Mobilisation dans les universités : mai 68 – mai 2018 ?



La loi Orientation et réussite des étudiants (ORE) et le dispositif Parcoursup instaurent une sélection à l’entrée de l’université. L’avant-dernière tentative d’instaurer la sélection, c’était… en avril 1968.

Du point de vue du gouvernement l’équation est claire : pendant la dernière décennie, les facs ont été essorées, l’autonomie (loi LRU de 2007) ayant servi de paravent à une baisse des budgets (postes « gelés », donc, non renouvelés, précarité généralisée, management inspiré du privé) ; en parallèle, le baby-boom de l’an 2000 annonce l’arrivée d’un nombre accru d’étudiant∙es dans l’enseignement supérieur. Le choix étant posé entre une augmentation des moyens et des capacités d’accueil ou la sélection à l’entrée, le gouvernement Macron a choisi… dans la lignée de ses prédécesseurs.

L’avant-dernière tentative d’instaurer la sélection, c’était… en avril 1968. La dernière tentative remonte à la loi Devaquet, en 1986, qui avait conduit à un mouvement massif des étudiant∙es et lycéen∙nes, puis à l’abrogation de la loi. En un peu plus de 30 années, le contexte a cependant changé. Le nombre de bachelier∙es, donc, de jeunes susceptibles d’accéder à l’enseignement supérieur, a explosé, mais les filières sélectives également (IUT, classes prépas, écoles…). Sauf dans les disciplines où l’université reste la voie principale, voire exclusive (médecine, sciences humaines et sociales, droit…), pour beaucoup de lycéen∙nes, la fac semble être un pis-aller et le rejet de la sélection n’apparaît pas comme une évidence. Malgré les efforts des plus actives et actifs, la mobilisation de 2018 est ainsi restée pour l’essentiel contingentée à quelques dizaines de campus universitaires, sans parvenir à mordre chez les lycéen∙nes, pourtant premier·e·s concerné·e·s.

La bataille contre la sélection à l’entrée de l’université est conduite par des étudiant∙es pour qui l’entrée à l’université ne se pose plus. C’est d’une certaine manière une lutte de principe. C’est la lutte pour l’accès au savoir pour toutes et tous, dont on sait qu’il est bien mis à mal par les inégalités sociales et culturelles et que la loi ORE, conjointement à la réforme du baccalauréat, ne peut que renforcer. C’est la lutte pour une société où nos vies ne seraient pas seulement régies par la rentabilité et l’employabilité mais où d’autres valeurs primeraient, dont certaines sont traditionnellement portées par l’université. C’est donc une lutte très politique dont l’enjeu ne se réduit pas à un logiciel de tri de dossiers : profondément idéologique, en partie symbolique avec la résonance du cinquantenaire de Mai 68, elle rejoint d’autres combats portés en ce moment face aux attaques tous azimuts du gouvernement, en défense des services publics (cheminot·e·s, postier·e·s, hospitalier·e·s) ou de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

Conséquence de cela, la lutte étudiante est, jusqu’ici du moins, une lutte minoritaire. On est à l’opposé de la mobilisation massive de 2006 contre le CPE, qui avait donné lieu à des manifestations monstres, avec un très fort soutien populaire. La modalité du blocage avec occupation, qui avait permis de faire grossir les rangs des manifestant∙es en 2006, s’accompagne d’une démobilisation massive des étudiant∙es en 2018. Sauf quelques campus (à Rennes notamment), où plusieurs milliers d’étudiant∙es participent aux AG, elles tournent ailleurs autour du millier ou de quelques centaines, tandis que les manifestations comme les occupations ne dépassent pas la centaine de participant∙es. Bien que parfois légitimés par des votes relativement massifs en AG, les blocages et occupations ne sont souvent portés que par quelques dizaines de jeunes. Et à la différence de la mobilisation de 2009 contre les premiers effets de la loi LRU, les personnels sont en 2018 très peu mobilisés aux côtés des étudiant∙es.

La teneur politique de la mobilisation n’est pas sans lien avec ce qui mûrit dans le pays. En 2017, dans la lutte contre la loi Travail, le « cortège de tête » a vu la convergence d’une fraction de la jeunesse avec des syndicalistes et des travailleur·ses désireux d’en découdre sans attendre les consignes des appareils syndicaux. Des milliers de personnes ont convergé ailleurs dans les luttes contre les grands projets inutiles ou dangereux (NDDL, Bure…), le plus souvent en rupture radicale avec les stratégies politiciennes. Quand Macron s’en prend une nouvelle fois aux milieux populaires, en instaurant la sélection à l’entrée de l’université, la fraction de la jeunesse qui s’est politisée dans les luttes des dernières années est aux avant-postes, parfaitement consciente que derrière la réforme, c’est un modèle de société, « son monde », qu’il faut rejeter.

Le gouvernement, lui, ne s’y trompe pas : il veut en finir. Il envoie donc les CRS déloger violemment les occupant∙es des universités, comme à Tolbiac le 20 avril, avec l’aimable autorisation de présidents d’université soucieux d’assurer le retour à la normale. Au passage, les groupuscules fascistes se réveillent et passent également à l’acte contre les étudiant∙es mobilisé∙es, comme on l’a vu à Montpellier, Strasbourg ou Lille, confirmant qu’ils se situent comme toujours dans le camp de l’ordre et des riches.

À user ainsi de violence et de répression contre les étudiant∙es, contre les zadistes et contre les travailleur∙ses en lutte, Macron travaille malgré lui à cette « coagulation » des luttes qu’il dénonçait comme illusoire dans une de ses récentes interviews. Mai 2018 ne sera pas Mai 68, mais ce qui continue de mûrir dans le pays finira par lui faire ravaler sa morgue, ainsi qu’à tous ceux qui le soutiennent. C’est du moins à cela qu’il faut œuvrer.

Léo P.
(Le 23 avril 2018.)

Article paru dans RésisteR ! #55, le 1er mai 2018.