Suicides au travail : le ministère s’en balance !



Début septembre 2019, SUD Éducation publiait un 4 pages intitulé "Ne laissons pas le travail nous tuer" pour dénoncer l’organisation du travail et le management pathogène dans l’Éducation nationale. Un mois plus tard, les suicides de Laurent Gatier, Frédéric Boulé et Christine Renon nous ont malheureusement prouvé que cette question est centrale.

Comme le prévoit le Code du travail, l’Éducation nationale se doit en tant qu’employeur de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». En ce qui concerne Christine Renon, Blanquer n’est même pas capable de reconnaître la réalité pour ce qu’elle est : le suicide d’une agente sur son lieu de travail en raison de ses conditions de travail. Pourtant, Christine Renon établit elle-même clairement les responsabilités de l’administration dans sa dernière lettre. Elle pointe l’autoritarisme, l’infantilisation, l’humiliation, l’intimidation, les pressions hiérarchiques qui affectent le travail des personnels. La souffrance au travail existe bel et bien et touche l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale, tou-te-s exposé-e-s à des conditions de travail pathogènes. Certain-e-s des enseignant-e-s qui subissent l’extrême dégradation de leurs conditions de travail mettent fin à leur calvaire professionnel en s’ôtant la vie.

Cette question de la souffrance au travail ne peut se réduire, comme le clame systématiquement l’institution, à des aspects personnels et privés. Or le ministère, qui a toujours refusé de lâcher des chiffres, se voit aujourd’hui obligé de le faire : pendant l’année scolaire 2018-2019, 58 personnels de l’Education Nationale se sont donné la mort. 11 suicides ont par ailleurs été recensés depuis le mois de septembre 2019. Les rares fois où le suicide est reconnu comme lié au travail, c’est le fruit d’une lutte acharnée. Car l’action collective permet aussi de construire un rapport de force pour contraindre l’employeur à prendre des mesures de prévention, conformément à la loi. En qualité de militant-e-s syndical-e-s, dans le cas d’un suicide, nous sommes fondé-e-s et légitimes à émettre l’hypothèse que les conditions de travail de la victime peuvent avoir un lien avec son geste, à chercher si cette hypothèse se vérifie ou pas. Mettre en œuvre des actions (enquête, expertise...), ce n’est pas instrumentaliser un suicide, c’est agir dans le cadre de nos prérogatives.

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Pire que de la négligence, souvenez vous des mots de la DRH de l’académie de Montpellier en février dernier. Devant des profs forcé-e-s à la reconversion, à la question « Que doit-on faire si les propositions de reconversion ne nous conviennent pas ? », la DRH répond : « Je vais me permettre une réponse avec de l’humour, pensez à l’euthanasie ». La scène se passe au lycée Jean Moulin à Béziers où il y a eu 6 suicides depuis 2012. Et si cette guignole se permet une telle réponse, on ne peut qu’imaginer comment, en privé et en haut lieu, on se gausse de nos vies perdues devant les petits fours et le champagne. Car, rappelons-le, dès 1996, le cahier 13 de l’OCDE préconise publiquement le plan de destruction des services publics, appelé « mesures d’ajustement ».

Suite aux différents suicides ayant eu lieu depuis la rentrée dont celui de Christine Renon, le ministre Blanquer, d’une manière scandaleusement cynique, tente, une fois de plus, d’instrumentaliser la dégradation des conditions de travail des personnels pour justifier son projet de statut de directeur-trice rejeté par les personnels au printemps dernier, alors même que le gouvernement met en œuvre le démantèlement des CHSCT (Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et de la médecine de prévention.

Au fait, comment appelle-t-on des personnes qui dégradent, détruisent, volontairement, jusqu’à pousser au suicide, puis manipulent avec cynisme pour continuer à détruire dans la même logique ? Des pervers manipulateurs ? Des assassins ? Des tueurs en série ?

Pour SUD Éducation, cette manœuvre est inacceptable. La vraie réponse à la dégradation des conditions de travail c’est : créations massives de postes dans les écoles, les établissements et les services administratifs, et augmentation des moyens alloués aux personnels pour exercer convenablement leurs missions. De plus, SUD Éducation revendique des directions d’école collégiales avec une répartition des tâches et une relation de travail horizontale, ainsi que de réels moyens pour une école publique égalitaire, autogérée et émancipatrice qui s’inscrit dans un projet de société solidaire et autogérée. De manière plus générale, SUD Éducation refuse les logiques managériales et milite pour l’auto-organisation des équipes.

Article paru dans le bulletin local d’information syndicale de Sud-éducation Lorraine, n°38, janvier 2020.

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