Basta ! : Sur quel cadre le gouvernement japonais s’est-il appuyé pour gérer l’accident nucléaire de Fukushima ?
Christine Fassert [1] : Le gouvernement japonais a mis en place un dispositif de zonage dont l’objectif principal est de localiser la radioactivité, en définissant des zones. Le gouvernement s’est appuyé sur le cadre réglementaire établi par les deux grandes institutions nucléaires internationales que sont l’AIEA (Association internationale pour l’énergie atomique) et la CIPR (Commission internationale de radioprotection) [2]. D’après la CIPR, la meilleure solution n’est pas forcément d’atteindre la dose de radioactivité la plus faible mais de faire « plus de bien que de mal » avec les mesures de radioprotection. Il s’agit de mettre sur un même plan les inconvénients causés par une exposition aux radiations avec ceux liés à des mesures de protection comme l’évacuation.
La mesure phare a été de relever le seuil de radioactivité de 1 à 20 mSv/an (le millisievert, mSv, est l’unité de mesure utilisée pour mesurer l’impact des rayonnements sur le corps humain) pour définir les zones à évacuer. Comment le gouvernement a-t-il fait ce choix ?
La CIPR recommande de fixer la dose maximum pour le public à 1 mSv/an en temps normal et prévoit qu’en cas d’accident, ce seuil puisse être relevé. Les autorités se sont basées là-dessus et ont justifié leur choix à partir d’arguments scientifiques insistant sur la non-dangerosité des faibles doses de radioactivité – ce qui ne fait pas consensus. Le choix des 20 mSv/an a cristallisé une partie des critiques adressées au gouvernement, y compris en son sein. C’est après cette décision que le conseiller spécial en radioprotection du cabinet du Premier ministre, le professeur Toshiso Kosako, démissionne en larmes à la télévision : « Si j’approuvais cette décision, je ne serais plus un chercheur. Je ne voudrais pas que mes enfants soient exposés à de telles radiations. »
Mais cette décision a aussi été motivée par des critères sociaux et économiques. L’IRSN a par exemple calculé que si un seuil à 10 mSv/an avait été choisi, 70 000 habitants de la ville de Fukushima, située à 50 km de la centrale, auraient dû être évacués, ce qui aurait engendré un coût important ainsi qu’un message symbolique fort. Un enjeu majeur dans la gestion de la crise a été de montrer qu’un accident nucléaire n’avait pas de conséquences irrémédiables. Et les Jeux olympiques prévus à Tokyo en 2020 (repoussés en raison de la pandémie, ndlr) auraient pu être l’occasion d’effacer encore un peu plus l’accident.
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Comment s’est traduite cette politique de zonage pour les populations vivant à proximité de la centrale ?
Il y a eu au total plus de 160 000 personnes déplacées, contraintes ou de leur plein gré. Plusieurs zones ont été définies : des zones considérées comme difficiles pour le retour, très proches de la centrale. Dans les zones un peu moins touchées, le gouvernement a mené une politique très ambitieuse de décontamination avec l’idée de faire revenir le maximum de personnes au plus vite. Mais la définition de ces zones est très arbitraire car la radioactivité ne s’arrête pas à la limite fixée sur la carte.
Le village de Kawauchi a par exemple été coupé en trois zones avec des dates de levée de l’ordre d’évacuation différentes, entraînant des droits à compensation différents pour une situation radiologique sans doute comparable. Quand les autorités ont estimé que les évacués pouvaient revenir, les habitants des villages décontaminés n’ont plus touché d’indemnités, même ceux qui ne voulaient pas rentrer. La catastrophe a énormément amplifié les inégalités sociales et entraîné des ruptures, des disputes, des interrogations, des jalousies.
(La photographie en haut de l’article est un checkpoint à une vingtaine de kilomètres de la centrale nucléaire, en mai 2011.)
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