Interdiction du concert de Black métal néonazi dans les Vosges : pour l’annulation, contre Darmanin

Saint-Dié-des-Vosges (88) |

Retour sur la séquence qui a amené à l’interdiction du concert de Black Métal néonazi initialement prévu dans les Vosges (88) le samedi 25 février 2023.

De la médiatisation à l’interdiction, un scénario en trois actes.

Acte 1 : L’information

Il y a une dizaine de jours le BAF recevait une information concernant la tenue d’un concert de NSBM (pour Black métal national-socialiste ou NSBM [1]) intitulé « Night for the Blood » et devant avoir lieu le 25 février dans les Vosges (88), aux alentours de Saint-Dié-des-Vosges. L’affiche, avec son iconographie nazie particulièrement explicite laissait peu de doute sur la nature politique de l’événement. En outre, les groupes programmés, deux français, un suisse et un allemand (connu dans le milieu et se produisant rarement) donnaient d’emblée une dimension européenne au rassemblement. Bref, ça s’annonçait être du lourd, du très lourd. Il faut dire ici que le Grand Est est malheureusement coutumier du fait.

PNG - 720.4 ko
L’affiche du concert néonazi du 25 février 2023

La situation géographique de cette région n’y est pas étrangère. Proche de l’Allemagne, de la Suisse et dans une certaine mesure de l’Autriche, elle constitue un point de ralliement privilégié pour les fanatiques des subcultures néonazies. Ainsi, ces dernières décennies, on a pu observer l’organisation ou la tentative d’organisation d’événements liés aux réseaux « hammerskins » et « Blood and honour », le dernier en date ayant eu lieu en avril 2019 dans un village meurthe-et-mosellan où se sont rassemblés une centaine de néonazis français, allemands et autrichiens pour commémorer la naissance d’Adolf Hitler. On se souviendra également qu’en mai 2022 un rassemblement a été organisé par les néonazis de Lothringen Division qui a regroupé une soixantaine de personnes à Sainte-Croix-aux-Mines pour rendre hommage à des SS français tués par l’armée française en 1945. Ce groupe avait également organisé un rassemblement du même type en mai 2021.

Fait relativement nouveau, le « Night for the blood » penche plutôt du côté du Black métal national-socialiste, sous-genre musical du métal. Cette scène semblait en effet jusqu’ici moins développée en France que la scène RIF (rock identitaire français) ou RAC (rock against communism). Néanmoins depuis quelques années, elle est en passe de devenir la principale scène d’expression culturelle néonazie. En témoigne l’aura grandissante du festival « Asgardsrei » qui rassemble chaque année à Kiev la crème de ce sous-genre (dont les Français de Peste Noire), et qui est abondamment relayé par les groupuscules d’extrême droite de l’hexagone, à commencer par le canal Telegram de prédilection des fafs adeptes du coup de poing, Ouest Casual. Cette montée en puissance d’une tendance néonazie à l’intérieur de la scène Black métal ne se fait d’ailleurs pas sans générer quelques remous, fort heureusement. On a pu assister ces derniers mois à l’annulation d’un certain nombre de concerts de BMNS ou de groupes programmés dans des festivals au positionnement politique plus que douteux. On ne peut que se réjouir de cette prise de conscience de la part d’une communauté musicale qui aurait beaucoup à perdre à être assimilée à ce genre d’initiative. On encourage d’ailleurs vivement les adeptes de Black métal qui ne se reconnaissent pas dans cette idéologie haineuse, et on ne doute pas qu’iels soient nombreux.ses, à faire le ménage dans leurs concerts.

JPEG - 177 ko
Le groupe Stahlfront : un look sans ambiguïté

Acte 2 : La médiatisation

Une fois l’information en notre possession, nous avons décidé de la médiatiser pour visibiliser l’événement (en négatif bien sûr), et susciter une vague d’indignation telle que, d’une part cela mette la pression sur les organisateur.ices du concert et leurs sympathisant.es (qui n’aspirent à rien d’autre qu’à l’anonymat), et que d’autre part les pouvoirs publics n’aient pas d’autre choix que de s’emparer du problème. C’est une stratégie, d’autres existent, évidemment. Nous aurions pu tenter d’initier un rassemblement ou une action pour bloquer le concert de manière effective, mais face à la temporalité restreinte (une dizaine de jours à peine) et surtout au manque d’informations concernant le lieu précis de l’événement, la chose semblait difficile à mettre en œuvre.

Ce qui devait arriver arriva. Face à l’emballement médiatique, surtout régional, un peu national, le ministère de l’intérieur, qui a tout à gagner à se poser en adversaire de ce type de mouvement, fit pression sur les préfectures locales qui prirent un arrêté interdisant le concert. Vu le barouf médiatique et la mise en place d’un dispositif policier a priori conséquent, il y a fort à parier que les organisateur.ices y ont définitivement renoncé. Quoi qu’il en soit, d’après les médias qui ont couvert l’événement il semble que le concert n’a finalement pas eu lieu. On ne peut que se féliciter de l’impossibilité pour ces gens-là de se réunir et de se célébrer. Ces personnes ne sont pas à prendre à la légère, ce ne sont pas juste des fanatiques d’un autre temps, elles sont réellement menaçantes. Ce type de mouvement s’inscrit dans une nébuleuse d’extrême droite qui, ces dernières années, ne cesse de s’accroître, animée par la conviction que la civilisation s’effondre, que la guerre raciale est en germe et qu’il leur faut accélérer son extension. Parmi ces personnes, certaines s’engagent dans des milices paramilitaires pour aller combattre sur les théâtres de guerre contemporains. D’autres s’arment ici, s’entraînent à la survie, imaginent des actions violentes. On ne compte plus ces dernières années les projets d’attentats imputés à l’extrême droite (une dizaine au moins ont fait l’objet de procédures antiterroriste).

Soirée aux flambeaux des Lothringen division, été 2022

Acte 3 : L’interdiction

Il ne s’agit pas pour nous d’entretenir un discours de peur, mais bien d’avoir conscience de l’époque dans laquelle on se situe et d’agir en conséquence. Cela passe par faire annuler ce genre d’événements qui constituent des moments de sociabilité et de cohésion pour ces activistes d’extrême droite. Cela passe également par l’investissement plein et entier dans les luttes sociales telles que le mouvement actuel contre la réforme des retraites. La défense des acquis sociaux, l’opposition à l’assaut néolibéral qui caractérise le moment (et plus généralement l’opposition au capitalisme), l’inscription dans les mouvements féministes, antiracistes et écologistes actuels, constituent sans doute la meilleure feuille de route qu’une organisation antifasciste conséquente puisse adopter aujourd’hui. Nous ne nous réjouirons jamais de la politique développée par un ministère de l’intérieur. Nous ne sommes pas dupes de l’opération de communication politique qui se joue derrière cette interdiction. Nous savons que Darmanin joue les pourfendeurs de l’extrême droite pour mieux développer sa propre ligne politique réactionnaire de droite extrême, qu’il éteint un feu à un endroit pour en allumer dix à un autre. Nous n’oublions pas que le fascisme sert souvent de dernier rempart à la bourgeoisie quand le capitalisme est en crise. C’est pourquoi, il nous semble plus que jamais nécessaire de renforcer aujourd’hui notre camp social.

JPEG - 454.1 ko

BAF-Nancy


Notes

[1Voir cet article publié par La Horde en 2016 : Épidémie de Peste Noire dans la scène black metal