Pour Hocine

Strasbourg (67) |

[Article initialement publié en 2016]

Hocine Bouras avait 23 ans. Il est mort menotté sur l’autoroute A35 à hauteur de Colmar le 26 août 2014, d’une balle dans la pommette tirée à bout portant par un gendarme volontaire pendant son transfert de la prison de l’Elsau, à Strasbourg, vers le TGI de Colmar. Hocine, placé en détention provisoire, devait être entendu car il était suspecté d’un délit : il aurait tenté de braquer un Quick avec un pistolet à billes. Voilà pour le « passé de délinquant » de la victime.

Le gendarme sera tout d’abord placé en garde à vue, puis mis en examen par le parquet avec la qualification des faits suivants : « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». La légitime défense n’est alors pas établie, ou « constituée ». Le gendarme, plaidant la légitime défense, sera placé sous le statut de témoin assisté et non mis en examen. Sa culpabilité est donc atténuée par la construction judiciaire a posteriori, et ce dès le début de l’enquête. La justice statuera ensuite deux fois en sa faveur, prononçant un non-lieu équivalent à l’abandon des poursuites envers l’auteur du crime, signifiant ainsi l’arrêt de la procédure et le fait qu’il n’y aura jamais de procès, laissant la famille à ses questions et à son deuil.

La version des deux gendarmes est la suivante : Hocine, menotté les mains devant lui, aurait pété un plomb subitement (jamais l’enquête ne déterminera le pourquoi), puis aurait agressé la gendarme assise à côté de lui pour lui voler son arme. Le gendarme conducteur aurait donc stoppé le véhicule, tenté de maîtriser Hocine avec sa matraque, sans succès. Le gendarme aurait ensuite sorti son arme, tirant à bout portant sur Hocine.

Bien que la reconstitution judiciaire n’ait pas été en mesure de corroborer la version des gendarmes, démontrant par ailleurs que le gendarme pouvait agir de manière différente sans utiliser son arme, un élément majeur est passé sous silence par le juge dans ses conclusions aboutissant au non-lieu et validant la légitime défense : un témoin visuel direct indiqua qu’Hocine était menotté les mains dans le dos, infirmant totalement la version des gendarmes. Hocine, entravé de la sorte, n’aurait jamais pu commettre ce que les gendarmes l’accusent d’avoir fait. Cet élément ne sera jamais pris en compte. Hocine est mort, ses traces ADN sont sur l’arme et les témoignages respectifs des gendarmes sont concordants (à leur propre bénéfice). Affaire classée.

Les flics (car n’en déplaisent aux gendarmes, ils sont des flics comme les autres) mentent régulièrement dans ce genre d’histoire, témoignant contre la victime pour inverser les rôles et se prémunir de toute riposte judiciaire, sans parler de sanctions disciplinaires.

Les flics et la justice n’hésitent pas à voler ou modifier des preuves sur les lieux d’un crime policier, favorisant ainsi la construction judiciaire et médiatique qu’ils produiront par la suite.

Enfin, les flics n’hésitent pas à plaider la légitime défense, même quand ils assassinent une personne de dos à 20 mètres de distance, désarmée de surcroît. La légitime défense, c’est le joker 100% réussite d’un policier meurtrier.

Le meurtre d’Hocine n’est pas un cas isolé. La liste de personnes assassinées par la police est longue comme un code pénal. Les noms qu’elle contient sont quasi-exclusivement des noms de personnes racisées, c’est-à-dire non-blanches. Les exemples récents ne manquent malheureusement pas.

Le traitement médiatique acritique de ces meurtres donne une large place au discours policier et judiciaire (au nom de la sacro-sainte « objectivité » sans doute) et ne traite jamais des possibles motivations racistes des auteurs. Tout est mis en place pour que le meurtre soit invisibilisé et tombe dans l’oubli. Les auteurs ne sont jamais condamnés ou sanctionnés. Dans leur milieu, ils sont même considérés au pire comme des victimes, au mieux comme des héros.

La famille d’Hocine a eu le courage de témoigner publiquement et de se mobiliser pour que la vérité sur la mort de leur enfant soit faite. Ils ont toujours affirmé leur confiance dans la tenue d’un procès et dans la justice. Ils se montrent ainsi plus dignes que la justice française qui les rabroue en leur indiquant que leur enfant était coupable. Coupable de son propre meurtre.

En attendant, le combat judiciaire continue, la famille ayant décidé de se pourvoir en cassation.

[Mise à jour en août 2019]

Suite au rejet de leur pourvoi par la Cour de Cassation en janvier 2018, la famille de Hocine Bouras se tourne actuellement vers la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) en attaquant la France pour violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Leur requête pourrait être examinée sur le fond par la Cour [1].

Vérité et Justice pour Hocine Bouras et toutes les victimes de crimes policiers !

Hocine, 8 ans après, on ne t’oublie pas ! Soutien à sa famille, aux comités et aux collectifs en lutte contre le Permis de tuer !

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