, les impôts et taxes seraient-ils les seules ressources de l’État ? Même si, à lui seul, il ne permettait pas d’apurer les comptes, pourquoi avoir supprimé l’ISF ? N’y aurait-il pas d’autres recettes possibles ?

Il n’y a pas qu’une fonction publique et tous les services publics ne sont pas dépendants de la trésorerie publique. Certains rapportent ou ont rapporté beaucoup, beaucoup d’argent dans les caisses. France Telecom, avant d’être privatisé, a permis à l’État de financer le programme Ariane, l’informatique dans les écoles, ou encore d’éponger le déficit de La Poste ou du Crédit Lyonnais. Aujourd’hui, ce sont les dirigeants et les actionnaires des opérateurs privés et des GAFA qui se remplissent grassement les poches. Il en est de même pour le scandale des autoroutes concédées. À la suite de la mésaventure chinoise de la privatisation-revente de l’aéroport de Toulouse, il semblerait qu’un barrage de parlementaires retienne la démangeaison libérale macroniste de privatiser Aéroports de Paris… pour combien de temps encore ?

Un projet encore plus incompréhensible se prépare dans les turbines libérales de la macronie. Celui de la privatisation, d’ici 2022, de 150 barrages hydroélectriques sur les 433 infrastructures existantes gérées par l’opérateur public EDF. Au gré des échéances des concessions, l’ensemble devrait passer aux mains du privé avant 2050 ! Il faut dire que pour les vautours de la finance mondiale, les barrages français, avec leur excédent brut de 2,5 milliards d’euros par an, dont la moitié revient aux collectivités locales, leur masse salariale faible (21000 salariés) et leurs installations amorties depuis des lustres, sont une proie de choix. Une vente des barrages apporterait une manne financière ponctuelle dans le budget de l’État, comme ce fut le cas pour tous les services publics rentables privatisés totalement ou partiellement. Que se passera-t-il quand ces services auront tous disparu ? Quand le paysan aura vendu sa dernière vache, ses enfants ne devront pas s’étonner de ne plus boire de lait !

La privatisation des barrages expose l’intérêt général à d’autres conséquences mortifères. Le barrage artificiel de Pierre Percée en est l’illustration. En sus de la production bon marché d’électricité, il est une réserve de sûreté pour la centrale nucléaire de Cattenom, il est une réserve d’eau importante pour la population et l’agriculture, il est un régulateur des cours d’eau navigables ou non et de la gestion des crues, il est devenu une zone de loisirs, de détente pour les Hommes, une zone de protection naturelle pour la faune et la flore. Quel avenir pour toutes ces fonctions d’intérêt général si la gestion est concédée à des investisseurs privés, dont le seul souci est le profit à court terme ? Quid de la sûreté et de la sécurité des biens et des personnes en aval de cet ouvrage ? Comme dernièrement au Brésil, une mauvaise maintenance ou un défaut de surveillance pourrait entraîner une rupture du barrage. Selon les études menées à sa construction, l’élévation du niveau de la Meurthe atteindrait 6 à 7 mètres, inondant très rapidement les communes voisines, comme Raon-l’Étape ou Baccarat, pour atteindre Nancy quelques heures après.

Autant d’arguments et de questionnements que brandissent experts, syndicalistes ou défenseurs de l’environnement pour s’opposer à la privatisation. Pourront-ils y faire barrage et exprimer leur rage le dimanche 5 et le lundi 6 mai, au centre des congrès Robert-Schuman, à Metz, où se tiendra un G7 des ministres de l’Environnement d’Allemagne, du Canada, des USA, d’Italie, du Japon, du Royaume-Uni et de la France ? Dans cette période d’eaux troubles et à quelques brassées des élections européennes, le gouvernement noie ce sujet dans les profondeurs de ses barrages, dans l’impatience d’en ouvrir les vannes dès que possible ! À suivre…

Léon De Ryel

Article paru dans RésisteR ! #60 le 19 février 2019.