Relents d’égouts #3



Rubrique consacrée à l’actualité des conspis, des confus et d’autres cons… faisant, directement ou indirectement, le jeu de l’extrême droite.

Un terme revient à la mode et contamine toute une partie de la gauche radicale, particulièrement quoique non exclusivement du côté de la France insoumise : le terme d’« oligarchie ». Chantal Mouffe, intellectuelle belge inspiratrice de Jean-Luc Mélenchon et théoricienne du populisme de gauche, indique que son héraut veut « mettre fin au régime oligarchique » (Le Monde du 15 avril 2017) et Mélenchon lui-même ne se lasse pas de dénoncer « l’oligarchie ». Mais c’est aussi la sociologue Monique Pinçon-Charlot, connue pour ses enquêtes sur la grande bourgeoisie, qui a adopté le vocabulaire de l’oligarchie. Quel sens cela a-t-il ?

Nad Iam, l’amie d’une amie, écrit très justement : « Le terme oligarchie renvoie purement et simplement à l’idée que la société est dirigée par un nombre réduit de personnes. Le terme en lui-même ne dit rien de plus, ce qui fait qu’il s’applique aussi bien à une royauté qu’à une démocratie parlementaire qu’à un régime fasciste qu’à un régime communiste avec un parti-État. Raison pour laquelle, abstraitement, n’importe quel courant politique peut l’utiliser pour dire à peu près n’importe quoi. » Alors très bien, en dénonçant « l’oligarchie » on dénonce une minorité qui détient le pouvoir… mais pourquoi ne pas la nommer ? Pourquoi, de la part de militant.e.s de gauche, passer d’une désignation précise comme « la bourgeoisie » ou « la classe dominante » à cette désignation vague ?

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L’extrême droite et les confusionnistes de tous poils ont, quant à eux, tout intérêt à entretenir le flou. Laissons Nad Iam poursuivre : « Historiquement, les fascistes et même les antisémites pré-fascistes ont utilisé ce terme parce qu’ils avaient besoin de récupérer à leur compte la colère sociale tout en n’ayant par ailleurs aucune intention de toucher aux rapports sociaux qui définissent le capitalisme. Le terme "oligarchie" est absolument parfait, puisque définissant le pouvoir de manière totalement abstraite et creuse, il permet justement de désigner n’importe qui, notamment les Juifs tout en épargnant ceux qu’on souhaite épargner, par exemple les patrons français. » Du point de vue de l’extrême droite, le terme « oligarchie » est du même type que « finance mondialisée » ou « finance apatride » : derrière l’apparente dénonciation du pouvoir capitaliste, il s’agit avant tout de cibler l’étranger, le « sans-patrie » ennemi de la Nation qui tire les ficelles dans l’ombre.

Mais du côté de la gauche radicale ? Le glissement lexical a suivi l’évolution d’une partie du milieu altermondialiste et écologiste depuis une douzaine d’années, quand les courants nationalistes et complotistes ont commencé à pulluler sans résistance à la hauteur de la part de l’extrême gauche. Les Soral, Chouard et Cie ont dénoncé « l’oligarchie » au nom du « peuple » et leur rhétorique a fini par être reprise par une partie de la gauche : militant.e.s de la décroissance, Front de gauche… Aujourd’hui, toute une partie de la gauche radicale se réclame ainsi de « la France », fût-elle insoumise, et arbore le tricolore plutôt que le rouge ou le noir. Le glissement n’est pas anodin, il est significatif d’un recul sous la pression de l’idéologie d’extrême droite. Qui plus est, il vient renforcer cette pression et la confusion entretenue par quelques fins stratèges.

Certain.e.s pourraient considérer, à l’encontre de ce qui est argumenté ici, qu’il ne faut pas abandonner ces termes et symboles à l’extrême droite et qu’il est avisé de les reprendre à notre compte. Mais cette réappropriation se fait au prix de l’abandon de nos propres références et dans un contexte où l’influence de l’extrême droite est grandissante, elle ne peut signifier qu’un renforcement de son idéologie. Un dernier extrait de Nad Iam : « Lorsqu’on fait disparaître des mots de gauche, on fait disparaître aussi un sens, et lorsqu’on emploie du coup le même mot que Marine Le Pen, on la renforce. Parce que la gauche radicale lorsqu’elle glisse vers tout ça, est en contradiction permanente avec elle-même, et ça se voit, et ça démobilise les gens. Les fascistes, eux, sont confortés et comme leur discours est en accord avec leurs objectifs, ils séduisent. »

Raph

Illustration : Milan Nenezic

Article paru dans RésisteR ! #49, le 20 mai 2017

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