Pas très catholique… ce Macron !



Ce matin-là, devant mon ordi, je stresse. J’ai la pression. De sites en sites, les informations diffèrent. Laquelle est la bonne ? Celui-ci dit entre 32°C et 38°C, celui-là m’indique entre 34°C et 37°C et ce dernier réduit la chaleur entre 33°C et 35°C ! Des minutes interminables défilent. Un grand moment de solitude m’envahit. Mais enfin, qui pourra répondre à cette question existentielle : à quel degré doit être l’eau de mon jacuzzi ?

Je m’acharne à trouver LA réponse précise, tout en écoutant d’une oreille distraite France Inter. Le single des actualités me fait lever le nez. Résigné, je m’attends à entendre les infos habituelles : avant la litanie des cours de la Bourse, qui n’intéresse plus personne, l’annonce des titres me fait frémir : « l’affaire du petit Grégory rebondit », « la princesse Trucmuche pleure la disparition de son chat » ou, plus politique, « le candidat Machin veut rassembler la gôôôche ! »

Surprise ! Le journal ouvre par cette déclaration urbi et orbi de l’homme en blanc, depuis Rome : « Accueil des migrants, les catholiques doivent montrer l’exemple ! » Nom de Zeus, par Jupiter, mon sang de parpaillot ne fait qu’un tour. Ah ça non, il n’est pas dit que je serais en reste. Je saisis mon téléphone et je compose le numéro de Lulu. Lulu est un camarade de longue date qui partage avec moi des idées de partage et de solidarité. Je ne connais à Lulu qu’un seul défaut. S’il ne croit plus à un sauveur suprême de forme humaine, il n’a pas renoncé à croire à un sauveur divin ! Lui qui fréquente les institutions religieuses de sa secte saura me filer une adresse, un contact pour rencontrer un migrant, pour en savoir davantage sur ces protégés du grand-père blanc.

« Allô, Lulu, je voudrais rencontrer un migrant. Tu dois bien connaître un contact ou une adresse…
— Ah bah çà, t’as du bol Léon. Je suis invité à manger ce soir chez René, qui héberge justement Brahim, un jeune Malien musulman. Accompagne-moi !
— Avec plaisir ! Mais ne me dis pas que René est devenu Catho ?
— Mais non, à 60 ans il est toujours ce gaucho que tu as connu ! »

Le soir même je me retrouve à la table de René sur laquelle trône sa fidèle bouteille de pastis. Pour la première fois et à mon grand étonnement une bouteille de Coca-Cola semble la provoquer.

« C’est pour Brahim. Un, il vient juste d’avoir dix-huit ans et, deuzio, en bon musulman, il ne boit pas d’alcool ! », se justifie René en appelant de sa voix forte : « Brahim, à table ! »

Quelques instants plus tard, Brahim nous rejoint. Il est grand ce migrant ! Noir, bien noir ! Un large sourire éclaire son visage quand il me dit bonjour. Quand je lui annonce le but de ma visite et mon intention d’écrire un article sur lui et son parcours, son visage se ferme. Tout en secouant négativement sa tête aux beaux cheveux crépus, il me répond : « Non, je ne le désire pas ! »

Au cours du repas, René m’explique que RESF Nancy (Réseau École Sans Frontières) a « récupéré » Brahim à la gare de Nancy, il y a quelques jours, le lendemain de ses dix-huit ans. Il sortait d’un centre d’accueil pour mineurs, géré par le conseil départemental de Meurthe-et-Moselle. Aujourd’hui, une avocate de RESF engage, sans trop d’espoir, une procédure de régularisation. Les péripéties de son parcours, depuis son départ du Mali, justifient la prudence de Brahim à se mettre en avant, ce que j’admets.

René et Lulu ne supportent pas la fumée. À la fin du repas je sors seul de la maison griller une « bonne cancéreuse » ! À ma surprise, Brahim me rejoint : « Je veux bien te parler. Si tu écris sur moi, ne donne pas de renseignements précis, oui ? »

Je m’y engage et je ne vous livrerai qu’un aperçu de ma rencontre avec Brahim… qui n’est pas son prénom, vous vous en doutiez ! Si la langue officielle du Mali est toujours le français, le bambara est la langue la plus utilisée par le peuple non scolarisé. Je suis d’autant plus surpris par sa qualité d’expression de la langue française et par sa volonté de l’améliorer.

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Le Mali est un pays d’Afrique de l’Ouest, frontalier de la Mauritanie et de l’Algérie au nord, du Niger à l’est, du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire au sud, de la Guinée au sud-ouest et du Sénégal à l’ouest. Ancienne colonie française du Soudan français, le Mali est devenu indépendant le 22 septembre 1960, après l’éclatement de la Fédération du Mali regroupant le Sénégal et la République soudanaise. Sa devise est « un peuple, un but, une foi » et son drapeau est constitué de trois bandes verticales, verte, jaune et rouge. Il compte aujourd’hui environ 15 millions d’habitants. Le Mali est un pays en développement, avec 65% de son territoire en région désertique ou semi-désertique. L’activité économique est surtout limitée autour de la région fluviale irriguée par le fleuve Niger. Environ 10 % de la population est nomade et environ 80% travaillent dans l’agriculture ou la pêche. Le Mali dépend en grande partie de l’aide étrangère. [Wikipédia.]

Brahim a vécu son enfance dans un petit village au sud de Bamako, la capitale. Très jeune son père décède de maladie (l’espérance de vie des hommes est de 43 ans). Son oncle, déjà « chef de maison », devient son beau-père. Les relations sont tendues, surtout depuis qu’il a marié de force sa sœur à un homme fumeur, alcoolique et violent. Il a une quinzaine d’années quand sa mère meurt elle aussi de maladie. Son beau-père accentue encore son autorité. Il contraint Brahim à garder son troupeau de 25 moutons. Un jour, Brahim ne revient à la maison qu’avec 24 moutons. Son beau-père l’accuse d’en avoir vendu un et le menace de mort s’il ne le ramène pas. Brahim retrouve le mouton égaré… mortellement blessé. Il décide de s’enfuir pour échapper à la mort, pour fuir la pauvreté et le chômage.

Son périple commence et durera plusieurs mois avant son arrivée à Nancy. Sans argent, sa survie est liée à de petits boulots, de solidarité et du hasard des rencontres et des amitiés qu’il liera. Il séjourne quelques mois à Bamako, traverse le Niger pour atteindre la Libye. Puis ce sera la traversée de la Méditerranée à bord d’un zodiac surchargé. Avant l’embarquement Brahim tentera de refuser de monter à bord de cette grande bouée. Il ne veut pas affronter cette mer qu’il ne connaît pas et qu’il craint. On lui dit que c’est l’embarquement ou la mort ! Il choisit de vivre. Quelques heures plus tard, en pleine mer houleuse, sans eau et sans nourriture, lui et ses compagnons de misère pensent qu’ils vont mourir ! C’est alors qu’un bateau viendra les sauver et les conduire en Italie. De là, en échappant par mille combines aux contrôleurs, il empruntera le train pour Paris. Accompagné d’un camarade d’infortune, il prendra le TGV « à titre gratuit » et se retrouve à Nancy… Nancy dont il ignorait l’existence il y a quelques mois encore. À nouveau seul et sans pognon, Il se rend à la police. Celle-ci, sans violence, voire avec amabilité, le conduira dans un centre de réfugiés pour mineurs à NeuNeu, puis à Pixerécourt, pour quelques mois. Indésirable à sa majorité, RESF le prend en charge et le confiera à René. Voilà, en quelques lignes, le parcours de Brahim, que partage un certain nombre de migrants d’Afrique et d’ailleurs ! René me confie que certains jours Brahim est triste. Il lit dans son regard et dans son attitude pourtant si joviale et positive une lumière éteinte. Brahim a le cafard, tout en conservant l’espoir qu’un jour il puisse gagner suffisamment d’argent pour faire venir sa sœur et ses deux enfants, à défaut de pouvoir vivre « normalement » dans son pays plutôt que d’essayer d’y survivre !

L’espoir de Brahim se réalisera-t-il ? Possible, si l’État s’en donne les moyens et si la volonté politique existe. Malheureusement, je n’ai jamais trouvé à Macron un air « très catholique » ni même très soucieux du bonheur de l’Humanité quand elle ne se fait pas par les armes. Que Macron se foute des consignes de l’homme en robe blanche de Rome, soit, mais quand un Trump se félicite de partager les mêmes valeurs d’intransigeance vis-à-vis de l’immigration, cela m’inquiète. Que dire de la loi Asile et Immigration, qui la durcit ? France, terre d’accueil, une vieille réalité ? Je ne le sais pas, comme je ne sais toujours pas… la température idéale de mon jacuzzi !

Léon De Ryel

Article paru dans RésisteR ! #55, le 1er mai 2018.