En Allemagne, 2020 a des airs de retours dans le passé. Depuis quelques semaines, les camarades antinucléaires scrutent les autorisations de passage tandis que la polizei s’affaire autour des voies ferrées, simulant de fausses actions de blocage contre de faux convois de déchets radioactifs. Les Castors sont à nouveau sur toutes les bouches et cela fait presque 10 ans qu’on n’avait pas vu une telle agitation. Précisément depuis 2011 et le dernier transport de déchets à destination du centre de stockage de Gorleben. Cette année là, dans la foulée de l’accident de Fukushima, le gouvernement d’Angela Merkel annonce précipitemment sa sortie du nucléaire et gèle les transports de déchets. Depuis les années 90, ceux-ci font systématiquement face à des mobilisations massives, blocages et autres sabotages. En plus d’être dangereux, ils sont devenus trop chers et ingérables.
Or, ces dix années de répit relatif touchent à leur terme. Les déchets allemands doivent aujourd’hui revenir en Allemagne. Ils ont été retraités en France (La Hague) ou au Royaume-Uni (Sellafield) où ils pouvaient être gardiennés pendant dix ans, délai en passe d’expirer. Quatre transports ont donc été annoncé pour les années à venir. Ces convois remettent sur la table la question de la finalité de ces déchets et celle du nucléaire dans son ensemble. Les dernières centrales allemandes (six réacteurs toujours en fonctionnement) doivent en effet cesser d’alimenter le réseau en 2022 mais cette échéance pourrait très bien être reportée. Les discours qui associent l’énergie nucléaire à la lutte contre le changement climatique poussent de plus en plus en ce sens.
Et ensuite ? Arrêter la production d’électricité nucléaire ne règlera pas la question des déchets ultimes. Nous connaissons parfaitement l’équation : les stocker implique une impossible surveillance durant des milliers d’années ; les enfouir, c’est renoncer à cette surveillance et sacrifier définitivement un territoire. L’Allemagne se retrouve dans l’impasse à laquelle font face tous les pays nucléarisés : le cycle industriel de l’atome n’a jamais eu de fin et personne ne sait que faire des miliers de tonnes de rebuts ultra toxiques qu’il produit inexorablement. Tandis qu’aucun site de stockage sur le long terme n’a été validé, en Allemagne comme ailleurs les nucléocrates jouent aux apprentis sorciers.
Quelle situation en France ?
En France, la situation est évidemment différente. Les 57 réacteurs en fonctionnement entraînent une multitude de transports radioactifs. Chaque jour ou presque le territoire est silloné par des convois, sur routes ou voies ferrées, plus ou moins contaminés, qu’il s’agisse de combustible, d’uranium ou de déchets de différents types. Tout cela a lieu dans le plus grand secret. Personne n’est tenu au courant. Ni les habitant.e.s situées le long des trajets, ni les autres usagers des routes ou des lignes de chemin de fer, ni même les travailleurs de la SNCF qui ne sont pas directement concernés par ces transports. Les plus dangereux sont ceux qui convoient le combustible usés depuis les centrales qui parsèment la carte de France jusqu’à l’usine de la Hague (Manche). Cependant, aucun d’entre eux n’est aussi dangereux que les quatre transports qui vont tenter de rejoindre l’Allemagne dans les mois qui viennent. La France ne disposant toujours pas de site de stockage définitif pour les déchets hautement radioactifs (ceux destinées au Cigéo à Bure), ceux ci ne repartent jamais de la Hague. Or, c’est justement après leur « retraitement » qu’ils sont le plus dangereux, la radioactivité étant extrêmement concentrée dans les colis vitrifiés qui resortent de l’usine.
Dans les décennies à venir, avec le démantèlement des vieilles centrales et le démarrage prévu du projet Cigéo, la France – et particulièrement les régions qui s’étendent du Cotentin à la Meuse – sera continuellement traversée par ces convois de déchets extrêmement toxiques. Chaque convoi représentera autant de risques de contaminations massives. Ce qui se passe en Allemagne est une préfiguration de ce qui pourrait arriver – notamment en Meuse – si le Cigéo dépassait un jour le stade de projet ou de « laboratoire ».
Le train ne passe pas en France, nous irons en Allemagne !
Voilà pourquoi, depuis la Meuse et la Haute-Marne, nous nous sentons hautement concerné.e.s par ces transports. Le premier d’entre eux partira de l’usine de retraitement de Sellafield (Royaume-Uni) pour se rendre au site de stockage temporaire de Biblis. Ce transport a reçu la semaine dernière son autorisation de circuler. Elle court entre le 1er mars et le 31 décembre 2020 mais nous avons de bonnes raisons de croire que le convoi se fera rapidement, probablement dans les prochaines semaines. Etonnamment, il semble que les autorités allemandes aient choisi d’emprunter une voie maritime et non de traverser la moitié Nord de la France comme par le passé. Le bateau devrait donc trimballer sa cargaison jusqu’au port de Nordenham d’où les onze containers (maximum) partiront ensuite par route ou voie ferrée jusqu’à leur destination.
Les camarades allemands préparent plusieurs actions sur ce trajet. Nous savons notamment qu’une action de masse, annoncée publiquement et parfaitement rejoignable, devrait avoir lieu a proximité de l’arrivée du convoi. Cette action portée par de nombreux collectifs aura pour objectif de ralentir et visibiliser médiatiquement ce transport, à la manière des actions Ende Gelande de ces dernières années contre les mines de charbon à ciel ouvert.
Depuis Bure, nous appelons à rejoindre et à soutenir autant que possible ces actions. Nous espérons également que ces moments permettent de se rencontrer et de renforcer les liens entre les différents collectifs antinucléaires, de part et d’autre du Rhin ainsi qu’entre les groupes installés dans différentes régions françaises. L’an prochain, un autre convoi ira lui de La Hague jusqu’à Philipsburg. Nous pensons qu’il y a là une carte à jouer pour notre mouvement d’opposition, à l’heure où l’industrie nucléaire française, plus moribonde que jamais, tente de se sauver en imposant la construction de nouveaux EPR et le prolongement de ses vieux réacteurs, à l’heure où le projet Cigéo tente d’obtenir ses autorisations de construction. L’action de cette année en Allemagne, si elle est couronnée de succès, peut servir de base pour retrouver, ici aussi, des prises contre le nucléaire et son monde.
La bonne gestion des transports est au coeur de l’activité nucléaire, mettons-nous en travers de leur route !
Pour s’informer sur le transport à venir :
castor-stoppen.de (site en allemand)
bureburebure.info
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