Relents d’égouts #5 - Chomsky, figure de la gauche radicale ?



Rubrique consacrée à l’actualité des conspis, des confus et d’autres cons… faisant, directement ou indirectement, le jeu de l’extrême droite.

Né en 1928, le linguiste états-unien Noam Chomsky est depuis soixante ans une grande figure intellectuelle mais également une figure reconnue de la gauche radicale. Loin d’être contingentée aux États-Unis, sa réputation lui vaut d’être traduit et édité dans le monde entier, tant pour son œuvre scientifique que pour ses essais politiques, et d’être massivement diffusé dans le monde militant. Et c’est vrai qu’il est plutôt plaisant de voir une sommité comme Chomsky se réclamer des idées libertaires, critiquer sans relâche l’impérialisme US (au Vietnam, en Irak…), la politique impérialiste israélienne, la propagande et les médias…

Chomsky s’est cependant fourvoyé, et il l’a fait à plusieurs reprises. En défenseur conséquent de la liberté d’expression, Chomsky a toujours revendiqué cette liberté pour ses adversaires. Jusque-là rien d’anormal, c’est même une position plutôt commune aux États-Unis, le premier amendement de la Constitution interdisant toute limitation de la liberté d’expression ou de la presse.

Là où le bât blesse, c’est quand on examine les personnalités auxquelles Chomsky a manifesté son soutien. Premier geste notable : un texte de soutien à Robert Faurisson, en 1979, l’historien français antisémite et négationniste devenu depuis l’ami de toute l’extrême droite radicale française, jusqu’à Soral et Dieudonné. Ce texte, publié en préface d’un ouvrage de Faurisson, a provoqué un tollé. Bien entendu Chomsky n’a jamais partagé les vues de Faurisson sur l’histoire du génocide des Juifs, mais son geste est arrivé à point nommé pour le soutenir quand il était massivement contesté.

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Bien qu’ayant explicitement regretté l’utilisation qui avait été faite de son texte, Chomsky a remis le couvert en 2010 en signant une pétition en soutien de Vincent Reynouard, un français condamné à plusieurs mois de prison ferme pour ses prises de position publiques antisémites, négationnistes et pronazi. Chomsky y a été conduit par un as du confusionnisme, son ami le physicien belge Jean Bricmont, passé de l’anti-impérialisme au soutien à la grande Serbie, qui défend la liberté d’expression pour un tas de fachos (Paul-Éric Blanrue, Dieudonné…), quand il ne discute pas doctement la question avec Alain de Benoist. Bricmont, ami, admirateur et promoteur de Chomsky dans le monde francophone, est aussi devenu un passe-plat pour tout un tas de penseurs d’extrême droite.

Signer quelques pétitions et une préface pourrait ne faire que confirmer l’attachement de Chomsky à la liberté d’expression… mais il est troublant de réaliser que ses prises de position visent uniquement à soutenir des négationnistes. On n’a pas entendu Chomsky intervenir en faveur de la liberté d’expression de Jean-Marc Rouillan… sans parler des travailleurs et des chômeurs qui n’ont pas accès aux médias dominants, ou de celle des migrants, sans-papiers et autres sans-voix. Chomsky croit-il que les nostalgiques du nazisme sont les seuls à être restreints dans leur liberté d’expression ?

Alors bien entendu, tout cela se passe loin des États-Unis. Mais Chomsky a eu une occasion récente d’intervenir sur la situation à Charlottesville, après que les militants de l’alt-right, un ramassis de suprémacistes blancs et de nazis, ont manifesté, agressé des militant.e.s antiracistes et tué l’une d’eux en août dernier. Tandis que Trump ne savait pas trop comment gérer l’affaire, oscillant entre condamnation des violences d’extrême droite, reprise de leurs positions et renvoi dos à dos des deux camps… Chomsky n’a rien trouvé de mieux à faire que de déclarer que les antifas étaient « un vrai cadeau pour la droite » et de dénoncer leur violence. Cette prise de position n’a pas manqué de faire réagir, quand beaucoup ont noté qu’une convergence s’était faite entre les antifas et les autres manifestant.e.s antiracistes, avec un soutien et un respect mutuel pour faire face et si besoin répondre aux agressions de l’alt-right.

Chomsky est loin d’être un imbécile, et son âge honorable ne l’empêche pas de continuer à accorder de nombreux entretiens et de réagir à l’actualité politique nationale et internationale. Alors quoi ? Il semble bien qu’il soit fortement ancré sur des positions « campistes », suivant lesquelles les ennemis de ses ennemis sont ses amis (voir RésisteR ! #44, septembre 2016). À rejeter l’impérialisme US et les relais de sa domination dans le monde, Chomsky en vient à soutenir tout ce qui se réclame du rejet de « l’impérialisme ». La pente est glissante et elle conduit immanquablement à la mouvance dite « antisioniste » et à la défense des pires raclures antisémites. Comme quoi être un grand intellectuel n’empêche pas d’être politiquement très con.

Raph

Article paru dans RésisteR ! #51 le 30 septembre 2017

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