Première partie : Les débuts du mouvement
De février 2006 jusqu’au 9 mars et le premier blocage de la faculté du Saulcy
Le mouvement commence le 7 février avec les premières manifestations partout en France, dont Metz. Le 23 février, certains cours sont interrompus pour faire connaître le projet de loi et appeler les étudiant-e-s à la mobilisation. À la manif du 7 mars, le cortège étudiant rejoint l’université et investit l’amphi Lemoigne, qui deviendra un lieu symbolique de la mobilisation étudiante. Après un vote en AG, le blocage des bâtiments — qui permettra à tou-te-s de se mobiliser sans avoir peur de louper des cours — se fait dans la nuit du 8 au 9 mars.
1. Lors de la lutte contre le CPE et le CNE, où vivais-tu ? Est-ce que tu étudiais ? Travaillais ? Les deux ? Où ça ?
A : Je vivais dans une chambre universitaire de 9 m² au Crous sur le campus de l’université de Metz. J’étais étudiante en deuxième année de DEUG (oui, ça existait encore, pour la dernière année) d’Arts Plastiques. À côté de mes études, je travaillais 8 h par semaine au Steinoff (oui, ça aussi, ça existait encore !) près de la gare et au centre-ville de Metz.
Et : J’étais étudiant à Metz en première année. C’était ma première année universitaire.
T : J’étais étudiant en deuxième année d’informatique. Je vivais chez mes parents à 15 min en train de Metz. J’avais la chance d’avoir des parents qui me payaient mes études et je n’avais donc pas à travailler à côté.
El : Je vivais chez mes parents, sur Metz mais un quartier éloigné de la fac. J’ai donc beaucoup dormi sur place ou chez des potes qui habitaient en ville.
J’étais en première année de licence de sociologie à l’université de Metz. J’ai eu des petits boulots avant et après le mouvement (BAFA animation, principalement) mais pas pendant.
Q : Lors de la lutte, je vivais à Thionville. J’étais en Master 2, Sociologue, j’animais des formations à l’IRTS et j’avais un petit contrat à la fac où je faisais du Tutorat pour les L1 et L2.
B : J’étais en licence d’histoire à la fac de Metz, et à côté je vivais encore chez mes parents, à Marly.
2. Était-ce ton premier mouvement social ? Avais-tu participé au mouvement lycéen contre Fillon au printemps 2005 ou au mouvement des quartiers populaires en novembre 2005 (suite aux décès de Zyed et Bouna dans un transformateur électrique alors qu’ils étaient poursuivis par la police) ? Te considérais-tu comme militant-e avant le CPE ?
A : C’était mon tout premier mouvement social, je n’étais pas du tout militante à l’époque.
Et : J’avais participé au mouvement contre la loi Fillon, mais j’étais dans un lycée de campagne dans les Ardennes. Il y avait eu une grosse journée de rassemblement qui me paraissait à l’époque très forte, mais avec le recul je pense qu’on était pas si nombreux.
Je me considérais déjà comme militant, mais n’avais jamais vraiment joint un mouvement. Je n’ai jamais, ni avant ni après, rejoint une organisation (parti, syndicat…).
T : Plus jeune, j’avais fait une ou deux manifs contre le nucléaire avec mes parents, j’avais également fait une manifestation contre Le Pen au second tour des présidentielles en 2002. Je me considérais pas comme militant pour autant. J’avais des idées de gauche et je me posais des questions révolutionnaires.
El : Je n’avais pas participé à ces mouvements, cependant j’avais participé aux manifestations suite au passage au second tour des présidentielles de 2002 de Jean-Marie Le Pen. J’étais alors mineure, et j’ai donc manifesté avec les lycéens (cortège partant du lycée de la com’ à Metz, qui a été rejoint par d’autres lycées, jusqu’au campus de la fac).
Je ne me considérais pas comme militante, bien que baignée dans l’importance du politique et du droit de grève / manifestation dans mon environnement familial. Tous mes oncles et tantes paternels étaient syndiqués, voire impliqués (CGT et FO) en tant que délégués syndicaux. Encore aujourd’hui, nous manifestons en famille.
Q : J’ai participé à chaque mouvement depuis mon entrée à la fac en 2001, même ceux qui n’ont pas pris une dimension forte à l’université, comme en 2004 les manifs contre l’interdiction du port du voile à l’école, par exemple, ou en 2003 la réforme des retraites. Je n’ai pas participé au mouvement de 2005 contre la loi Fillon parce que je n’étais plus lycéenne depuis longtemps. En revanche, pour moi, le mouvement des quartiers populaires de 2005 a eu un grand effet conscientisant face à l’impossibilité de mobiliser au sein de l’université. Cela m’a laissé une certaine amertume que j’ai embarquée avec moi au début du mouvement dit contre le CPE. La LEC me semblait tellement moins nocive que la manière dont on traite les habitant-e-s des quartiers populaires que je n’arrivais pas à me satisfaire de la mobilisation en cours.
Je ne me considérais pas comme militante, mais j’étais très sensible aux injustices et je participais aux mobilisations syndicales et antiracistes principalement. Je pense que je suis vraiment devenue militante pendant ce mouvement de 2006.
B : J’avais participé au mouvement contre la loi Fillon et, aux côtés de quelques autres lycéens et élèves post-bac, nous avions fait quelques journées de grève au lycée Georges de la Tour. Je me considérais comme militant puisque je gravitais autour des militants de la JCR. J’avais aussi manifesté lors du second tour Le Pen-Chirac.
3. Raconte la première fois que tu as pris part au mouvement.
A : Bêtement, je sortais avec un mec qui un jour m’a dit : « Tiens, il y a une assemblée générale à l’amphi, on va voir ? », et c’est là que ça a commencé ! Des rencontres, des discussions, je me suis intéressée à cette histoire de CPE/CNE et j’ai trouvé cela totalement injuste et révoltant. C’est au fil des discussions avec beaucoup de gens d’horizons différents que j’ai commencé à m’impliquer pour faire valoir mon opinion.
Et : Il me semble qu’un groupe de grévistes (10-15 personnes) était venu en amphi. On était resté discuter un bon moment. Quelques heures plus tard avec quelques copains, on a décidé de se joindre au mouvement. Le lendemain, on faisait des installations sur le campus, des affichages, des installations artistiques… Dans mon souvenir, ça a été très vite et on a rapidement fait des AG à 1500 environ, de mémoire, sur le campus. Puis les manifs en ville, le blocage de la gare, une manif à Paris… J’avais l’impression de faire partie d’un truc important.
T : Je me souviens avoir commencé avec la manifestation du 7 mars, suivie d’une AG derrière. Je me rappelle qu’à cette AG, le blocage de la fac avait été voté, j’en étais ressorti content en me disant : « Les syndicats vont faire le nécessaire. Moi, demain, j’ai pas cours, c’est trop bien. » Or, le lendemain, les bâtiments du Saulcy étaient toujours ouverts. C’est à ce moment-là que j’ai compris que si je voulais que la fac soit bloquée, il fallait le faire moi-même. Le soir même, je participais au blocage, j’ai plus quitté la lutte.
El : Ouh là, souvenir, souvenir… C’était en rentrant d’une semaine chez une amie à Rennes qu’une autre amie (J.) m’a parlé du mouvement. Je suis venue un soir, c’était déjà dans l’amphi Lemoigne, il me semble, mais vraiment pas sûre... Le lendemain, j’ai eu plus d’infos sur le pourquoi du comment, et j’ai adhéré à la contestation. Je me suis ensuite de plus en plus impliquée.
Mais la première reste bien floue pour moi ! 😊
Q : J’avais participé à l’automne aux quelques manifs contre le CNE. Le mouvement n’avait pas pris, mais l’intersyndicale avait créé une mailing-list ouverte aux non-syndiqué-e-s. Il me semble que c’est comme ça que j’ai reçu les premiers appels à manifester et débrayer là où c’était possible ; cela devait être fin janvier- début février. J’ai donc pris part en allant en manif et en en parlant autour de moi : potes de cafèt’, camarades de promo, etc. Mais franchement, au début, je ne pensais pas que ça prendrait, étant donné qu’à l’automne ni la mobilisation contre le CNE ni celle des quartiers populaires n’avaient trouvé écho à l’université…
B : J’ai assisté à une réunion d’explications sur la réforme du CPE qui a eu lieu entre midi à l’amphi Lemoigne, le jour où les premiers débrayages ont eu lieu. L’AG m’avait laissé dubitatif, mais lorsque le débrayage est arrivé dans ma salle, j’ai pris mes affaires et j’ai rejoint le cortège. J’avais été le seul sur une promo de 80 à le faire…
4. Est-ce que c’est l’utilisation du 49-3 par le gouvernement pour faire passer la loi en force qui te fait te mobiliser ?
A : Je ne me souviens pas vraiment avoir pris une réelle décision. Cela s’est fait progressivement, sans vraiment que je m’en rende compte, ça me semblait normal d’agir pour faire barrage à ce projet. Par contre, je pense que le 49-3 a réellement fait monter d’un cran l’implication et la résistance, notamment la mienne.
Et : Non, j’étais mobilisé avant.
T : Ça m’a juste motivé encore plus !
El : C’est sûr que ça a augmenté ma motivation !
Q : Non, mais c’est venu renforcer une colère partagée sur le simulacre de Démocratie que nous vivons encore…
B : Non.
5. Tu connaissais des personnes qui s’y impliquaient ?
A : Disons que c’est ce mouvement social qui m’a fait rencontrer beaucoup de gens, même des gens avec qui je suis encore en contact plus ou moins régulièrement depuis.
J’étais (re)venue sur Metz pour mes études après plusieurs années à vivre dans une autre région pour des raisons familiales. À cet âge-là, et sans les moyens actuels, je n’avais plus beaucoup de contacts avec des gens de mon âge quand je suis revenue. Ce mouvement social m’a permis à la fois de me poser beaucoup de questions sur mes opinions politiques, sur ma vision du monde, et de rencontrer des gens avec qui partager toutes mes interrogations et mes idées, qui ont nourri mes questionnements. Certains sont devenus des amis de cette lutte, d’autres des luttes futures, d’autres des camarades, d’autres des amis de toujours.
Et : Oui, des copains de promo. Et d’autres amis que je me suis faits à cette occasion.
T : Certain-e-s ami-e-s de la période lycée, oui, quelques potes de cafèt’ aussi, mais personne de ma promo. J’y ai surtout rencontré beaucoup de monde, dont certain-e-s que je vois encore.
El : En tout cas, des personnes qui s’y intéressaient, et qui m’en ont parlé. Puis, dans le mouvement, j’ai retrouvé quelques camarades de promo, ou anciennement du lycée. Puis j’ai surtout fait plein de connaissances !
Q : Oui, je connaissais pas mal de monde qui s’y impliquait — un avantage d’étudier les sciences sociales ! Mais j’y ai rencontré beaucoup de monde aussi, et des liens se sont renforcés pendant ce mouvement.
B : Oui ! Outre les militants que je connaissais via les JCR ou l’UNEF (j’étais “vaguement” syndiqué UNEF), plusieurs amis ont rejoint le mouvement au fur et à mesure.
6. Dans les AG, la question de l’utilité du blocage de la fac prenait une grande place. Comment t’es-tu positionné-e ? As-tu changé d’avis au cours du temps ?
A : La question du blocage a été pour moi une évidence : il fallait bloquer ! Sans cela, il était difficile de mobiliser les étudiants massivement, et surtout de montrer au gouvernement l’ampleur et la détermination du mouvement. Et puis manifester sans déranger n’était pas concevable pour moi. Même si je suis peut-être plus calme ou posée, mon opinion n’a pas changé là-dessus, ni à l’époque, ni aujourd’hui.
Et : J’étais pour le blocage. Je pensais qu’il était important de bloquer si on était persuadé d’être dans notre droit, et qu’il ne fallait pas faire de concessions. Aujourd’hui, je serais toujours favorable au blocage, à ceci près qu’on a à l’époque voulu continuer à bloquer alors qu’on était devenus minoritaires sur la fin du mouvement. Aujourd’hui, je réagirais différemment sur ce point.
T : Pour moi, le blocage était et reste une évidence si on veut lutter. Si le mouvement s’arrête, on ne perd pas d’heures de cours par rapport aux personnes qui ne sont pas mobilisées ; si le mouvement dure et prend une ampleur de soulèvement, ça permet d’avoir des bâtiments consacrés à la lutte.
El : Je me suis positionnée pour, car, sûre de mon bon droit, il me semblait juste de ne pas être mise en retard / à défaut dans ma formation universitaire parce que je luttais. Je pensais aussi que cela permettrait aux étudiants qui auraient peur de manquer des cours de pouvoir s’impliquer, manifester l’esprit libre.
Q : Je me suis toujours positionnée pour, mais ça me saoulait de passer autant de temps en AG pour ce qui n’était qu’une modalité d’action préalable au mouvement. Je pensais (et je pense toujours ça aujourd’hui même si je ne suis plus concernée) qu’un blocage et une occupation se décident en fonction des forces en présence. Si les forces le permettent, alors on le fait ; sinon, non. Les AG auraient été libérées de ces débats stériles et on aurait pu passer plus de temps à mener des débats contradictoires sur les lois, la société qui nous serait plus vivable, et comment on anime l’occupation…
On en est quand même venu-e-s à avoir des discussions interminables pour voter l’occupation d’un préfabriqué, à la fin…
B : J’ai tout de suite été pro blocage, et pro blocage assez acharné. À tel point que les interminables palabres des étudiants anti blocage me rendaient fou. Le vote du premier blocage long à main levée devant le bâtiment du SHA a été un grand moment, je m’en souviendrai longtemps !
7. T’es-tu mobilisé-e seulement pour l’abrogation du CPE ou pour le retrait de toute la loi dite d’Égalité des chances (LEC), ou pour autre chose encore ?
A : Plutôt pour le retrait de toute la loi. (D’ailleurs, je suis restée dans le préfabriqué après le retrait du CPE, avec les derniers résistants qui souhaitaient aussi la disparition du CNE… sans succès.)
Et : Contre toute la loi LEC. Mais aussi peut-être pour me sentir exister dans une lutte concrète à un âge où on se construit politiquement. Un peu pour faire chier mes parents peut-être. Parce que j’aurais sûrement été contre tout ce que disait la droite à l’époque, même si elle disait que le ciel était bleu.
T : Contre toute la loi au départ puis, en consolidant mes idées politiques au contact d’autres participant-e-s, contre le capitalisme.
El : Je me suis mobilisée d’abord avec le CPE, et puis contre toute la loi. J’ai participé au mouvement jusqu’à sa fin, quand nous étions dans les préfabriqués 😉
Q : Je me suis mobilisée contre la précarisation de l’emploi. Et puis, aussi, parce que chaque mouvement est l’occasion pour une ou plusieurs générations de se conscientiser, de s’émanciper et de découvrir que collectivement on représente une force capable de mettre en échec le pouvoir.
B : Je me battais contre la LEC dans sa globalité, et plus globalement contre les logiques d’exploitation capitalistes qui sous-tendaient la loi.
8. Un souvenir marquant et/ou perso sur ce début de mouvement ?
A : Je me souviens avoir eu le sentiment que ma vie d’étudiante prenait un tournant, que ma vie perso, d’ailleurs, prenait un tournant quand j’ai commencé à passer mes soirées (voire mes nuits) dans l’amphi et que j’ai rencontré des gens déjà très politisés et impliqués. (À ce moment-là, je n’avais pas d’autre repère politique que celui d’un beau-père facho, votant Front national. Je savais que je n’étais pas d’accord avec lui, mais je ne connaissais pas grand-chose à la politique.) J’ai en quelque sorte été chercher des connaissances et du débat auprès de tous ces gens et j’ai commencé à me demander ce qui m’intéressait politiquement.
Et : C’était chouette, on rigolait bien. Je pense toujours qu’on a eu raison et qu’on a été utiles. Et je me souviens qu’avec quelques copains on se foutait déjà pas mal de la gueule de Yoan Hadadi, aujourd’hui PS et assistant de je ne sais plus quelle grosse huile du parti. Le mec était ridicule et avait déjà les dents qui rayaient le parquet. Aujourd’hui, c’est toujours le cas, mais avec un costard de vendeur de bagnoles en plus et un larynx visiblement capable d’engloutir tout un vivarium pour peu que sa carrière avance. On en rigole encore quand on le voit dans la presse.
T : Surtout ce sentiment d’euphorie de début de lutte. Les débats interminables de fins de soirées avec des personnes super intéressantes.
Il y aussi la rencontre avec Ly., une SDF venue lutter avec nous et qui, avant d’être à la rue, habitait le même village que moi.
El : La temporalité pour moi est bien, bien floue… Je sais juste qu’il y a eu le mouvement, puis les vacances universitaires. Je crois que mon implication n’était pas encore au taquet (puisque je me souviens avoir reçu un ami à moi quelques jours durant les vacances). Et re le mouvement, au taquet cette fois !
Q : Lorsqu’on allait d’amphi en amphi, je me souviens des propos approximatifs de l’UNEF sur la loi. Ça me faisait sourire parce qu’iels essayaient de se la jouer technique et en même temps très infantilisants dans la stratégie de mobilisation : « Si chaque personne amène un-e copain-e, alors on sera super nombreux-ses pour dire qu’on n’est pas content-e ! »…
B : Ma prise de parole lors du fameux vote devant le SHA. C’était la première fois que je parlais devant autant de monde d’un coup ! Et ma première rencontre avec l’anarchisme et ses préceptes.
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