La santé au boulot, quel état des lieux ?
Du point de vue de la Macronie
A entendre Agnès Panier-Runachier, « "J’aime l’industrie car c’est l’un des rares endroits au 21e siècle où on trouve encore de la magie,…), (oct 2021 ) le boulot c’est formidable… Ben oui, c’est magique, l’usine, quand tu peux plus tenir la cadence après trente ans de chaîne,, et que tes articulations bouffées ne suffisent plus à suivre la machine, les elfes ou les fées viennent finir ton taf, voire même plus, pour que t’aies une prime, tout le monde sait ça… Garçon, mettez moi la même chose que la mère Runachier, pour l’apéro !!! Dans un grand verre...
C’est vrai qu’ HEC, l’ENA, les cabinets ministériels et les maroquins vous donnent une putain d’expérience de l’usine, elle cause bien l’Agnès… c’est magique, y a pas à dire.
Le mentor de cette chère mère Panier-machin, n’en dit pas moins, Macron le 3 Octobre 2019 à Rodez : "Moi j’adore pas le mot de pénibilité, parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible"
Eh oui, quel culot ces prolos !
Mettons nous un peu à la place de l’actionnaire - directeur - associé du lobby bancaire, qui a tout fait pour éviter la pénibilité, ne s’est jamais tordu un doigt dans un taille crayon (y a des gens pour ça), a combattu le claquage de biceps en plein bilan...
Bien dit Manu, le boulot c’est pas pénible... comment ça, pénible le boulot, ais je souffert, moi, trimant comme un galérien dans les arcanes de la banque ?
Alors les feignasses de caissières, vous venez chouinez ? Parce que vous tirez, poussez, portez une tonne par heure ? Pareil pour les planqué-es de chez Amazon, les livreurs de pizzas de chez Uber ?
Faites gaffes ! les tire au flanc de l’Hôpital, de l’école, on vous a à l’œil aussi. Si le boulot vous plaît pas, il suffit de traverser la rue.
La Macronie a un talent inné pour le classement, les gens bien et les terroristes, la police et les délinquants, les bons travailleurs et les maladroits.
Si on s’éloigne de l’analyse de la rue du faubourg Saint Honoré, ça change un poil.
Et dans le vrai monde ?
Les chiffres officiels donnent 760 morts au travail ou du travail en 2019. Le journal le monde apporte un correctif, en 2022 il parle de 804 morts au travail pour cette même année 2019. Dans ce monde magique et non pénible, les « meilleurs années » se soldent par environ 600 000 accidents du travail (AT), 2019 atteste de 651 000 AT.
Nous aurions, selon la Confédération Européenne des Syndicats (C.E.S.) la seconde place derrière le Luxembourg, pour la plus forte létalité au travail d’Europe, au dessus de la Pologne, de l’Allemagne. On ne peut pas être dernier tout le temps me direz vous, donc derniers pour les salaires, mais premiers pour la mort au travail. ça compense.
Plusieurs ouvrages sortis en 2023 éclairent un peu plus ce sordide tableau.
Mathieu Lépine (l’Hécatombe invisible – Seuil) passe en revue les causes, les déroulements de ces AT. 8,4 % sont des jeunes de 15 à 24 ans. Ces 64 personnes (par an) ont été laissées le plus souvent, seules sans sécurité sur un poste de travail, sans recevoir d’information. Elle meurent souvent dans la première année, les premiers mois, voire les premiers jours. Le bilan est hélas limpide, pas de formation, pas d’information, pas de sécurité,ou sécurité inadaptée, personne pour intervenir.
Selon les années, entre 19 et 25% des morts sont du BTP, ouvriers ou artisans sous traitants, suivent les chauffeurs livreurs, puis les ouvriers agricoles, et l’industrie.
Le BTP cumule, à haute fréquence, Accidents du travail, maladies professionnelles et accidents de trajets, au total c’est l ‘équivalent de 36 000 salariés en moins chaque année qui ne peuvent pas travailler (AMELI.fr - chiffres clés BTP).
Mathieu Lepine recompte aussi les accidents de trajets, et met en lumière leur cause sociale. 12 % des accidents de trajets mortels concernent des jeunes de 15 à 24 ans. 12 % en 2019, c’est 92 personnes, mais pas n’importe lesquelles. Ce sont principalement des ouvriers, qui habitent loin de leur travail, qui ont de faibles revenus, et souvent des véhicules en mauvais état..Le trajet est souvent fait à des heures atypiques. Double peine, la narration de leur accident est souvent très lapidaire : « Drame de la route, un jeune se tue au volant »… C’est la jeunesse qui est responsable de la mort, rarement il est fait état d’un accident de trajet donc de travail.
Plus les salarié-es sont éloigné-es d’un statut, d’un cadre protecteur, plus le risque encouru est grand,la sous traitance, la précarité, alimentent l’hécatombe.
Au delà de la dangerosité du métier, les couches de risques vont s’additionner, logement précaire ou/et dégradé n’offrant pas toutes les conditions de repos, logement très éloigné du travail prolongeant la journée, salaire insuffisant pour se procurer un minimum décent ou vital, un véhicule sûr, absence de collectif syndical pour prévenir, informer des risques, proposer des solutions de retrait, imposer des équipements de protection.
Anne Marchand (mourir de son travail aujourd’hui), enquête au sein du « Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelles, « (GISCOP 93), et parle de la toxicité mortelle du travail et son environnement.
L’héritage industriel, et le travail contemporain hypothèquent la santé et la vie de millions de travailleurs-euses. Elle cite un rapport récent qui fait état chaque année de 50 000 à 80 000 nouveaux cas de cancers liés à l’activité professionnelle, ou d’origine professionnelle.
C’est une autre hécatombe qui colle également une double peine aux plus précaires. Ces cancers se déclarent souvent longtemps après l’activité professionnelle, il faut alors prouver que votre maladie est d’origine professionnelle, alors qu’on lutte contre la mort. Souvent aussi, c’est à la famille d’assumer la fin du parcours pour tenter d’obtenir un dédommagement.
Anne Marchand a accompagné plus de deux cents travailleurs et leur famille, pour reconstituer une carrière professionnelle, prouver les interactions insalubres et dangereuses, demander réparation. Elle aussi, fait état des inégalités, lorsque le travailleur immigré, rentre dans son pays, tombe malade, lorsque l’intérimaire doit retrouver la totalité de ses contrats de travail, certains d’une journée, d’une semaine, pour demander réparation.
L’espace social pour ranger ses papiers, ses fiches de payes, va de pair avec le niveau de salaire,avec le capital social qu’on a acquis ou pas.
Environ 70 000 travailleurs très précaires SDF,ou mal logés ou en surnombre dans des habitats indignes (fondation Abbé Pierre), des milliers de travailleurs sans papier, peu ou pas couverts socialement, seront captifs de travaux dangereux, insalubres.
Des camarades CGT- EDF, dans les années 90, avaient percé à jour une organisation de travail précaire qui recrutaient des salariés pour nettoyer, entretenir des centrales nucléaires, il y avait obligation d’un contrôle médical strict, et d’une durée limitée à ce travail dangereux. L’entreprise qui les employait, leur procurait un autre travail pour compléter, il s’agissait de désamianter des bâtiments. Ces travailleurs précaires cumulaient deux type de travail à haut risque
La macronie en rajoute
Comme si cela ne suffisait pas, Hollande, puis Macron ont rendu plus difficile la saisine aux prud’hommes, limité les possibilités de dommages et intérêts à ces mêmes tribunaux, cessé d’organiser les élections qui permettaient aux salariés d’être élus aux conseils des prud’hommes.
La loi travail, puis les ordonnances Macron, ont défait les comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT), amoindri les moyens d’expertises des élus. Les seuils permettant d’avoir des élus ont été remontés, ce qui prive la très grande majorité des entreprises d’institution représentative du personnel (I.R.P.).
C’est un travail global, baisser les conditions et le niveau des prestations chômage, ce qui va renforcer l’attrait des boulots les moins payés et les plus dangereux, parce qu’il faut survivre.
Dans le même temps, les formes de management pathogènes renforcent la subordination des salariés, et conduisent parfois à l’aliénation.
Le journal Psychologie magazine, dans sa forme web, révèle le 2 Avril 2021, que 49 % des salariés étaient en détresse psychologique, certes la crise COVID, le télétravail n’ y étaient pas étrangers, mais depuis, ce taux n’est redescendu qu’à 45 %.
Christophe Nguyen, psychologue du travail et fondateur d’Empreinte Humaine, constate qu’il y a désormais deux fois plus de dépressions sévères au travail.
Un tiers des salariés pensent ainsi qu’il y a plus de tensions qu’avant et un quart estiment qu’il y a plus de harcèlement avec la crise.
Des craintes nouvelles apparaissent également : « Un tiers des salariés craignent des suicides sur leur lieu de travail et 10% craignent qu’un collègue agresse physiquement une autre personne ». Le risque ? « La multiplication des arrêts de travail, si des actions ne sont pas mises en œuvre », prévient Christophe Nguyen. (psychologie.com 2 avril 2021).
Comprendre, apprendre, s’informer, se former, il faut parler du travail, au-delà de nos appartenances syndicales.
Ce n’est pas seulement vouloir améliorer nos conditions de travail, c’est se mobiliser pour combattre l’exploitation capitaliste.
C’est ce que pensent et font, FSU, Sud-Solidaires et la CGT. Un stage aura lieu les 7 et 8 Novembre (réservé aux adhérents des syndicats). La première journée sera animée par Daniele LINHART, qui travaille sur la modernisation des entreprises et les stratégies managériales, l’évolution du travail, les nouvelles formes de mobilisation des salariés et la place du travail dans la société.
La seconde journée sera animée par Christophe DESJOURS, psychiatre, psychanalyste
et professeur de psychologie spécialiste en psychodynamique du travail et en psychosomatique. Ses axes de recherches portent sur les questions d’organisation du travail et leurs effets sur la santé des travailleurs, en tenant compte de l’écart entre travail prescrit et travail effectif.
Les agents de l’ONF, avec leur syndicat, le SNUPFEN, confrontés à cette souffrance ont voulu comprendre et résister, il en découle un long travail d’enquête et de collecte auprès de salariés, syndicalistes, juristes, médecins du travail, chercheurs, qui a abouti à la création d’un spectacle
« L’entrée en résistance ».
C’est un moyen original de promouvoir le travail syndical en direction de la santé, les luttes syndicales ont toujours eu besoin de se nourrir d’art et de culture pour avancer.
Michel ANCE
Syndicaliste retraité
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