Parcoursup, la sélection En Marche !



À première vue, le nouveau dispositif censé remplacer APB dès cette année pour orienter les futurs bachelier∙es vers les études post-bac est plutôt opaque. Quand on le regarde plus attentivement, il est carrément dangereux.

Mis en place alors qu’il instaure la sélection et que le principe n’en a pas été voté par le Parlement, Parcoursup est un dispositif hors-la-loi. Cela n’a pas empêché le gouvernement et les rectorats d’en appuyer la mise en œuvre, et par ricochet, les directions d’établissements scolaires et les présidences d’universités (pourtant supposées autonomes…). De haut en bas, la machine descend finalement vers les usager∙es : lycéen∙nes aidé∙es par leur professeur principal à un bout, équipes pédagogiques et responsables de diplômes universitaires à l’autre.

La sélection après le bac n’est pas une nouveauté. On ne compte plus les BTS, IUT, CPGE, écoles diverses et variées qui recrutent sur dossier après le bac. Ces filières se sont tant et si bien développées ces dernières décennies que les licences à l’université ou la Paces font figure de derniers des Mohicans. Mais le principe de ces dernières est clair : le baccalauréat est le premier grade universitaire, ce qui signifie qu’il ouvre en principe l’accès aux études supérieures. Une fois le bac en poche, on doit pouvoir toujours s’inscrire dans la licence universitaire de son choix, quitte à se tromper et prendre le temps de trouver sa voie, quitte à reprendre les études après quelques années d’interruption. Evidemment, il ne faut pas se voiler la face et prétendre que le système actuel est égalitaire : il reste profondément inégalitaire, il suffit pour le voir de consulter les statistiques sur l’origine sociale des étudiant∙es, qui sort après une licence, qui après un master, etc. Il faudrait l’améliorer, mieux conseiller les futurs bachelier∙es sur la réalité des filières où ils et elles envisagent de poursuivre leurs études. Mais ce n’est pas ce que fait Parcoursup : Parcoursup organise la sélection.

Comment cela fonctionne-t-il ? Du côté des lycéen∙nes, 10 vœux doivent être formulés, non classés, éventuellement décomposés en sous-vœux (20 maximum en tout). Les élèves doivent motiver chacun de leurs vœux en rédigeant un paragraphe de 1500 signes. Rédiger 10 lettres de motivation, même courtes, à 17 ou 18 ans, rien de tel pour forger un certain état d’esprit : il s’agit d’apprendre à bien se vendre.

Ensuite le chef d’établissement appose un avis « sur la capacité de l’élève à réussir dans la formation demandée », en se fondant sur les résultats de l’élève et sur différentes données. Tout d’abord les professeurs doivent pour chacun des vœux donner leur avis sur l’élève. Et comme cela ne suffit pas, les professeurs principaux doivent aussi renseigner quatre items dans la « fiche Avenir » de l’élève : « Méthode de travail », « Autonomie », « Capacité à s’investir dans le travail », et… « Engagement, esprit d’initiative ». Le descriptif de ce dernier item par le ministère est édifiant : « participation aux instances du lycée, délégué, tutorat, participation à la vie associative du lycée ou en dehors, activités bénévoles ou de volontaires (sic), stage en entreprise, dans des administrations ou associations pendant les vacances, période de mobilité à l’étranger, etc. ». On imagine que d’avoir participé à des manifestations contre la réforme du Bac ou au blocage de son lycée ne sera pas vraiment considéré comme un engagement à valoriser… À l’inverse, chaque jeune sera incité∙e à organiser sa vie dès la sortie du collège pour coller à l’évaluation de ce « savoir-être », le moindre engagement étant monnayable sur sa fiche Avenir au moment de passer le bac !

À l’autre bout de la chaîne, les universités ont été invitées à fixer des capacités d’accueil selon les diplômes. Ces capacités sont transformées en « nombre de places offertes sur la plateforme ». L’idée n’est pas de considérer que s’il y a une demande en hausse pour telle discipline, on pourrait ajuster l’offre et augmenter les capacités d’accueil (les salles, les moyens, les personnels), mais exactement l’inverse. C’est tout le génie de ce dispositif pour gérer le goulot d’étranglement prévu depuis des années avec le pic de naissances de l’an 2000 : 22 000 places supplémentaires seront ouvertes à la rentrée 2018 pour 40 000 étudiants de plus qu’à la rentrée 2017. La stratégie consiste donc à éliminer le surplus d’étudiant∙es.

Une fois les capacités d’accueil fixées, les équipes pédagogiques des licences vont recevoir des centaines de dossiers, voire des milliers selon les disciplines, avec l’obligation de les classer. On imagine le travail réjouissant consistant à lire les lettres de motivation, les commentaires des professeurs, des professeurs principaux et ceux des proviseurs… pour chaque dossier. Pour quoi faire ? Les premiers, disons les 200 premiers si les capacités d’accueil sont fixées à 200, seront notifiés d’un « Oui », et les suivants seront mis « En attente ». Eventuellement, si le cursus paraît peu adapté, un « Oui si » viendra remplacer le « Oui » en conditionnant l’inscription de l’étudiant∙e à l’acceptation d’une procédure d’accompagnement spécifique (tutorat, cours de soutien, etc.). Quoi qu’il en soit, les dossiers qui ne seront pas classés parmi les premiers se retrouveront « En attente ». Une fois que les premiers, celles et ceux reçus avec des « Oui », auront fait leurs choix, donc en partie en renonçant à telle ou telle licence pour les dossiers qui auront reçu plusieurs « Oui », les places se libéreront et les dossiers « En attente » passeront en « Oui » (ou « Oui si »). Et ce manège va durer tout l’été, avec une accélération : les premier∙es classé∙es auront une semaine pour confirmer leurs choix fin mai, les dernier∙es quelques jours voire 24 heures à la fin de l’été.

En pratique, les élèves issu∙es des bacs S des lycées de centre-ville auront en proportion beaucoup de « Oui » et pourront faire leurs choix parmi (presque) tous leurs vœux. Ils et elles seront ainsi prioritaires pour aller à l’université. Les élèves issu∙es de bac STI ou de bac pro parce qu’en 3e on les a envoyé∙es là et qui voudraient aller à la fac se retrouveront « En attente » : ils auront juste un « Oui » pour le BTS de leur branche, même si cette branche les emmerde depuis des années. Ils sont entrés dans la zone de relégation, qu’ils y restent. Ces élèves passeront donc systématiquement après tout le monde.

Parcoursup est un dispositif qui organise le tri sélectif et qui renforce les mécanismes de reproduction sociale, donc les inégalités. Les lycéen.nes devront avoir un projet d’études supérieures abouti avant d’avoir passé le bac, si possible dans la continuité de l’orientation qu’on aura choisie pour elles et eux depuis le collège, et apprendre très jeunes à faire leur autopromotion. C’est une transformation radicale de la manière de vivre ses années lycée.

L’université était jusqu’ici supposée être un service public, destiné à accueillir, à former et émanciper toute personne, française ou étrangère, titulaire d’un baccalauréat. Depuis des années elle fonctionne avec des budgets drastiquement réduits, des suppressions de postes ou des postes « gelés », de plus en plus de salarié∙es précaires, des conditions de travail dégradées. La sélection n’est pas un remède, c’est une étape supplémentaire dans sa détérioration et vers sa liquidation.