Réunir ces deux mots en factoteur, comme nous le proposons, c’est sans doute la volonté de certains hauts fonctionnaires, bienfaiteurs de l’Humanité, qui gèrent aujourd’hui cette ancienne administration d’État devenue la belle « entreprise publique » La Poste !
Hier, le facteur était un personnage clé de la République. Assermenté et respecté, dans son uniforme aux boutons dorés et gravés, il était le seul représentant de l’État susceptible de franchir quotidiennement la porte du domicile de chaque citoyen. Ces passages journaliers assuraient un lien social précieux entre les habitants d’un même quartier ou d’un même village et entre les quartiers pour les citadins ou entre les villages pour les ruraux. Ses missions premières étaient de distribuer ou de relever le courrier en assurant le secret de la correspondance, de remettre en main propre les recommandés ou encore de verser l’argent des mandats, des pensions ou retraites à domicile. Au gré de sa tournée, il lui arrivait de déborder de ses missions. Il s’improvisait rédacteur de correspondances privées ou administratives, auxiliaire des impôts ou de l’état civil, livreur de médicaments ou plus rarement accoucheur. Comme les plombiers et les curés, certains se donnaient corps et âme à l’intérêt général pour le plus grand bien de la démographie ! Par la connaissance privilégiée qu’il entretenait avec ses usagers, le facteur assurait également la sécurité des personnes seules ou isolées. En trente ans d’activité, une factrice de mes amies comptabilisait une trentaine de signalements de personnes en graves difficultés de santé et un nombre incalculable de gestes de solidarité ou d’initiatives d’aides discrètes par sa connaissance du terrain ! Aucune prime ni aucune facturation en échange de ce service… public !
Depuis quelque temps, touchés par la grâce, les directeurs de La Poste manifestent leur intention de diversifier les missions du facteur… Pour satisfaire les usagers ? Que non ! Ils ont, en premier chef, le souci que les agents ne glissent pas vers une fainéantise, chère à qui vous savez ! Deuzio, convertis aux bienfaits de l’économie de marché, en un mot au capitalisme (tout en conservant leur statut protecteur de la fonction publique), ils ont le souci de la rentabilité financière de leur entreprise publique dans la perspective de sa privatisation totale !
Quelques exemples.
Ainsi le facteur s’est improvisé poissonnier en livrant les huîtres à Noël chez celles et ceux qui peuvent se le permettre, leur évitant une perte de temps et une promiscuité nauséabonde dans les files d’attente de la poissonnerie. Avec le développement des nouvelles technologies, ils ont revêtu l’habit du technicien des télécoms, leurs anciens collègues du temps des PTT, pour l’installation d’Internet ou le réglage de la télévision. Cette année, le groupe La Poste élargit la panoplie du parfait factoteur en veilleur et en restaurateur pour nos petits vieux – pardon, pour nos séniors.
Vous allez me dire : rien de neuf sous les tropiques puisque de tout temps le facteur a assuré ce lien social plus particulier pour nos aînés, comme décrit en introduction ! Oui, à deux différences près. La première est la surcharge de travail et la polyvalence demandée aux facteurs par l’obligation de résultat qui leur est imposée, sans aucune revalorisation de leur traitement, bien entendu. La deuxième différence est d’importance majeure. En effet, tous ces recyclages d’activité se feront moyennant monnaie sonnante et trébuchante de l’usager – pardon, du client… enfin des clients qui en ont les moyens ! C’était déjà vrai pour la livraison des médicaments, ça l’est à nouveau pour les deux dernières trouvailles.
Les affameurs de la Commission européenne !
Depuis mai de cette année, vous pouvez demander au facteur de « veiller sur vos parents ». Pour deux visites de 5 à 10 minutes maxi par semaine, il vous en coûtera 40 euros par mois, pour 4 visites par semaine 100 euros et pour 6 visites par semaine 140 euros ! Un petit SMS pour vous rassurer après chaque visite. En sus, vous bénéficiez d’une téléassistance et de services adaptés d’assistance en cas de panne. Ces services sont sous-traités aux groupes Europ Assistance, qui s’auto-gratifie de leader mondial de l’assurance, et Malakoff Médéric, avec lesquels La Poste a signé un partenariat. Il faut bien se soutenir entre amis et préparer l’avenir ! Pour ne rien omettre, cette prestation ouvre droit à des crédits d’impôt. C’est la contribution de la solidarité nationale à favoriser le marché prometteur des personnes âgées ! À quand le crédit d’impôt pour les enterrements ?
Dernière trouvaille, depuis juin de cette année, vous pouvez également attendre de votre facteur le portage de repas à domicile pour les séniors par la formule « Savourer chez vous » – excusez du peu ! Réalistes, les décideurs cinq étoiles de La Poste ne comptent pas sur les qualités de cuisinier des facteurs : « L’offre est basée sur l’expertise croisée de deux leaders, Elior pour la restauration et La Poste pour le service à domicile. » Par fainéantise, comme dirait l’autre, par incompétence ou plus mystérieusement, il nous a été impossible de trouver le moindre tarif à cette nouvelle prestation payante.
Pour celles et ceux qui en doutaient encore, la vérité éclate au grand jour : les pseudos fonctionnaires directeurs de La Poste et leur employeur – le gouvernement – ont un grand cœur ! Ils s’occupent si bien de nos petits vieux, qu’ils en délaissent un peu les autres ! Dans un élan de générosité inhabituel, RésisteR ! se lance, une fois n’est pas coutume, dans une démarche constructive de conseils et de propositions. Pourquoi ne pas envisager pour nos facteurs de porter à domicile diverses herbes à planer ou de cocaïne, de nettoyer la niche des chiens, d’aider aux devoirs du gamin ou encore de changer les couches ou les draps des jeunes et moins jeunes incontinents ? Factoteur… un métier d’avenir !
Voilà qui pourrait contrarier les engagements de La Poste en ce qui concerne le portage à domicile du « Savourer chez vous » évoqué précédemment. De sources bien informées (ça fait vrai journalisme d’investigations, non ?), nous apprenons qu’un groupe de travail de la sous-commission service universel de la Commission européenne souquent ferme à la rédaction d’une quatrième directive postale de dérégulation. Il faut savoir que le « service public » n’a plus court depuis longtemps dans les arcanes de l’Union européenne et des gouvernements européens. Il a été remplacé par le « service universel », qui est au service public ce que le trou dans la cale est au bateau : un point d’entrée du naufrage.
Preuve en est. Jusqu’à présent le service universel imposait une distribution du courrier sur cinq jours minimum. Aujourd’hui, le projet est de ramener cette distribution à trois jours seulement ! Dans une perspective de rentabilité financière et de profits, nul doute que les opérateurs historiques des postes européennes y voient un intérêt capital. En supprimant une tournée sur deux, ils entendent réaliser des économies d’échelle. Mais quid du portage journalier du « Savourer chez vous » ? Nos petits vieux – pardon, nos séniors – se verront-ils à la diète un jour sur deux ?
Léon de Ryel
Article paru dans RésisteR ! #51 le 30 septembre 2017
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