Nécro de boucher !



Je n’irai pas cracher sur la tombe de François Chérèque. Non pas que la suggestion de Boris Vian ne m’ait pas séduit, non pas que le geste me paraisse lâche, non pas que je craigne une réincarnation en lama dans une autre vie. Non !

Avertissement.

Notre journal n’a pas pour habitude de traiter des mondanités comme les mariages princiers ou non, les naissances prématurées ou non, les décès attendus ou non. Pour ces derniers, quand il s’agit du départ d’un ou d’une proche, les plumes bienveillantes se dressent sur les feuilles blanches pour évoquer les qualités incommensurables de celui ou celle qui nous quitte. Question de principe pour les uns, de bonne éducation pour les autres, de respect posthume pour les derniers. Lecteur affranchi ou perspicace, vous aurez remarqué que RésisteR ne dispose pas dans sa charte de principes de précautions ou de retenues particulières sur le sujet. Les lignes qui suivent peuvent heurter. Nous invitons les personnes sensibles ou végétariennes à ne pas poursuivre la lecture…

Ex memoriam François…

Je n’irai pas cracher sur la tombe de François Chérèque. Non pas que la suggestion de Boris Vian ne m’ait pas séduit, non pas que le geste me paraisse lâche, non pas que je craigne une réincarnation en lama dans une autre vie. Non ! Je n’irai pas cracher sur la tombe de François Chérèque parce que même un crachat se mérite… la considération de mon oubli suffira après les quelques lignes acides et partisanes qui suivent.

François est un enfant de « bonne famille ». À 22 ans, il adhère à la CFDT. Sans avoir pratiqué, ou très brièvement, une activité professionnelle, il devient rapidement et tout naturellement permanent syndical, comme papa Jacques, l’un des fossoyeurs de la sidérurgie en Lorraine. L’institutrice Nicole Notat, Meusienne à qui il succède en 2002 à la tête de la CFDT, n’a également que très peu enseigné. À la CFDT, comme trop souvent en politique, pour parler du travail et représenter ses camarades ou les citoyens, ce sont ceux qui en savent le moins qui en parlent le mieux.

À la suite de son congrès de déconfessionnalisation, en 1964, qui se traduit visuellement par le passage de CFTC en CFDT, la centrale syndicale s’inscrit dans un syndicalisme radical, se revendique de la lutte des classes chère à la CGT (considérée alors comme partenaire privilégié) et conduit sa politique revendicative dans un projet de transformation sociale par l’autogestion… jusqu’au recentrage réformiste accentué avec l’arrivée de la gauche socialiste en 81 !

Avec Edmond Maire, les secrétaires généraux de la CFDT ont toujours plus retenu le général que le secrétaire. Nicole Notat n’était-elle pas surnommée par ses amis « la tsarine » ? Shrek2 – merci à Françoise pour ce bon mot – s’inscrit dans cette lignée de « patrons » de haute volée de cette entreprise syndicale. À ce titre, il poursuivra ce recentrage vers le réformisme, vers une forme de libéralisme au nom d’un syndicalisme responsable et d’adaptation. Son fait d’armes le plus spectaculaire et antidémocratique fut sans conteste sa signature, en 2003, de la réforme des retraites du gouvernement Raffarin. À la sortie d’une rencontre avec François Fillon, ministre chargé de cette réforme, il annonça, seul, l’accord de son organisation, sans aucune concertation ni des membres du bureau confédéral, ni a fortiori des adhérents. Dans toute organisation démocratique, cette position dictatoriale aurait entraîné une exclusion pour abus de pouvoir… À la CFDT, elle eut pour seule conséquence la démission… de quelque 82.000 adhérents, selon ses propres chiffres ! Traité de « traître », de « collabo » ou de « complice », comme son papa à la mort de la sidérurgie lorraine, notre roitelet est réélu dans un fauteuil en 2006 et à nouveau en 2010.

En 2012, deux ans avant la fin de son dernier mandat, notre ogre préféré passe la main à un éleveur de moutons, plus à même de guider le troupeau. Shrek1 hérita d’un ministère pour ses bons et loyaux services. Shrek2 méritait-il moins ? Éducateur de formation, libéral converti (ou d’origine ?), il ne manifesta aucun scrupule à se voir nommé en Conseil des ministres haut fonctionnaire, avec le titre d’inspecteur général des Affaires sociales, chargé du suivi du plan gouvernemental de lutte contre la pauvreté ! Dans le même temps, il accède à la présidence du think tank Terra Nova, laboratoire d’idées proche du Parti socialiste, dont l’un des buts était en 2013 de ramener au bercail les voix des minorités ouvrières, sexuelles, précaires et/ou populaires égarées au Front national… avec le succès que l’on connaît ! Une fois encore, ce sont ceux qui en savent le moins… En effet, Shrek2 ne retrouvera dans ce cercle de réflexion que des spécialistes de la pauvreté ou de la misère : des économistes, d’éminents sociologues, des politiciens professionnels, des présidents de banque et assurance, des experts de tous horizons comme ceux des entreprises internationales Acticall, Areva, Air France, Crédit Lyonnais ou encore de chez Rothschild… !

Décédé il y a quelques jours, François Chérèque n’aura pas pu mesurer la réussite de ses engagements en prenant connaissance du rapport Oxfam, qui établit la double progression mondiale des gens les plus riches et des gens les plus pauvres : les huit premiers milliardaires détiennent une richesse aussi importante que celle de la moitié des êtres humains de la planète. Si François Chérèque, lors des dernières élections, avait pu déjà mesurer avec quel brio il avait affaibli le Front national, il lui sera épargné la mesure des prochaines ! Le président de la République sur le départ, qui fustigeait lui aussi cet ennemi qui n’a pas de visage, a honoré de sa présence les obsèques de son complice, aux côtés du gotha patronal et de l’intelligentsia politico-économique de droite et de ladite gauche. Avec des amis comme ces deux François, le salariat et le peuple n’ont pas besoin d’ennemis ! L’un comme l’autre, partez rassurés camarades… vous serez vite oubliés !
Ex memoriam, François !

Léon de Ryel

Article paru dans RésisteR ! #47, le 27 janvier 2017